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MARIAGE DANS LES PÈRES. APRÈS SAINT-AUGUSTIN

la question et fait cette observation très juste : « Pour nous, catholiques, dont la règle de foi principale se trouve dans une autorité infaillible et toujours vivante, pour nous qui nous glorifions à bon droit de posséder dans les définitions de cette autorité un fondement solide de nos croyances, auquel ne peut suppléer aucun des secours qu’ont à leur disposition les sectes dissidentes, il y aurait inconséquence et danger à vouloir montrer que nous pouvons prouver péremptoirement tous nos dogmes en dehors de ces définitions. » Principes de la critique historique, Liège, 1883, p. 114, 115. Il faut se souvenir de cette remarque chaque fois que l’on veut remonter à l’origine de nos dogmes. Et pourtant il convient de ne pas minimiser à l’excès les renseignements doctrinaux des Pères. On les eût étonnés en leur posant certaines questions de théologie sacramentaire qui nous sont maintenant familières. Mais nous qui connaissons cette théologie et qui l’appliquons au mariage, nous retrouvons sans peine dans leurs écrits les principaux éléments de la doctrine, à savoir : mariage institué par J.-C, sanctifié par lui, bénit par l’Église, assurant aux époux les secours divins, les portant à vivre saintement, à l’imitation des rapports très saints qui unissent le Christ et l’Église, source de sanctification et de grâces. Il ne reste pas un grand pas à faire pour que ce contenu, doctrinalement très riche, s’achève et se couronne par la doctrine sacramentaire : ce sera, mais après bien du temps, l’œuvre des théologiens.

II. Après saint Augustin.

I. LES DERNIERS PÈRES.

La dernière période de l’âge patristique nous fournira une moisson moins abondante. Ce n’est plus le temps des grandes hérésies qui obligeaient à creuser les dogmes, ni des grands génies capables de ce travail ; les circonstances d’ailleurs étaient peu favorables à la recherche sereine de la vérité ; car les invasions qui commençaient forçaient l’Église à reprendre sur les barbares le travail d’enseignement et d’adaptation des âmes aux doctrines et aux préceptes évangéliques ; il ne s’agissait pas d’approfondir la vérité révélée, mais de l’apprendre aux peuples nouveaux qui se pressaient pour envahir l’Empire romain.

Aussi trouverons-nous plutôt des solutions de cas de conscience, des applications nouvelles de la morale chrétienne du mariage, qu’un véritable progrès dans la connaissance du dogme.

Saint Léon le Grand.

Il eut à résoudre deux fois des difficultés pratiques au sujet de l’indissolubilité du mariage. Ses réponses présentent un certain intérêt, l’une parce qu’elle montre la fidélité scrupuleuse avec laquelle l’Église voulait maintenir la loi de l’Évangile, l’autre parce qu’elle nous fait connaître un point de discipline assez curieux.

La campagne d’Attila en Italie, 452, avait été funeste pour les armes romaines ; un grand nombre de villes avaient été prises, pillées et ruinées, et des captifs avaient été emmenés par les Barbares. Nicétas, évêque d’Aquilée, expose au pape la difficulté qu’entraîne cet état de choses. Les femmes de ces prisonniers sont sans nouvelles, de leurs maris ; elles peuvent les croire tués ; elles ont pensé en tout cas qu’ils ne reviendraient jamais de captivité ; et il en est qui, trouvant la solitude trop pesante, se sont remariées. Maintenant que la situation s’est améliorée, plusieurs de ceux que l’on croyait perdus sont revenus. L’évêque est embarrassé et recourt au pape pour savoir comment résoudre ce cas. Déjà saint Basile avait posé une règle pour une difficulté semblable, et il concluait à l’indissoluble valeur du premier mariage. Epist., cxcix, can. 31, P. G., t. xxxii, col. 727. Saint Léon maintient la même solution, seule conforme à la loi évangélique : necesse est ut legitimarum foedera nuptiarum redintegranda credamus…, omnique studio pro curandum est ut recipiat unusquisque quod proprium est. Epist., clix, 1, P. L., t. liv, col. 1136.

La lettre à Nicétas est de 458. Vers la même époque, le pape eut à répondre à une série de questions que lui avait posées Rusticus, évêque de Narbonne. Plusieurs ont trait au mariage. Une première série comprend les questions 4, 5 et 6. Il s’agit dans toutes trois d’une situation semblable : un homme qui a pris pour concubine une de ses esclaves peut-il encore se marier ? Cette union n’est-elle pas un vrai mariage qui lui interdit tout mariage subséquent du vivant de sa concubine ? Le pape est formel. Une concubine n’est pas une épouse : aliud est uxor, aliud concubina, Epist., clxvii, inquis. iv, P. L., t. liv, col. 1204 ; cf. inquis. vi, ibid., col. 1205. Bien plus, l’esclave ne peut devenir l’épouse légitime d’un homme libre ; il n’y a mariage légitime qu’entre personnes libres de condition égale : c’est une loi établie par la volonté de Dieu avant que le droit romain n’eût commencé d’exister. Aucun mariage par conséquent entre cet homme et sa concubine. Saint Léon énonce cette conclusion dans une phrase admirable par sa plénitude de sens comme elle l’est par son élégance littéraire : Unde cum societas nuptiarum ita ab initio conslituta sit, ut præter sexuum conjunctionem haberet in se Christi et Ecclesiee sacramentum, dubium non est eam mulierem non pertinere ad matrimonium, in qua docetur nuptiale non fuisse mysterium. Ibid., inquis. iv, col. 1204. En pratique, il faut donc que l’union illégitime soit dissoute pour faire place à l’union légitime, que la concubine s’en aille pour laisser entrer l’épouse : ancillam a toro abjicere et uxorem cerise ingenuitatis accipère, non duplicatio conjugii, sed profectus est honestatis. Ibid., inquis. vi, col. 1205. Les questions xiv et xv avaient rapport au mariage des moines ou des vierges qui ont reçu l’habit religieux. Saint Léon ne semble pas considérer de tels mariages comme invalides ; il blâme et soumet à la pénitence les moines infidèles, quia etsi… honestum potest esse conjugium, electionem meliorum deseruisse transgressio est, inquis. xiv, col. 1207 ; pour les vierges, il ne parle pas de pénitence, il dit seulement : prœvaricantur, etiamsi consecratio non accessit. Inquis. xv, col. 1208.

Saint Grégoire le Grand.

C’est encore de questions pratiques qu’il s’occupe principalement à propos du mariage. Nous citerons comme plus importantes une solution d’un cas particulier dans le sens de l’indissolubilité, et sa doctrine sur la licéité de l’acte conjugal.

1. Indissolubilité.

La loi civile, voulant maladroitement favoriser les vocations à l’état religieux, déclarait que, si un des époux voulait entrer dans un monastère, alors même que l’autre préférait rester dans le monde, le mariage était rompu, cf. Justinien, Novelles, cxxiii, P. L., t. lxxii, col. 1057. A deux reprises, au moins, saint Grégoire revendique, contre la loi civile, les droits du mariage indissoluble. C’est d’abord dans une lettre à la pastricia Théoctiste, Epist., t. XI, xlv, P. L., t. lxxvii, col. 1161. Il n’admet pas que l’entrée en religion d’un époux soit une cause de rupture du mariage. La loi humaine peut le permettre, la loi divine le défend. Ceux qui soutiendraient une pareille erreur ne sont plus chrétiens : qui a christiani non sunt, dubium non est. Eosque et ego, et omnes catholici episcopi aique universa Ecclesia, anatliematizamus, qui a veritati contraria sentinnt, contraria loquuntur. Si les deux époux veulent, chacun de son côté, mener une vie de continence, soit par désir de perfection, soit pour expier leurs fautes, on ne doit pas les en empêcher : mais si l’un d’eux refuse d’embrasser la vie religieuse, le mariage