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État démocratique, ou contre les corps qui représentent une nation ; quelle que soit la nature de l’exécution du complot, ou assassinat, ou expulsion à main armée, ou émeute du peuple, ou corruption ou soulèvement de troupes soldées, la situation sera la même entre le conjuré et celui qui aura reçu sa confidence. Sa première pensée sera la perte irréparable, éternelle, de son honneur et de son nom, soit comme calomniateur s’il ne donne pas de preuves, soit comme lâche délateur s’il les donne : puni dans le premier cas par des peines infamantes, puni dans le second par la vindicte publique, qui le montre au doigt tout souillé du sang de ses amis.

Ce premier motif de silence, lorsque M. de Thou daigna l’exprimer, je crois que ce fut pour se mettre à la portée des esprits qui le jugeaient et pour entrer dans le ton général du procès et dans les termes précis des lois, qui ne se supposent jamais faites que pour les âmes les plus basses, qu’elles circonscrivent et pressent par des barrières grossières et une nécessité inexorable et uniforme. Il démontre qu’il n’eût pas pu être délateur quand même il l’eût voulu. Il sous-entend : Si j’eusse été un infâme, je n’aurais pu même accomplir mon infamie, on ne m’eût pas cru. — Mais, après ce peu de mots sur l’impossibilité matérielle, il ajoute le motif de l’impossibilité morale, motif vrai et d’une vérité éternelle, immuable, que tous les cultes ont reconnue et sanctionnée, que tous les peuples ont mise en honneur :

Il m’a cru son amy.

Non-seulement il ne l’a pas trahi, mais on remarquera que dans tous ses interrogatoires, ses confrontations avec M. de Bouillon et M. de Cinq-Mars, il ne nomme et ne compromet personne[1].


« Soudain que je fus seul avec M. de Thou, dit Fontrailles dans ses Mémoires, il me dit le voyage que je venois de faire en Espagne, et qui me surprit fort, car je croyois qu’il luy eust été célé, confor-

  1. Voir l’interrogatoire et procès-verbaux instruits par M. le Chancelier, etc 1642.