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MARIAGE. LES PREMIERS SCOLASTIQUES

V.

On pourrait s’attendre à trouver dans V Elucidarium d’Honorius d’Autun des renseignements sur le mariage. Nous n’y avons relevé qu’un texte digne de mention, sur le symbolisme : pcr cumule connubium signi/icidur Christi et Ecclesiæ sacramentum, t. II, c. xvi, /'. L., t. CLXxii, col. 1117. Le fragment Ad conjugatos du Spéculum Ecclesiæ ne renferme rien d’important, ibid., col. 807.

Dans son traité Contra hæreticos, qui est comme un sentenciaire apologétique, Hugues d’Amiens présente le mariage comme l’un des trois états permis aux chrétiens, I. III, c. iv, P. L., t. cxcii, col. 1288-1291. Deux idées sont dignes de remarque dans son bref exposé. D’abord, il semble attribuer une grande importance à la bénédiction nuptiale. S’adrcssant aux hérétiques pour les inviter à régulariser leurs unions : sint sponsæ vestræ, écrit-il, sub sacerdolali benediclione, loc. cit., col. 1290. Et dès le début de ses explications, il insinue que la bénédiction nuptiale garantit la vertu du remède que constitue le mariage contre la concupiscence : conjugulis quippe caslilas sub benedictione sucerdotis remedium est contra incentiva carnis, contra libidincm jornicationis, loc. cit., col. 1288. Ihw autre idée qui, elle, a attiré depuis longtemps l’attention des historiens, est mise en relief par Hugues : il s’agit du caractère non sacramentel des secondes noces. « Le mariage du Christ et de l'Église fut un et singulier ; il commença dans le temps, mais il dure dans l'éternité, loc. cit., col. 1288. Les secondes noces ne représentent donc point cette union durable. Elles sont bonnes, honnêtes, mais non sacramentelles. Sed pro iteratione jam non est singulare, nec habet sacramentum cœlestis conjugii unius et singularis, quo Christus junctus est Ecclesiæ perpétua stabilitate. Quisquis ilaque iterando conjugium de unitale transit ad numerum, de singulari ad plurimum, jam non in se représentât sacrosanctum Christi et Ecclesiæ conjugium, quod singulare permanel in eeternum. » Ibid., col. 1289.

Hors de l'École française, des développements intéressants sur le mariage ont été présentés par le cardinal Robert Pull (J1146), Sententiarum, t. VII, c. xxvih-xxxix, P. L., t. clxxxvi, col. 945-960. Ce petit traité a surtout un caractère moral et pratique. Après un tableau des grandes époques du mariage (c. xxviii-xxx), Robert Pull étudie les devoirs des époux et la valeur de l’acte conjugal, qui est naturel, mais corrompu par la faute d’Adam et appartient à la catégorie des actes qui nullalenus ubsque culpa fiunt (c. xxxi) ; mais la faute n’est pas imputée quand les fins du mariage sont recherchées (c. xxx). Les époux ne peuvent se refuser l’un à l’autre le debitum. Mais il leur est loisible de conclure un pacte de continence, dont Pull examine les conséquences avec sagesse (c. xxxii). Les causes de séparation (c. xxxm-xxxiv), les empêchements (c. xxxv, xxxvi, xxxviii), les fiançailles jurées (c. xxxvii), enfin les biens du mariage (c. xxxix) sont étudiés en de petites dissertations précises, dont la plus intéressante pour notre étude est celle consacrée à la formation du lien conjugal (c. xxxvri). « D’après certains auteurs, écrit Robert Pull, la promesse de mariage appuyée sur la fiance (média fide) est irrévocable ; selon d’autres, le consentement qui fait le mariage, prévaut sur la promesse, même confirmée par un serment. » Pull ne prend point parti, bien qu’il semble enclin à admettre la seconde opinion et montre à l'égard du serment une certaine méfiance, qui, partagée par beaucoup de docteurs, contribuera au discrédit des promesses jurées et de la fiance.

5. Abélard.

Tous ces sentenciaires du début du xiie siècle ont, en vérité, mieux contribué au progrès de la doctrine du mariage que l'œuvre, cependant d’une toute autre ampleur, d’Abélard.

Ce n’est point dans le Sic et non qu’il faut chercher, comme on l’a fait parfois, la pensée d’Abélard sur le mariage. Les c. cxxii à cxxxv constituent des dossiers sans conclusion..Mais dans VEpitome theoloyiæ cliristianæ, qui reproduit sa doctrine, bien que la rédaction soit d’un de ses disciples, Abélard traite du mariage sous ce titre significatif : De conjugii sacramenio et quod non con/ert aliquod donum, sicui calera faciunt, c. xxxi, /'. L., t. CLXXvm, col. 1745. Dans le c. xxviii, il avait déjà expliqué : le mariage est classé parmi les sacramenta spiritualia, bien qu’il ne concoure pas au salut, sed propter inconvenientiam ad salutem est concessum ; et il est le signe d’une grande chose. Dans le c. xxxi, il développe cette idée : le mariage ne confère aucun don, mais il est un remède à la concupiscence et permet d’accomplir sans pèche l’union charnelle. Comme son maître, Guillaume de Champeaux, Abélard distingue : fœderationem de conjugio contrahendo, fœderationem conjugii. La première consiste en une promesse, quando promitlii quod eam accipiat sibi uxorem, la seconde, en des paroles qui expriment la tradition actuelle, Trado me libi ad usum carnis meæ, ita ut, quundiu vixeris, non me alii conjungam. Cette seconde foederatio fait le mariage. Nouvelle ébauche de la distinction que proposera Pierre Lombard. On remarquera quelle force Abélard reconnaît à la promesse : c’est déjà une union, fœderutio. Comme son maître, encore. Abélard montre les vicissitudes du mariage. Puis, il étudie les empêchements, les biens du mariage, le mariage des infidèles.

Dans son Sermon sur l’Annonciation, il examine assez longuement le contenu du consentement matrimonial de Marie et de Joseph. Ce ne fut certes point un consensus commislionis carnalis, on ne peut supposer chez la vierge Marie un renoncement à sa virginité. Les deux conjoints s'étaient simplement promis ut castimoniæ virtutem pari cuslodirent consensu. Serm. i, In Annuntiatione B. V. Mariæ, P. L.. t. clxxviii, col. 381 sq. Ainsi se maintenait, se forti fiait le grand argument théologique en faveur du mariage consensuel.

G. Hugues de Saint-Victor. — Le premier exposé général et très ample de la doctrine du mariage, il le faul chercher dans l'œuvre de Hugues de Saint-Victor († 1141). Hugues a traité du mariage dans la deuxième partie de son principal ouvrage, le De sacramentis christiani ? fidei, P. L., t. clxxvi, col. 479-520. Cette partie a été probablement composée sous le pontificat et par ordre d’Innocent II (1130-1143). Hugues a esquissé encore sa doctrine dans le De B. Mariavirginitate, ibid., col. 857-876. Sur l'œuvre et la bibliographie de Hugues de Saint-Victor, cf. ci-dessus, t. vu. col. 240-308 : la doctrine du mariage est résumée col. 282-283. Le chapitre consacré par Mignon à cette doctrine dans les Origines de la Scolastique, t. ii, p. 235262, est un peu diffus et légèrement faussé par des emprunts nombreux à la Summa sententiarum qui, on le sait aujourd’hui, n’est point l'œuvre de Hugues de Saint-Victor.

Le mariage, fait observer Hugues, est une société. L’homme et la femme, qui est une associée, non point une esclave, bien que légèrement inférieure à l’homme. s’engagent par le pacte conjugal à vivre pour toujours en commun. « Le consentement spontané et légitime par lequel l’homme et la femme se constituent débiteurs l’un de l’autre : voilà ce qui fait le mariage. Le mariage est la société même formée par cet accord des volontés et qui lie les deux époux, débiteur^ mutuels, leur vie durant. » De B. Mariæ virginitate c. i, col. 859, cꝟ. 864, et De sacramentis, t. II, part. XL c. iv, ibid., col. 485. Cette conception, Hugues la justifie par les textes classiques où elle est exprimée. El il insiste sur les caractères que doit présenter le con-