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MARIAGE. DOCTRINE CLASSIQUE, L'ÉTAT DE MARIAGE


ports avec L’expansion du catharisme. En tout cas, une abondante littérature témoigne de l’efforl considérable accompli par les apologistes pour défendre contre les hérétiques la sainteté du mariage.

La philosophie antique vint consolider leurs raisons en leur donnant tout le fondement du droit naturel. En outre, les catégories d’Aristote renforraien ! les cadres de la doctrine, et l’hylémorphisme offrit des suggestions pour une analyse du sacrement qui, d’ailleurs, n'était pas tout à fait nouvelle.

lin fin, depuis le début du XIIIe siècle, les problèmes juridiques relatifs au lien étaient tranchés par voie législative : la théorie du contrat ne présentait plus de difficulté grave.

5. Plan suivi par les théologiens du Moyen Age. Dès la fin du xii c siècle, les théologiens, notamment les commentateurs des Sentences ont pris l’habitude d’insérer l’exposé du mariage dans les cadres si flexibles des quatre causes aristotéliciennes. Ainsi, Guy d’Orchelles, Bibl. nat., ms. lat. 17 501, fol. 87 : les causes matérielles sont les personnes légitimes qui contractent : les causes efficientes sont le consentement mutuel (causa per se) et la copulation charnelle (causa per accidens) ; il y a des causes finales nécessaires : procréation, fuite de la fornication, d’autres utiles : paix, beauté, richesses ; les causes formelles, ad decorationem et ornatum matrimonii sont les solennités religieuses et civiles. Au cours du xme siècle, les quatre causes serviront de litre aux quatre parties du traité du mariage. Ainsi Albert le Grand, saint Bonaventure étudient successivement le mariage secundum catisam formatera (institution : dist. XXVI), secundum catisam efficientem (consentement : dist. XXVII-XXX), secundum causam fmalem (bona : dist.. XXXI-XXXIII), secundum causam formalem (empêchements : dist. XXXIV-XLII). Bien d’autres divisions ont, d’ailleurs, été proposées, qui ne sont pas toujours sans intérêt.

L’ordre que nous suivrons dans l’exposé des doctrines différera de celui que leur modèle imposait aux commentateurs des Sentences et que nous avons déjà fait connaître en indiquant le plan du Lombard : du moins tâcherons-nous de traduire fidèlement la double préoccupation qui les anime. D’abord, avec l’aide de la philosophie et du droit, ils ont distingué les divers aspects du mariage : état, contrat, sacrement, dont la confusion avait embarrassé les anciens canonistes, analysé le consentement qui est leur cause commune. Puis, partant de la notion générale du sacrement, ils l’ont appliquée au mariage pour en reconnaître la matière et la forme, l’efficacité, l’institution. Nous étudierons successivement ces deux ordres de problèmes, qui, certes, ne se présentaient point à l’esprit des docteurs du Moyen Age avec ces cadres didactiques, mais qu’il est commode aujourd’hui d’envisager l’un après l’autre. Les analyses ou les controverses que nous rapporterons, si subtiles ou périmées qu’elles puissent parfois nous paraître, sont celles qui ont préoccupé, passionné tous les théologiens classiques et qui ont préparé les définitions universellement admises aujourd’hui.

1° Première série de problèmes : les dii>ers aspects du mariage. — Le mariage est à la fois un état, un contrat et un sacrement. Chez les chrétiens, l'état de mariage résulte du contrat-sacrement et les trois termes sont inséparables. Mais ils ne sont pas réunis chez les infidèles qui ne reçoivent point le sacrement, dont le mariage n’a point nécessairement pour base un contrat civil ni la reconnaissance du contrat naturel. Et dans tout mariage entre chrétiens il est possible et il paraît en général licite de dissocier, pour les analyser successivement, l'état, le contrat et le sacrement, au sujet desquels se posent des problèmes distincts. Cette divi- [

sion tripartile n’est pas encore rigoureusement établie chez les I liéologiens du xiir siècle, dont la terminologie est parfois hésitante, mais elle sera présentée avec vigueur dis le début du xiv siècle, spécialement par Duns Scot et ses disciples.

I.e mol de mariage peut prêter a équivoque, car tantôt il désigne le contrat, tantôt l’obligation qui en liait, tantôt le signe sensible de la grâce conférée aux contractants. » Report, paris., dist. XXVIII, q. un., h. 20. Et Duns Scot présente les trois définitions, exclu ! l'équivoque et aboutit au corollaire de la séparation du contrat et du sacrement. Mêmes distinctions dans VOpus oxoniense, dist. XXVI, n.l6sq. Les scotistes accuseront vigoureusement les divisions : Miud est malrimonium, aliud est contractas matrimonii et aliud est sacramentum matrimonii, dit Lierre d’Aquila († 1370), dans son Commentaire sur les Sentences, ou il reproduit fidèlement les idées, la lettre même de Duns Scot, dist. XXVI et XXVII, ad l » m. Et il définit ainsi les relations entre les trois termes : Malrimonium est relatio realis extrinsecus adveniens vel ad minus est relatio rationis permanens in animabus conjugum. Gontraclus autem matrimonii est in fieri et est actio vel passio interior vel exterior. Sacramentum autem matrimonii quia est siynum signans contraclum matrimonii simpliciter est in fieri. Même netteté dans les Commentaires de Guillaume de Yaurouillon, op. cit.. fol. 392 et de Guy de Briançon, op. cit., Lvon, 1512, fol. 198.

La distinction n'était pas encore aussi marquée au xme siècle. Nous verrons qu'à ce moment la notion de contrat n’est pas bien assise. On se bornera à observer que le mariage intéresse l’ordre naturel (offlcium naturœ) et l’ordre surnaturel (sacramentum), à quoi l’on ajoute parfois : l’ordre social, i Le mariage en tant qu’il est de l’ordre naturel est régi par le droit naturel ; en tant qu’il est une société, il est régi Italie droit civil ; en tant qu’il est un sacrement, il est régi par le droit divin. » Saint Thomas, Summa contra gentiles, t. IV, c. 78.

Même ceux qui, plus tard, définissent successivement l'état, le contrat et le sacrement, ne l’ont point trois chapitres sous ces titres généraux. Cependant, une grande part de leurs explications nous paraissent rentrer tout naturellement dans ces trois cadres ; chacun peut recevoir une série bien liée, bien distincte de questions importantes. Xous les adoptons pour cette raison pratique, étant bien entendu que, daiiN le mariage chrétien, dont s’occupent presque constamment les scolastiques, les trois termes sont, en fait, inséparables. Simplement trois ordres de questions se présentent.

Celles que soulève l'état de mariage, ou plus précisément la dignité de l'état de mariage, sont résolues par le concours de toutes les sciences philosophiques. Les théologiens se demandent : ce qu’est l'état de mariage, quelle est sa valeur morale et naturelle et la valeur de chacun des actes qu’il autorise, sa place, enfin, dan> la hiérarchie des états entre lesquels peuvent choisir les chrétiens.

1. La dignité de l'état de mariage. — a) Honnêteté du mariage. — La valeur de l'état de mariage a été, dans les derniers siècles du Moyen Age, le sujet de vives disputes. C’est un fait bien connu que l’hostilité d’un bon nombre d'écrivains de ce temps à l'égard des femmes et du mariage. Il nous suffit de rappeler l’esprit satirique de bien des fabliaux (cf. Bédier. Les fabliaux, Paris, 1893, c. x), les dures critiques de la seconde partie du Roman de la Rose, les violentes attaques du clerc Mattheolus de Boulogne-sur-.Mer dans ses Lamentations, édit. Van Hamel, dans Bibl. des Hautes Études, fasc. 95, Paris, 1892, le pessimisme d’Eustache Deschamps. Toute cette tradition lit té.