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    1. MARIAGE##


MARIAGE. GRATIEN ET PIERRE I.OM I ! A ?U)

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ils combattront la théorie qui assimile au mariage les fiançailles Jurées, les hommes du Moyeu Age ne sauront point qu’elle fut professée par Yves de Chartres, et, dans les Sentences, ils ne chercheront point la trace de Hugues « le SaintVictor.

Cependant, les deux ouvrages qui inauguraient la synthèse du droil canon et de la théologie étaient loin de la perfection ; ils ne présentaient qu’un exposé fragmentaire et assez mal coordonné de la théorie du mariage. Sur la formation même du lien, les solutions que proposent Gratien et Pierre Lombard ne manquent point d’artifice, car les textes qu’il s’agit de concilier sont antérieurs aux critères qu’on leur veut imposer ; enfin elles sont divergentes. Or, le Décret et les Sentences vont servir de base à l’enseignement, aux commentaires des canonistes et des théologiens pendant toute la période de formation des doctrines classiques.

Au milieu du xii° siècle, la doctrine de Gratien fut assez généralement acceptée en Italie, tandis que celle de Pierre Lombard régnait en France : plusieurs contemporains relèvent cette antinomie. Esmein, op. cit., t. i, p. 124 sq. Elle se manifeste dans toute sa force jusqu’en 1170, et il nous faut l'étudier dans l'œuvre des canonistes et des théologiens de cette brève période.

1. Les disciples de Gratien.

Peu de temps après la publication du Décret paraissent (vers 1150), les Sommes de Paucapalea et de Roland Bandinelli (le futur Alexandre III), V Abbreuialio d'Ûmnibene (vers 1156), les gloses de Cardinalis (vers 1160), la Summa coloniensis et la Summa parisiensis (vers 1170), et plusieurs traités sur le mariage : Schulte en a signalé quatre dans son troisième Beitrag zur Geschichte der Literatur des Dekrets, p. 34 sq. Cf. J. F. von Schulte, Die Geschichte der Quellen und der Literatur des canonischen Rechts…, t. i. Les décrétistes suivirent assez fidèlement les opinions de Gratien ; sur plusieurs points, ils les précisèrent. Le point essentiel de la doctrine de Gratien, c’est la distinction entre matrimonium initialum et matrimonium ratum. Cette distinction, les canonistes la reproduisent, et on la trouverait aussi dans certains ouvrages de théologie, ainsi dans les Sentences de Roland Bandinelli, édit. Gietl, p. 270 (ces fameuses Sentences renferment presque exclusivement au titre du mariage un traité des empêchements).

Le principal intérêt de cette distinction, c’est que le mariage simplement commencé peut être dissous dans certains cas. Gratien n’a point arrêté la liste de ces cas, mais ses commentateurs les énumèrent. Un Tractatus de matrimonio anonyme, publié par Schulte, Decretistarum jurisprudentiæ spécimen, 1868, p. 18, en compte huit : nouvelle desponsalio suivie de consommation, fornication volontaire du conjoint, rapt, maléfice, entrée en religion, perpétration d’un crime énorme, maladie chronique, longue captivité. Même liste dans la Summa coioniensis. Roland, dans sa Somme, compose une série quelque peu différente : le matrimonium initiatum peut être dissous pour impuissance, maladie de la femme, longue captivité du mari, affinité survenante, folie, parenté spirituelle, rapt à la suite duquel le sponsus ne voudrait plus recevoir sa femme. Summa, édit. Thaner, p. 130, 144, 181, 186, 187, 189, 200.

L^n autre progrès de l’analyse juridique conduisit à formuler une théorie ziouvelle de la formation du lien, différente de celle de Gratien, bien que l’auteur de la Summa coloniensis pense, en la produisant, interpréter sainement le Décret : comparant le mariage à la vente, il considère que le mariage est réalisé au moment de la tradition corporelle. Édit. Scheurl, Die k’nlwickluny des kirchlichen Eheschliessungsrechls.

1877, S 22, p. 168 ; cf. Freisen, op. cit., p. 189. Cette opinion est aussi professée dans la Summa de matrimonio de Vacarius, composée peu après 1156, cf. Magistri Vacarii Summa de matrimonio, dans Lau> quarlerlg Ret’ieiv, I. an, p. 270-287, et l’article de Maitland, ibid., p. 133-1 l'î, reproduit dans ses Collectai Papers, t. iii, p. 87-105. Sur la pratique, celle opinion n’eut gi d’influence. La notion de sacrement n’est point développée par les décrélistes. A la suite de Gratien, ils distinguent le mariage consommé qui, représentant l’union de Jésus-Christ et de l'Église, est sacramentel et le mariage non consommé. Midrimonium aliwl est, quod continet in se Christi et Ecclesiæ sacramentum, idiud non. Matrimonium enim, curnuli conjunclione perfectum, Christi et Ecclesiæ sacramentum continere dit itur. L’triusque siquidem copulu conjunctionem Christi et Ecclesiæ significat, unde sponsa dicitur non pertinere ad matrimonium, quod continet Christi et Ecch.siæ sacramentum. Roland, Summa…, édit. Thaner, p. 130. … primie nupliæ Christi et Ecclesiæ in se continent sacramentum, ibid., p. 156. En d’autres endroits, Roland emploie le mot sacramentum pour signifier l’indissolubilité. On trouverait cette même diversité de sens chez tous les décrétistes : pas un seul ne donne encore au sacrement son sens plein, celui de signe efficace. Freisen, op. cit., p. 34 sq., 173 sq.

2. Les disciples de Pierre Lombard.

La doctrine du mariage exposée par Pierre Lombard eut une diffusion rapide et très étendue.

Parmi les décrétistes mêmes, il semble que le glossateur Cardinalis l’accepte, puisqu’il considère comme parfait et indissoluble le mariage purement consensuel et entend par nuptiale myslerium le maritalis afjectus. Maassen, dans Comptes rendus de l’Académie de Vienne, t. xxiv, p. 23. Cf. Freisen, op. cit., p. 35 sq.

Les résumés des Sentences reproduisent les thèses du Lombard. Bandinus, Sententiarum libri IV, dist. XXVI-XXXV, P. L., t. cxcir, col. 1105-1110.

Quel que soit l’auteur de la Summa Sententiarum. on sait que le Tract. VII, De sacramento conjugii, P. L., t. clxxvi, col. 153-174, appartient à Gautier de Mortagne. M. Chossat, La Somme des sentences, œuvre de Hugues de Mortagne, p. 78 sq. Ses chapitres se rapportent aux empêchements, à la moralité du mariage : un seul, le c. vu traite de la formation du lien : quod juramentum de juluro non facial in præsenti conjugium. La distinction entre la promesse et le consentement actuel y est clairement établie. Même netteté dans deux intéressantes lettres écrites par Gautier de Mortagne en 1155 et dont certains passages pourraient être tirés du c. vii, De sacramento conjugii : la doctrine d’après laquelle les fiançailles jurées constituent le mariage, y est vigoureusement combattue. La séparation entre verba de præsenti et verba de fuiuro fermement marquée. Martène, Velerum scriptorum collectio, 1. 1, col. 834-837 ; cf. W. von Hôrmann, op. cit., p. 209, note 1.

A cause de l’unité de mariage entre le Christ et l'Église, la doctrine commune admet que les secondes noces, bien que licites et honnêtes, ne contiennent point le sacrement de cette union. Summa Sententiarum, P. L., t. clxxvi, col. 172.

3. Les éclectiques.

Si l’antinomie est bien marquée entre la plupart des auteurs qui ont exprimé leur opinion sur le mariage au milieu du xue siècle, il est pourtant des auteurs qui empruntent à la fois au maître de Paris et au maître de Bologne.

Les Sentences de Gandulphe, composées entre 1160 et 1170, marquent un essai d’harmonisation, pas toujours très heureux, comme le note avec raison von Walter, des doctrines de Gratien et de Pierre Lombard. Magislri Gandulphi Bononiensis Sententiarum libri quatuor, Vienne, 1924, p. cxiii. La définition