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MAGIE, RAPPORTS AVEC LA RELIGION


pouvons remonter dans le passé, nous trouvons ordinairement dans les races que l’on considère comme les plus primitives, les moins civilisées, des vestiges d’un véritable théisme, allant parfois jusqu'à l’hénothéisme ou même au monothéisme.

De l’aveu de tous les savants, c’est une tâche délicate de faire passer dans la tête et dans la langue d’un Européen, ce qu’il y a dans la tête et dans la langue d’un Primitif, et réciproquement. Il faut une absence totale de préjugés, une profonde connaissance de la langue et des coutumes des indigènes ; il faut des qualités morales de bonté, de patience, qui gagnent la confiance, il faut un séjour suffisamment prolongé dans une même tribu. « Les controverses qui ont fait rage à propos de la religion des races inférieures, remarque Frazer, sont venues pour la plupart d’un malentendu réciproque. Le sauvage ne saisit pas les pensées de l’homme civilisé, et bien peu de civilisés saisissent les pensées du sauvage. » Magic art, t. i, p. 375. Cela étant, on voit que les missionnaires non seulement ne doivent pas être disqualifiés, mais sont en fort bonne posture, comparés à des voyageurs qui souvent traversent hâtivement un pays en faisant poser par interprète des questions que les habitants ne se sont peut-être jamais posées sous cette forme et auxquelles ils répondent peut-être sans les bien comprendre ; sans compter que sur certains sujets, particulièrement sur sa croyance en des êtres supérieurs, l’indigène déroutera délibérément son interlocuteur non initié. Cela est certain : dans mainte tribu, la connaissance des êtres supérieurs n’est transmise ni aux femmes, ni aux enfants, ni aux jeunes gens avant leur initiation ; à plus forte raison ne sera-t-elle pas livrée à l'étranger de passage. Cf. A. Lang, art. God dans Hastings, Enc. of religion, t. i, p. 243-245. Les missionnaires ont sur d’autres témoins d’immenses avantages. Certains critiques disent que les missionnaires ont des préjugés, qu’ils trouvent facilement des croyances supérieures, des religions développées, parce qu’ils veulent en trouver. On ne voudrait pas nier que parfois, ils ne soient tentés de voir plus qu’il n’y a en réalité ; on ne voudrait pas affirmer qu’ils n’aient jamais cédé à la tentation. Mais quel est l’observateur qui aborde ces questions sans avoir sa propre mentalité, autrement dit sans idées préconçues ? L’essentiel est que les idées ainsi préconçues soient justes. Reprocherait-on encore aux missionnaires de n’avoir pas de formation scientifique qui les rende aptes à mener pareille enquête, à résister aux conclusions désirées et hâtives ? Le reproche demanderait à être rigoureusement précisé, sous peine de paraître contredire le précédent. Un système personnel a son utilité, mais il a sa rançon : ce sont précisément les systèmes qui entraînent facilement des idées préconçues, systématiques. Lévy-Briihl, un des chefs de l'école sociologique, ne reconnaît-il pas loyalement et finement aux observations des anciens missionnaires une grande autorité et une supériorité sur un point : ils « avaient l’avantage d’ignorer toute thèse sociale », dit-il, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, p. 23. Et quant à ajouter que les missionnaires actuels manquent de méthode, c’est généraliser injustement un déficit que l’on a pu constater parfois, mais auquel on a, ces dernières années, remédié avec succès. Ce progrès a été provoqué et procuré par les Semaines d’ethnologie religieuse, tout spécialement. Concluons au moins que les témoignages des missionnaires en valent d’autres.

Parlant d’abord des Primitifs, nous rapporterons quelques jugements d’ensemble, spécialement autorisés ; puis, nous traiterons de trois ou quatre cas particuliers qui font une certaine difficulté ; enfin, après avoir touché un mot des origines des peuples civilisés et

avoir marqué chez les purs savants une tendance croissante à une grande modestie, à une grande modération, et souvent à quelque chose de plus, en réaction contre le radicalisme de mode il y a encore vingtcinq ans, nous essaierons de dégager quelques conclusions générales.

Mgr Le Roy a écrit un livre parfaitement informé sur La religion des Primitifs, Paris, 1909. Consciencieusement, il avertit qu’il a étudié surtout, par luimême ou par ses missionnaires, les peuplades de l’Afrique. « Chez toutes, affirme-t-il, on retrouve la notion d'êtres supérieurs, bien plus d’un Être, d’un Dieu suprême : hénothéisme, allant parfois jusqu’au monothéisme, qu’obscurcit seulement, sans le nier, la multiplicité des noms. » Enfin, il y a des indices positifs que les notions les plus primitives sont aussi les plus pures. Plus récemment encore, Mgr Le Roy a donné le résultat de ses longues recherches dans Cliristus, c. ii. Les populations de culture inférieure, p. 48. « Les divers noms employés pour désigner Dieu, par les diverses tribus, n’impliquent pas du tout, comme on l’a dit quelquefois, des dieux différents les uns des autres. »

Les Bantous n’ont pas la moindre idée du polythéisme indou, grec ou romain. Ce qui est vrai, c’est qu’ils ne se préoccupent de Dieu que pour eux-mêmes et encore, dans une faible mesure, pour leur famille pour leur tribu. A chacun ses affaires 1 Rel. des Primitifs, p. 187. Cf. Revue de philosophie, 1 er oct. 1908, p. 416. Sur le nom de Dieu chez les Zoulous, discussion très intéressante du Rev. W. Wanger, dans Anthropos, t. xvin-xix, p. 656. « Si l’on compare l’extraordinaire précision des données linguistiques des Bantous avec leurs idées actuelles, on a l’impression que cette notion de la divinité a subi chez eux une régression évidente et qu’elle était beaucoup plus nette à l'époque de la formation de la langue. » Christus, p. 63.

Et Mgr Le Roy n’est pas seul de son avis. R.-H. Nassau, dont l’autorité est grande, écrit dans Fetichism in West Africa, Londres, 1904, p. 37 : « Après quarante ans de séjour parmi ces tribus…, je suis à même d’affirmer, sans hésitation, que, parmi toute la multitude des noirs dégradés que j’ai rencontrés, je n’ai vu ou entendu personne dont la pensée religieuse fût une pure superstition », et il cite un autre témoin de valeur, J.-L. Wilson, qui, dans son livre Western Africa, p. 209, ne craint pas d’affirmer qu’en Afrique « La croyance en un grand être suprême est universelle. Et cette idée, dans l’esprit des indigènes n’a rien d’imparfait ou d’obscur. L’impression en est si profondément gravée dans leur nature morale et intellectuelle, que tout système d’athéisme les frappe comme trop absurde ou déraisonnable pour mériter un démenti. »

Les expressions de Mgr Le Roy ne sont pas plus fortes quand il conclut : « La foi des sauvages en un Être suprême est désormais un fait acquis à la science. Si l’on ne peut prouver encore son universalité, on doit convenir qu’elle est, ou du moins qu’elle a été très générale. » Christus, p. 86. Tel est l’aboutissement de l’enquête menée par l’auteur à travers toutes les peuplades primitives.

L’origine de l’idée de Dieu, telle est bien, pour le redire, la question fondamentale dans cette querelle sur l’origine de la religion. Les évolutionnistes, les magistes ou prémagistes, animistes ou préanimistes, tiennent si fort à leurs théories, parce qu’il leur paraît impossible que l’idée de Dieu soit primitive, parce qu’ils croient découvrir de fait des Primitifs complètement athées.

Évidemment les notions des Primitifs sont encore bien embryonnaires, enfantines, mélangées d’erreurs,