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MARIAGE, LES ATTAOUES DE LA RÉFORME


mériterait une place éminente dans un tableau des

doctrines des réformateurs.

3. J.cs canonisiez de la Il<'l<>rme. — Les canonistes partisans de la Réforme publièrent entre 1530 et 1563 plusieurs 1 rades du mariage, parmi lesquels il faut citer ceux de MelchîoT Kling, Matrimonial ium causarum traclatus methodico ordine scriptus, Francfort, 1553, ouvrage qui ne s'écarte guère de la tradition médiévale qu’en niant l’empêchement de l’ordre, d'Érasme Sarcerius, Ein liuch vom h. Ehestande and von Ehesachen mit allenumbstendigkeiten zu diesen Dingen gehôrig, 1553, ouvrage mi-juridique, mi-théologique, favorable à la juridiction séculière, et les divers traités de Basile Monner, qui contiennent un ample exposé, principalement juridique, des doctrines de la Réforme. Sur ces auteurs, cf. Schulte, op. cit., t. iii, p. 22 sq. Il nous paraît utile de présenter ici un tableau méthodique des positions auxquelles se sont arrêtés les réformateurs à la veille des débats du concile de Trente (1563), d’après les ouvrages de Monner († 1566) dont le premier seul fut publié avant sa mort : De matrimonio (paru en 1561) Iéna, 1604 ; De clandestinis, conjugiis, ibid.

La mariage, selon Monner, est un état honorable et saint. De matrimonio, p. 9. En l’interdisant aux clercs, l'Église romaine va contre le droit naturel et contre le droit divin. Ibid., p. 11-14. Mais si le mariage a une fonction très élevée, il n’est point, pour autant, un sacrement ni une chose spirituelle : il ne confère point la grâce, il est commun à tous les hommes, res plane politica, et si Dieu l’a institué, c’est au même titre que les magistratures. Ibid., p. 44, 54, 83. Il en résulte que les causes matrimoniales n’appartiennent point aux juridictions ecclésiastiques et que le pape n’a point le droit, par ses constitutions, de réglementer le mariage ou d’accorder des dispenses, Ibid., p. 87, 102, 112. — Le consentement fait le mariage, mais non point le seul consentement des parties : il faut, en outre, le consentement des parents. Le droit naturel l’exige et le droit des gens, et aussi le droit divin et le droit civil, et l’ancien droit canonique et la coutume, la raison enfin, à quoi les Constitutions pontificales sont contraires. Ibid., p. 45-69. Le traité De clandestinis conjugiis est principalement consacré à cette question : l’un des grands avantages du consentement des parents, c’est d’empêcher les mariages clandestins, dont les inconvénients sont longuement exposés. — Des chapitres très minutieux du De matrimonio, p. 14-40, sont dirigés contre la polygamie (les réformés ne suivirent pas Luther dans son erreur sur ce point). Mais le divorce est admis dans cinq cas principaux (outre quelques cas secondaires) : adultère, desertio malitiosa, impuissance, apostasie ou hérésie, sévices, inconduite de la femme antérieure au mariage. Dans tous ces cas — et il convient de noter que certains réformés n’admettent que les deux premiers ; cf. Richter-Dove-Kahl, Lehrbuch…, 8° édit., p. 1175 sq. — - il y a véritablement divorce et non point simple séparation de corps : la partie qui obtient la rupture du lien peut se remarier. L’abandon malicieux — Melchior Kling le remarque aussi dans la préface de son traité — est un des cas sur lesquels insistent volontiers les réformateurs et ils s’appuient notamment sur I Cor., vii, 15, Si infidelis discesse rit… La définition de l’hérésie, p. 172-174, englobe tous ceux qui ne pratiquent point la vraie doctrine de Jésus-Christ, c’est-à-dire nombre de « papistes ». Sur chaque point, l’auteur marque, avec parfois beaucoup d’aigreur, en quoi il s’oppose au droit de l'Église romaine.

En somme, les réformateurs attaquent sur tous les points la doctrine catholique du mariage. Ils se

moquent du signe ; ils nient la collation de la grâce, l’institution divine et, à plus forte raison, la distinction de la matière et de la forme. Tous, plus ou moins radicalement, rejettent le principe d’indissolubilité ; plusieurs, et non des moindres, autorisent la polygamie. L’acte conjugal est jugé par Luther avec une sévérité telle que l'état de mariage apparaît, malgré ses éloges, comme quasi-délictueux ; et pourtant le vœu de continence lui semble un défi à la loi naturelle. Enfin, toute compétence est, logiquement, refusée à l'Église, spécialement au pape, dans les causes relatives à la formation ou à la dissolution du lien matrimonial. La réforme même du contrat (pour exclure la clandestinité), c’est en brisant la tradition canonique de la liberté des enfants, en exigeant l’intervention de la famille, que l’on entend la réaliser.

4. Érasme et l’apogée de l’humanisme.

Quelles répercussions pouvaient avoir les influences mêlées de l’humanisme et de la Réforme sur un puissant esprit, Érasme nous le révèle en plusieurs de ses écrits. Élégance et largeur des vues, liberté extrême de la critique : les signes de l’esprit nouveau sont réunis dans ses ouvrages ; et nous ajouterons, sans intention de paradoxe, que les procédés scolastiques n’en sont point si sévèrement bannis que l’on paraît le croire. La philosophie antique a sa part dans la Christiani matrimonii inslilulio, mais aussi le symbolisme, plus radine encore qu’au xme siècle. Opéra, Leyde, 1704, t. v, col. 615 sq. Par exemple, Érasme ne se contentera point de voir dans le mariage la figure de l’union du Christ et de l'Église : Nec impiæ, mea sententia, fuerit imaginationis, hic ponere Deum Patrem sponsum, sanctissimam Virginem sponsam, paranymphum Angelum, conceptus opificem Spiritum Sanclum, fœtum Deum et hominem… Les vérités chrétiennes, exposées avec correction, sont ainsi pourvues de tous les ornements que suggèrent l’imagination et les souvenirs littéraires. Cette alliance de la tradition et de la fantaisie n'était pas d’une régularité incontestable : les poètes anciens fournissaient aux vérités chrétiennes un appui quelque peu compromettant. Bien plus périlleuse que cette liberté dans le choix des preuves était la liberté des raisonnements inspirée par la préréforme autant que par l’humanisme et qui se manifeste notamment dans le Commentaire de la première Épître aux Corinthiens, Opéra, t. vi, col. 692 sq., où Érasme entreprend de montrer les variations de l'Église et que le mariage n’a point été considéré par les Pères comme l’un des sept sacrements. Sans doute, le mariage est chose sainte et sacrée et tamen typus esse potest rei sacrée, quod per se sanctum non sil, velut Delhsabce crcpla Uriæ et David juncta, et Osese prophetæ stuprum, Samsonisque ac Dalilse fabula, quod palam lestatur Hieronymus, ibid., col. 699 sq. Toutes les fois qu’il s’occupe du mariage, Érasme en souligne le caractère à la fois humain et sacré (voir encore Exemplum epislolæ suasoriæ, dans Opéra, t. i, p. 414-424) ; il concède à la nature et à l’histoire un rôle exagéré, cherchant les notions générales dans toutes les littératures classiques, et dans la théologie, de graves variations. Cette infiltration de l’esprit humaniste et réformateur n’aurait pas été sans danger pour l'Église si elle se fût produite dans les écoles : la force de la tradition lui opposa un obstacle infranchissable.

Mais, dans le monde des lettres, Érasme n’occupe une place particulière qu'à cause de son génie. Le sujet qu’il traite est des plus communs. En 1513, vers le même temps on il éditait chez Josse le De re uxoria de Barbaro, le jurisconsulte Tiraqueau publiait un traité fameux De legibus connubialibus, dont la seconde édition est de 1524 et qui fut probablement, l’une des sources d'Érasme ; en 1521, pa-