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2179 MARIAGE. DOCTRINE CLASSIQUE, L'ÉTAT DE MARIAGE

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bien qu’il ne s’agit pas d’une excuse extérieure, mais que ces liiens qui assurent l’honnêteté <lu mariage sont de ratione matrimonti.

Duns Seul, Report, paria, , dist. XXXI, q. i, ne veut même point que l’on parle d’excuse, puisque le mariage, par son objet et par sa fin, est un acte honnête, que les biens du mariage existaient déjà dans l'état d’innocence, alors qu’il ne pouvait être question d’excuse. Et Pierre Auriol, dist. XXXI, q, i, a. 1. déclare : aucun acte de vertu n’a besoin d’excuse.

La doctrine tend donc à juger l’acte conjugal d’après ses causes. Albert le Grand distingue quatre causes : spes prolis, fides reddendi debili, rememoralio boni sacramenti, sanalio inftrmitatis, et trois mobiles : amor cultus Dei propagandi in proie, amor justitise> in redditione debili, fides unionis futuræ in uno spiritu ad Deum. Dist. XXVI, a. 12. Les trois premières causes et les deux premiers mobiles rendent l’acte méritoire, la quatrième cause en fait un péché véniel si la nature précède la concupiscence, mortel si la volupté est la fin ultime. Saint Thomas reconnaît le mérite de l’acte conjugal s’il a pour cause la justice, reddilio debili, ou la religion, procréation d’enfants de Dieu ; s’il a pour cause la volupté, la fidélité restant sauve, il y a faute vénielle ; si cette volupté est prête à s’exercer hors du mariage, péché mortel.

Les scolastiques s’accordent désormais sauf de très rares exceptions, à considérer comme licite, honnête et sans péché, l’acte conjugal qui a pour fin la procreatio, la redditio debili, la rememoratio boni sacramenti. Encore exigent-ils la modération eliam in licîtis. Le vehemens amator, l’ardentior amator, celui qui use sans retenue du mariage pèche mortellement. Cf. H. Lauer, Die Moraltheologie Alberts des (irossen, Fribourg-en-B., 1911, p. 351.

Les divergences n’ont été sensibles que sur l’interprétation du remedinm concupiscentiæ, et elles ont porté quelques théologiens aux extrémités de la rigueur ou de l’indulgence. Que le mariage fût un remède à la concupiscence, les cathares le niaient et probablement aussi certains logiciens, car les objections présentées par Albert le Grand ont un caractère d'école. Comment, se demande-t-on, le mariage qui excite, satisfait, entretient la concupiscence, serait-il un remède, alors que le remède est toujours contraire au mal. S’il le limite, c’est pour en accroître l’intensité. Le remède, répond Albert le Grand n’est pas toujours contraire au mal : il ne peut l'être dans ces maladies invétérées et chroniques où la nature ne supporterait pas une cure radicale. Mais il est faux de dire que le mariage ait tous les effets que l’on prétend sur la concupiscence : les lois divines et humaines lui donnent cette vertu d’empêcher la turpitude du vice ; si la copulation y est permise, elle n’en est point la fin essentielle et ce qu’elle laisse après elle, ce n’est point l’appétit mais Yinfumilas pœnæ, d’ailleurs diminuée ; enfin, celui qui mettrait dans le mariage la même passion que dans les relations illicites serait adultère, comme dit Pythagore, allégué par saint Jérôme. Cf. Albert le Grand, dist. XXVI, a. 8.

La dispute se poursuivit sur la valeur de l’acte conjugal accompli en vue d'éviter la fornication ; il est sans péché, au jugement de Durand de Saint-Pourçain, dist. XXXI, q. iv, mais non point selon Pierre de la Pallu, dist. XXXI, q. n. Il n’est pas impossible que l’inclination à l’indulgence s’explique, dans une certaine mesure, par la nécessité de justifier le mariage et son usage normal au temps de 1' « amour courtois ». Cf. G. Paris, dans Romania, t. xii, p. 518 sq. ; E. Schiôtt, L’amour et les amoureux dans les lais de Marie de France, Lund, 1889, p. 26 sq. Les rapports entre époux sont jugés si peu désirables par les auteurs littéraires qui reflètent et flattent sans doute l’opinion,

quc certains théologiens ont pu hésiter à appeler coupables des plaisirs que l’on avait tant de peine à contenir dans les bornes du sacrement

d) Mariage et virginité. Le mariage est un bien, il peut être méritoire, la nature nous y incline. X’esl-il pas un devoir ? Quand les théologiens le classent parmi les non communia (cf. J. de Ghellinck, A propos de quelques affirmations du nombre septénaire des sacrements au XIIe siècle, dans Recherches de science religieuse, 1910, p. 493 sq.). parmi les non néce saires (Otton de Bamberg ? dans /'. L., t. clxxiii, col. 1359), ils constatent seulement un fait. Pour résoudre le problème de la liberté du mariage, ils considèrent le plan divin. A l’origine, le mariage fut sub præcepto, pane qu’il importait de peupler la terre, de multiplier le nombre des adorateurs de Dieu. Le mariage était alors un devoir en tant qu’il assure la conservation de l’espèce ; il ne l’a jamais été en tant que remède : il y a des remèdes préférables, la contemplation et la pénitence. Cf. Xicolas des Orbeaux ( t 1465), Super Sententias compendiiim singulare, Paris. 1511, n. L, dist. XXVI. Denys le Chartreux allègue sur ce point divers théologiens du xiiie siècle. Dans la suite des temps, la liberté fut laissée a chaque homme de choisir entre le mariage et le célibat. Cf. par exemple, saint Bonaventure, dist. XXVI, a. 1. q. m. Car si la vie collective requiert le mariage, comme elle requiert des laboureurs et des soldats, le mariage n’est pas une condition nécessaire de la perfection individuelle : la virginité peut être plus favorable à la croissance spirituelle. Saint Thomas ID-IF, q. clii, a. 2, ad l unt : In 7Vum Sent., dist. XXXIII, q. m. a. 2, ad 2 U "' et 5*™ ; In 7/um Ethic, lect. n. Cf. Sertillanges, op. cit.. p. 466 sq.

Que la virginité soit supérieure au mariage, c’est une vérité reconnue par les canonistes (Freisen, op. cit., p. 26, sq.) et dont la démonstration tient fort à cœur aux théologiens. Tel commentateur des Sentences, comme Bobert Covvton, ms. XCII, fol. 227. de Merton Collège (Oxford), consacrera tous ses développements sur le mariage à l'établir. Et tels autres, comme Nicolas des Orbeaux, loc. cit., rappelleront une sentence fameuse : virginitati attribuitur jructus centesimus, viduitati… sexagesimus, malrimonio… Iriresimus. Cette solution n’allait point sans difficultés théoriques. On objectait : le mariage est de droit naturel, le précepte originel n’a jamais été révoqué, le bien de l’espèce est supérieur à celui des individus, et l’existence même de l’espèce requiert le mariage. Mais saint Thomas montre comment la diversité des vocations est condition de l’harmonie du monde : irfaut. pour que la société vive, des hommes mariés et des contemplatifs.

e) La place du mariage dans la société chrétienne. Les théologiens n’ont pas manqué d’assigner aux gens mariés leur place précise dans la société chrétienne. C’est un lieu commun, à la fin du Moyen Age, de les considérer comme formant un ordre. Abbon l’appelait déjà ordinem, un état. Dans son Histoire de l’Occident. Jacques de Vitry écrit encore, vers 1225. que les gens mariés forment un ordre ; dans un sermon sur les noces de Cana, il élève le sens du mot : Dieu même a institué cet ordre, tandis que les autres ordres, il a laissé aux hommes le soin de les instituer. Sermoncs in epistolas et evangelia dominicalia, Anvers, 1575, p. 156. Au cours du xme siècle, le thème fut popularisé en France par le dominicain Guillaume Pérauld. dans son De eruditione principum, 1. V. c. xxvi et xxvii (que l’on a souvent attribué à saint Thomas) et dans sa Summa virtutum ac nitiorum, ouvrage très répandu, très exploité jusqu’au XW siècle, où il énumère les douze fondements de la dignité et sainteté de l’ordre des époux, t. I, pari. III. tract, iii, c. 15 ; en Aile-