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MARIAGE A I/KPOnUK CAROLINGIENNE


Les faits sont connus, dans leur ensemble sinon dans tous les détails. I.othairc II, roi de Lotharingie, second fils de l’empereur Lothaire ! *, avait épousé, en 855 ou 850, Theutberge ou Thietberge, fille du comte de Bourgogne, Boson. Jusqu'à quel point son consentement a ce mariage fut parfaitement libre, on ne peut le déterminer : il avait alors une maîtresse, Waldrade, et c’est elle qu’il aurait voulu prendre pour femme. Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. iv, p. 238, note 1. En 857, il répudie Theutberge pour épouser sa concubine ; et, pour faire casser son mariage, il invoque un motif particulièrement déshonorant : Theutberge aurait eu des relations incestueuses avec son frère, Hubert, abbé de Saint-Maurice en Valais. Une réunion des grands du royaume se tient en 858 ou 859 pour instruire la cause ; Theutberge, qui affirme son innocence, est soumise à l'épreuve de l’eau bouillante qu’un de ses serviteurs subit en son nom avec succès. Le roi, une première fois battu, reprend l’affaire devant un concile réuni à Aix-la-Chapelle en 860 ; vaincue par les mauvats traitements et abattue par un long emprisonnement, Theutberge avoue ses prétendues fautes, soit en particulier à l'évêque de Cologne, Gunther, soit plus tard par écrit ; en 862, un nouveau concile d’Aix-la-Chapelle déclare nul son mariage, et le jour de Noël 862, le roi épouse solennellement Waldrade. Mais Theutberge, ayant recouvré sa liberté, en appelle au pape Nicolas I er, de cette décision qui la lèse et la déshonore. Le pape envoie deux légats, Rodoald de Porto et Jean de Ficoclæ avec mission d’instruire à nouveau le procès et de le juger dans un concile tenu à Metz ; il leur fait parvenir un monitoire très ferme pour leur indiquer la marche à suivre et leur recommander la fermeté ; mais les légats se laissent gagner par des présents et le concile de Metz confirme la décision d’Aix-la-Chapelle. C’est alors que le pape prend lui-même l’affaire en mains. Il est pleinement convaincu et de l’innocence de Theutberge, et de l’irrégularité des procédures qu’on a suivies pour la condamner. Il dépose les évêques les plus coupables et casse la sentence de ses légats et du concile. Malgré les menaces de l’empereur Louis II, frère de Lothaire, qui vient même assiéger Rome, il excommunie Waldrade, menace d’excommunier Lothaire, obtient que celui-ci reprenne sa femme et toujours refuse d’autoriser le divorce, même quand la malheureuse reine, maltraitée par son époux, demande la permission de se retirer dans un monastère, pour laisser la place libre à Waldrade. Lothaire était tellement dominé par sa passion que Nicolas I er mourut sans avoir eu la joie de terminer l’affaire. Son successeur Adrien II allait sans doute la terminer dans un synode romain quand Lothaire mourut le 8 août 869. Cf. R. Parisot, Histoire du royaume de Lorraine sous les Carolingiens (843-923), Paris, 1898, p. 146 sq., HefeleLeclercq, Histoire des Conciles, t. iv, p. 237 sq., 287 sq., 313 sq., 360 sq.

1° Le pape Nicolas I" et le divorce de Lothaire. — Quand on parcourt la liste des pièces que Jaffé cite de ce pape, on est immédiatement frappé du nombre considérable de lettres qui ont été écrites pour régler cette affaire. Pour la première fois, l'Église se sentait assez forte pour intervenir et réprimer fermement chez les princes ce qu’elle ne permettait pas aux fidèles, et pouvant le faire, elle comprenait que c'était son devoir. Il s’agissait de savoir si les rois étaient ou non soumis aux lois de l'Évangile comme les sujets, si devant les passions des rois l'Église se tairait, au risque de scandaliser les petits, ou protesterait, au risque de déchaîner contre elle des orages. Aussi dans une affaire d’une telle importance, le pape ne se ménage pas ; dès qu’il a pris la chose en mains, en 862, c’est au

moins quarante pièces qu’il lui consacre : lettres à Lothaire ou aux rois ses parents, qui peuvent avoir quelque influence sur lui, aux archevêques et évêques des divers royaumes ou à tel d’entre eux sur qui il compte, discours dans le synode réuni au Latran. Jaffé, lier/esta, t. i, n. 2697, 2698, 2699, 2700, 2701, 2702, 2707, 2723, 2725, 2726, 2729, 2748, 2749, 2750, 2751. 2752. etc. Dans ce seul fait, se trouve une double affirmation : que l’indissolubilité du mariage est une loi assez importante pour que l’Eglise soit prête à tout sacrifier plutôt que de la laisser violer, et que devant une telle loi, les rois comme les sujets sont tenus à l’obéissance.

Quant aux motifs allégués par Lothaire pour obtenir l’annulation de son mariage, le pape ne les accepte pas :

1. Un premier était l’inceste imputé à Theutberge avant son mariage. Il semble en effet que ce crime ait été, au ixe siècle et au moins en Gaule, considéré comme un empêchement de mariage : Hincmar, nous le verrons, le regarde comme tel. Cf. Hefele-Leclercq, t. iv, p. 238, note. Nicolas Ie ' ne croit certainement pas que Theutberge soit coupable ; mais nulle part il ne dit que le mariage serait nul si elle l'était ; au contraire il semble, à sa manière de parler, que même en ce cas le mariage serait valide. Il n’est donc pas exact de dire simplement que c'était un des points de la législation ecclésiastique matrimoniale. Dans la lettre que le pape adressait à Adon, archevêque de Vienne, et qui est sa première intervention personnelle dans l’affaire du divorce royal, il répond ainsi aux questions que l’archevêque lui avait posées : a) Un homme, légitimement marié, n’a pas le droit de prendre une autre épouse du vivant de la première, même s’il l’a renvoyée, et il n’a pas davantage le droit d’avoir une concubine. — b) Si une femme avait été déflorée, et qu’ensuite, ne le sachant pas, quelqu’un l'épouse et ait commerce conjugal avec elle, il ne peut dans la suite la renvoyer sous prétexte qu’elle avait été déflorée par un autre, ni prendre une autre femme, comme si la première n'était pas légitime épouse, ni avoir une concubine. Jaffé, n. 2697 ; P. L., t. exix, col. 797.

Dans la suite, divers autres prétextes furent invoqués, et Theutberge elle-même, lassée de la vie commune, qui était pour elle une cause de mauvais traitements continuels, les avait proposés au pape pour qu’il lui permît de reprendre sa liberté.

2. Elle disait que Waldrade avait été avant elle mariée à Lothaire. Le pape lui montre qu’il n’est pas dupe de son affirmation ; il lui reproche de se faire, par crainte et lassitude, l'écho des réclamations du roi ; et en tout cas, il lui dit à elle puis à Lothaire, que jamais il ne lui permettra d'épouser Waldrade : « Même si Theutberge mourait, dit-il au roi, jamais, par aucune loi, par aucune règle, tu ne pourras ni tu n’auras la permission d'épouser Waldrade. Que Waldrade ait été ton épouse légitime, l'Église n’a pas besoin du témoignage de Theutberge (pour savoir la vérité). Nous savons une chose : c’est que ni nous, ni la sainte Église ayant l’autorité de Dieu qui jugera les adultères, nous ne te laisserons impuni si jamais tu reprends Waldrade, même Theutberge étant morte. » Jaffé, n. 2873 ; P. L., t. exix, col. 1148 ; cf. Jaffé, n. 2870 ; P. L., col. 1137.

3. Theutberge proposait d’entrer en religion pour laisser Lothaire libre de suivre sa passion. Le pape le lui interdit, P. L., col. 1138, et il le redit au roi : elle ne peut se retirer dans un monastère à moins que le roi lui-même ne promette de garder la continence. Et avec un peu d’ironie, le pape insiste : Si ergo hoc modo vis, nos grato permiltimus animo celeremque prsebemus assensum… Si utrisque conveniat conlinentem