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MARIAGE, LA SÉCULARISATION 1)1 MARIAGE


comme une institution que la loi réglemente selon les opportunités. Lefebvre, op. cit., p. 292.

Aujourd’hui, le mariage civil est admis, et même seul admis, dans la plupart des États européens. Beaucoup ne reconnaissent comme valable que le mariage civil (France, Italie, Allemagne, Hou Tchéco-Slovaquie, Portugal, Suisse) ; l’Angleterre offre le choix entre la l’orme civile et la forme religieuse, en leur faisant produire les mêmes effets ; quelques U’gislations maintiennent la prééminence du mariage religieux, la forme civile n'étant, accessible qu’aux personnes de religion dissidente (fctats Scandinaves, Espagne) ; la Serbie et la Grèce ne connaissent, que le mariage religieux. Nous empruntons les éléments de ce tableau à A. Rouast, I.n famille, Paris, 1920 (t. n du Traité pratique de droit civil français publié sous la direction de Planiol et Ripert), p. 52 sq. On pourra consulter, en outre, Lehr, Le mariage, le divorce et la séparation de corps dans les principaux pays civilisés, Paris, 1899 ; Roguin, Traité de droit civil comparé, t. i. Le mariage, Paris, 1904 ; M. J. C. Rebora, La faznilia, Buenos-Ayres, 1926. Plusieurs législations ont récemment attiré l’attention spéciale des civilistes et des théologiens. La publication du nouveau Code allemand a suscité toute une littérature. V. Holweck, Das Civileherecht des bùrgerlichen Gesetzbuchs dargestellt im Lichte des canonise hen Eherechls, 1900, et Lehmkuhl, Das bùrgerliche Gesclzbuch des deutschen Reichs, 7e édit., 1911. La législation soviétique a fait l’objet de nombreuses études, cf. Léon Prouvost, Le Code bolchevik du mariage, Conflans, 1925 ; Th. Grentrup, Das Ehe und Familienideal in der sowjetischen Gesetzgebung Russlands, dans Théologie und Glaube, t. xvi, p. 116 ; J. Kiligrivov, Ehe und Ehescheidung in der Sowjetgesetzgebung, dans Stimmen der Zeit, juin 1926, p. 199 sq

Les conflits entre le droit canonique et les dispositions des droits séculiers retiennent souvent l’attention des canonistes et des civilistes. Voir, par exemple, un article de A. Bertola, // can. 1068 par. I del Codex juris canonicie una questione di diritto matrimonicle, dans Rivista di diritto civile, 1920, p. 223 sq. On a signalé certains accords récents, cf. A. Cavrois de Saternault, Le rapprochement des législations canonique et civile en matière de mariage, dans Revue trimestrielle de droit civil, 1921, p. 675-689. Mais ce titre ne doit point faire illusion : il s’agit de concordances sur des règlements, et qui sont imposées par des nécessités pratiques (lois sur le consentement des parents au mariage de leurs enfants, sur le mariage par procuration des militaires et des prisonniers de guerre, sur les publications et les formalités de la célébration du mariage, etc.). L’opposition entre les lois relatives au mariage civil et les principes de l'Église reste irréductible.

2. La sécularisation du mariage : les doctrines. — De nombreux travaux furent composés pour justifier le mouvement législatif de la fin du xviiie siècle.

En Italie, entre 1780 et 1790, paraissent des ouvrages favorables à l’intervention de l'État en matière matrimoniale et notamment, en 1784, la Tractatio de conjugiorum juribus de J.-B. Bono, professeur à Turin, et plusieurs curieux ouvrages anonymes. Cf. A. C. Jemolo, Slatoe Chiesa negli scrittori italiani del Seicento e del Settecento, p. 266 sq.

Dans les pays germaniques, les jurisconsultes joséphistes appliquaient au mariage le jus majestalicum. Une de leurs thèses favorites, c’est la séparation du contrat et du sacrement. Pehem, Riegger, Eybel en tirent des conséquences au point de vue des empêchements, des dispenses, de l’indissolubilité. Ad. Rôsch, Das Kirchenrecht im Zeitalter der Aufkiârung, dans Archiv fur katholisches Kirchenrecht, 1905, t. lxxxv, p. 29-37.

(/est à ce mouvement des juristes qu’il faut relier l’action des métaphysiciens du droit. Bien que les philosophes allemands du xviiie siècle aient moins efficacement que les Encyclopédistes contribué à la ruine de la puissance ecclésiastique, il est indéniable que leurs doctrines sur le mariage, ont créé de nouveaux embarras aux théologiens, suscité de nouv< écoles hostiles a la tradition. D’abord, ils ont beaucoup discuté le but du mariage. Les dissertations sur ce sujet sont nombreuses, depuis celle de Sam. Stryk, De fine matrimonii, 1708, jusqu'à celle de J.-B. Anthes, Vom Zweck der Ehe. 1771. Dans sa Métaphysique des mu uts, dont la première partie est consacrée à la théorie du droit (1797), Kant définit le mariage : L’union de deux personnes de sexe différent qui se concèdent i î droit réciproque sur leur corps pour la durée de la vie. §24. La procréation n’est point mentionnée comme but de cette union, contrairement à la définition traditionnelle et à celle donnée par la plupart des contemporains de Kant, en particulier G. Achemvall, dont il avait sous les yeux les Prolegomena juris naturalis. A. Linge, Das Eherechl Immanuel Kants, dans Kant-Studien, t. xxix, 1924, p. 248. L'éducation des enfants peut bien être un but proposé par la nature, mais le mariage est parfaitement valide sans que les parties aient l’intention de procréer. Les époux acquièrent l’un sur l’autre un droit personnel-réel, chacun possède son conjoint comme une chose et en doit user comme d’une personne : le principe de liberté serait ruiné si une personne était possédée comme personne ou si l’on en usait comme d’une chose. § 26. Cf. Emge, loc. cit., p. 265-272. Sur la place de la théorie du mariage dans la philosophie pratique du criticisme, voir l’exposé très clair de B. Bauch, Immanuel Kant. Berlin, 1917, p. 359 sq.

Ce qui semble avoir surtout frappé les contemporains de Kant, c’est la liberté qu’autorise sa notion du contrat. Mais la réaction entreprise par Hegel, aboutit à une autre extrémité : la négation du contrat. Kant exaltait la liberté individuelle, Hegel voit dans le mariage l'évanouissement de la personnalité, la confusion des deux parties. Et comme le mariage se définit par cette confusion même, on y chercherait vainement l’objet et les sujets d’un contrat. Voir notamment Grundlehre der Philosophie des Rechts, § 161-164, et sur la place de cette théorie dans les controverses en Allemagne, J. Hartmann, De contraciu matrimoniali, Bonn, 1871, p. 56 sq.

En P’rance, le passage des théories régaliennes à la théorie du mariage civil s'était opérée presque insensiblement. On peut le saisir, par exemple, dans le rapport présenté par Durand de Maillane à l’Assemblée constituante, le 17 mai 1791. Arch. parlem., t. xxvi, p. 166-187. Comme Gerbais et Léridant, il invoque la distinction du contrat et du sacrement, la coexistence de deux mariages : l’un civil, l’autre religieux, indépendants l’un de l’autre. Tous les citoyens sont astreints, pour le bon ordre de l'état-civil, à passer devant les officiers municipaux le contrat, dont la nécessité n’a jamais été niée par l'Église. Durand ne conteste point que les modifications imposées par l’Assemblée au contrat seraient autant de réformes ecclésiastiques : mais la nation n’a-t-elle point le droit de se rendre libre et heureuse ? La puissance séculière ne peut-elle régler le contrat de mariage, comme le montre saint Thomas ? Elle le doit, pour assurer l'état-civil de tous les citoyens, sans distinction de croyances religieuses.

Cette doctrine fut reprise par Muraire, dans son rapport à la séance du 14 février 1792. Mais, tandis que nos anciens auteurs regardaient le contrat comme le préliminaire du sacrement, la séparation radicale du contrat et du sacrement était proclamée par Muraire,