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MAGIE, RÉALITÉ


remèdes de bonnes femmes. Par exemple, voici une éclipse de lune : en bien des pays, pour les gens du peuple, la lune est dévorée par un dragon. Que faire ? mobilisai ion générale des batteries de cuisine, vacarme assourdissant, qui bientôt contraint le monstre à lâcher prise. Et chaque fois le procédé finit par réussir. On appelle cela couramment de la superstition, parce que la croyance est vaine ; mais il n’y a pas nécessairement superstition au sens strict. Cet exemple a été choisi précisément pour montrer qu’il peut y avoir dans une histoire un dragon ou un autre être surhumain, sans qu’il y ait histoire de magie. Ici le dragon est mis en fuite parle vacarme, moyen très humain, très naturel, tout comme serait chassé le chien le plus vulgaire. Donc Frazer a tort de présenter la magie comme « une fausse science et un art avorté ». The magie art, t. i, p. 53. Les remèdes de bonnes femmes peuvent être excellents ou absurdes ; en général, ils n’ont rien de magique, à moins que leur application ne comporte des circonstances plus ou moins étranges : par exemple, il faut une certaine plante, cueillie tel jour de la lune, avec accompagnement d’une formule déterminée. Il y a alors naïve simplicité ou procédé vraiment magique.

Enfin, les superstitions populaires dans nos pays peuvent se rattacher à la magie quand un résultat extraordinaire est demandé à une pratique absolument inopérante et connue comme telle. Même alors, avant de lâcher le gros mot de magie, il faudrait voir s’il ne s’agit pas plutôt d’attente irraisonnée ou de superstition simple, c’est-à-dire s’adressant à Dieu avec la prétention, par des moyens considérés comme capables de le toucher, d’obtenir de sa puissance et de sa bonté, une intervention miraculeuse.

Enfin, il importe de rapprocher de la notion de magie plusieurs notions connexes, plusieurs pratiques ou arts auxquels la magie peut se trouver mêlée :

L’hypnotisme, voir t. vii, col. 357, pris du côté de l’agent, est l’art d’endormir une personne et de lui faire dans cet état exécuter certaines actions plus ou moins extraordinaires ou simplement insolites.

Le magnétisme est l’art d’agir sur une personne au moyen du magnétisme, force primordiale universelle qui relierait entre eux tous les corps de l’univers.

L’occultisme est la science des choses cachées et aussi des choses à cacher. Cf. Dictionn. apologétique, art. Occultisme, donc science spéculative ou science pratique. Le maléfice est la pratique magique malfaisante. Il en sera spécialement traité dans la IIIe partie. La sorcellerie ou art de jeter des sorts, ordinairement nuisibles, est à peu près la même chose que l’art d’opérer des maléfices. L’usage, à certaines époques surtout, a étendu le mot à tout commerce avec le démon. La nécromancie est l’art d'évoquer les âmes des morts pour en obtenir la connaissance des choses cachées, futures, des choses de l’autre vie. Le spiritisme est l’art de provoquer des phénomènes extraordinaires, grâce à des esprits ou aux âmes séparées ou à des forces naturelles encore mystérieuses, ou à la supercherie et à l’illusion. Chacune de ces explications a ses défenseurs. Un des phénomènes les plus couramment obtenus par la nécromancie ou le spiritisme, est celui des tables tournantes, avec accompagnement ou non de signes d’intelligence.

Tous ces arts, toutes ces pratiques, peuvent être plus ou moins entachés de magie ; dans cette mesure et dans cette mesure seulement, s’applique à eux ce qui est dit de la magie en général.


II. La chose. —

S’il est difficile de bien dégager la notion de magie des notions plus ou moins voisines, de lui attribuer toute sa compréhension, rien que sa compréhension, il est incomparablement plus malaisé de se prononcer sur la réalité de la magie. A la notion de magie, y a-t-il quelque chose qui réponde dans l’histoire des peuples, et quoi ?

Celle question générale peut avantageusement se résoudre en trois ou quatre plus particulières. Dans une féerie, on peut considérer l’attitude du parterre, le rôle supposé ou prétendu des acteurs visibles, enfin le rôle de l’acteur invisible, le machiniste. De même ici, on distinguera : 1° la croyance à la magie dans la foule, témoin de phénomènes insolites ; 2° la prétention du magicien ou du sorcier devant ce témoin ; 3° les tentatives et pratiques magiques du même magicien ; 4° l’efficacité des pratiques magiques, ou la mise en branle d’une puissance vraiment surhumaine. Aux trois premières questions la réponse n’offre pas de difficulté sérieuse.

Croyance populaire à la magie.

 Oui, la croyance

à la magie existe dans la foule. Si elle n’existait pas, on ne rencontrerait pas aussi répandue une notion de la magie. Quand même la magie serait une chimère, il y a précisément toujours des gens pour croire à la chimère. Cette croyance est pour ainsi dire universelle : tous les temps, tous les pays ont cru plus ou moins à la magie.

Prétentions avouées des magiciens.

S’il y a des

gens prêts à y croire, il y aura des gens pour la pratiquer, pour prétendre la pratiquer, au bénéfice du public ou à son détriment. Cela s’explique très naturellement, du côté du magicien, par le désir de se distinguer, de dominer, de se satisfaire, de gagner de l’argent ; du côté de la foule, par l’attrait pour le mystérieux, le merveilleux, par le désir de se préserver des puissances occultes ou de se servir d’elles pour échapper aux maux présents, pour se procurer des avantages, des satisfactions de toute sorte. Ces tendances sont fortifiées par la persuasion fréquente que les maux viennent aux hommes de causes mystérieuses, supra-sensibles.

Recours aux pratiques magiques.

Enfin, s’il y

a un public prêt à croire, s’il y a des hommes prêts à en faire accroire, à se poser comme magiciens, il y aura des hommes pour tenter de lier partie avec ces puissances mystérieuses et préternaturelles. Cela ne saurait manquer tant qu’il y aura des hommes crédules, suggestionnâmes, passionnés ou pervers. — Voilà pourquoi dans toute histoire des diverses religions, on attend un chapitre sur la superstition : divination, magie. Quelques exemples suffiront.

Chez les populations de culture inférieure, chez les Primitifs, le magicien, le sorcier sont des personnages importants, redoutés, puissants. Christus, p. 61, 68. La magie partout s’attache à la religion, mais en reste distincte. Le Roy, La religion des primitifs, p. 425, 452. Nous aurons à revenir plus en détail sur les Primitifs dans la IVe partie. Ici, nous emprunterons nos exemples à l’histoire des peuples civilisés.

Chez les Babyloniens et les Assyriens, la magie est très développée et très ancienne. Le magicien ou incantateur figure parmi les prêtres et la magie se mêle souvent au culte religieux. D’ailleurs, le magicien a un rôle bienfaisant : protéger l’homme contre les puissances hostiles, morts, démons, sorciers. Christus, p. 703 ; Où en est l’histoire des religions ? t. i, p. 156 ; Hastings, Magic, p. 253.

Chez les Égyptiens, « la pratique de la magie nous est attestée par des documents de toutes les époques. Elle atteint son maximum, semble-t-il, au temps de l’empire romain ». Christus, p. 644. La magie égyptienne a exercé son influence sur celle de plusieurs autres peuples. En Egypte comme en Babylonie et en Assyrie, la magie est mêlée assez intimement avec la religion, et l’on trouve des pratiques magiques dans le culte des dieux et dans le culte des morts. Hastings, Magic, p. 273 a. Mais, comme il a été remarqué plus