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MARIAGE DANS LES PERES. LES SECONDES NOCES


celui-ci pèche-t-il en convolant à de secondes noces ? » Le Pasteur répond : « Non, il ne pèche pas ; mais en demeurant seul, il s’acquiert auprès du Seigneur plus de considération et plus de gloire ; cependant il ne pèche pas en se remariant. » Mand. IV, iv, 1-2, éd. Lelong, p. 88. 89.

Cette justification des secondes noces devait déplaire à la rigueur de Tertullien ; devenu montaniste, il parle de cette Écriture du Pasteur, quæ mœchos amat, et il la met en opposition avec l'Écriture du vrai Pasteur, de celui dont les paroles ne peuvent être révoquées, De pudicitia, x, P. L., t. ii, col. 1000 ; et bien. que cette allusion au Pasteur ne soit pas directement faite à propos des secondes noces, nous savons suffisamment ce qu’il en pensait pour conclure à l’opposition irréductible qui existait entre sa doctrine et celle d’Hermas. Mais Tertullien à ce moment n’est plus de l'Église ; avant sa défection, alors qu’on peut voir en lui un témoin de la croyance, il n’est certes pas tendre pour les secondes noces contre lesquelles il prémunit sa femme ; pourtant il' ne les regarde pas comme une faute. Sa pensée se résumerait assez justement dans le commentaire qu’il fait de deux paroles de saint Paul : Apostolus de uiduis et innuptis ut ita permaneant suadet cum dicit : cupio autem omnes meo exempta perseverare (I Cor., vii, 7). De nubendo vero in Domino, cum dicit : tantum in Domino, jam non suadet, sed exserte jubet. Ad uxorem, ii, 1, t. i, col. 1289, 1290.

La sévérité de Tertullien ne se retrouvera plus que chez saint Jérôme. Car on ne saurait faire état de certains textes, parfois invoqués, qui ne vont pas ad rem, ni d’un passage de Minucius Félix, Octavius, xxiv, P. L., t. iii, col. 315, qui s’applique aux femmes divorcées de Rome païenne ; ni d’une allusion que fait saint Irénée à la Samaritaine et à son inconduite, Contra hæres., III, xvii, 2, P. G., t. vii, col. 930 ; ni d’un texte de saint Justin qui, selon toute vraisemblance, a trait à la polygamie simultanée, Apolog., i, 15, P. G., t. vi, col. 349, 350.

Saint Ambroise n’aime pas les secondes noces. Dans son Hexæmeron, t. V, 62, 63, P. L., t. xiv, col. 232, 233, il propose à la veuve chrétienne l’exemple de la tourterelle qui garde la fidélité au compagnon qu’elle a perdu et il rappelle à cette occasion le conseil de saint Paul : Optât Paulus in mulieribus quod in turturibus persévérât. C’est donc un désir, une exhortation, non un ordre. Il est plus net encore dans son opuscule De viduis, composé pour exalter la noblesse des veuves qui restent telles pour le service de Dieu ; il ne fait que reproduire les paroles de l’Apôtre et les commenter : quod tamen pro consilio dicimus, non pro præcepto imperamus, provocantes potius viduam quam ligantes ; neque enim prohibemus secundas nuptias, sed non suademus… Ptus dico : non prohibemus secundas nuptias, sed non probamus ssepe repetitas ; neque enim expedil quiquid licet. 68, t. xvi, col. 254. De telles formules sont pleines de sens : il est plus parfait de garder la virginité, mais le mariage est cependant permis ; il est plus parfait de demeurer dans le veuvage, et pourtant les secondes noces ne sont pas défendues ; et des mariages ultérieurs encore, même souvent répétés à la suite de veuvages multipliés, sont toujours permis, quoiqu’ils ne soient pas à approuver. Aucun doute n’existe dans l’esprit d’Ambroise sur la licéité morale de ces mariages successifs.

Avec saint Jérôme, nous devons nous attendre à retrouver la tendance à la sévérité, étant donnée la manière dont il parle du mariage lui-même. Il sait pourtant que saint Paul a permis aux veuves de se remarier ; c’est vrai, dit-il, mais ce n’est pas de son plein gré qu’il a accordé cette permission, et n’est-il

pas à craindre qu’on n’en abuse pour multiplier les remariages ? Et sans doute ces mariages, même nombreux, ne sont pas condamnables, Jérôme le sait bien ; pourtant il emploie pour les permettre une comparaison insultante qui semble bien indiquer qu’il voudrait bien pouvoir les condamner : Verum fac ut concesserit Paulus secunda matrimonia ; eadem lege et tertia concedit, et quarla, et quotiescumque vir moritur. Alulta compellitur Apostolus velle quæ non vult… Non damno digamos, imo nec trigamos et, si dici potest, oclogamos ; plus aliquid inferam, etiam scortatorem recipio pœnilentem. Quidquid œqualiler licet, œquali lance pensandum est. Adv. Jouin., i, 15, P. L., t. xxiii, col. 234. Cf. Epist., xi.viii, ad Pammachium, 9, t. xxii, col. 499. Comparer ces mariages répétés à la pire débauche, n’est-ce pas les condamner ? Quand saint Jérôme dit qu’il ne les repousse pas, pas plus qu’il ne rejette le débauché repentant, à ne voir que ce texte, on se croira autorisé à conclure qu’il y trouve une faute morale. Mais avec ce terrible homme, il faut y regarder à deux fois avant de prendre à la lettre un texte, surtout quand Jérôme écrit sous l’influence de la passion ; on n’est sûr de sa pensée que quand il ne bataille plus. Au moment du combat il ne mesure pas plus ses expressions qu’il ne pèse la valeur de ses arguments : peu lui importe où il frappe. Et par exemple, il prétend trouver, dans le nombre des animaux admis dans l’arche et sauvés du déluge, un blâme pour les secondes noces : In duplici numéro ostenditur aliud sacramentum, quod ne in besliis quidem et in immundis avibus digamia comprobata sil. Adv. Jovin., i, 16, col. 236. Prendre à la lettre des affirmations aussi paradoxales serait se méprendre sur la pensée de Jérôme. Ce qu’il veut, c’est anéantir les objections que l’on a osé élever contre la sainte virginité ; c’est relever dans les âmes l’estime de cette belle vertu et maintenir leurs aspirations vers l’idéal du renoncement évangélique ; c’est convaincre les chrétiens qu’ils doivent chercher ce qui plaît à Dieu et que, dans cette recherche, il ne convient pas qu’ils mesurent avec parcimonie leur bonne volonté. Vouloir le plus parfait, telle est la disposition que Jérôme voudrait créer dans les âmes qui en sont capables. Et en somme, sa doctrine reste la même, au sujet des secondes noces, que celle de Paul. C’est le sens évident de ce passage très important du même traité contre Jovinien : Concedit quidem Deus nuptias, concedit digamiam et, si necesse fuerit, fornicationi et adulterio prsefert etiam trigamiam. Sed nos qui corpora nostra exhibere debemus hostiam vivam, sanctam, placentem Deo…, non quid concédât Deus, sed quid velit consideremus… Quod concedit, nec bonum, nec beneplacens est, nec perfectum… Aliud est voluntas Dei, aliud indulgentia, n. 37, col. 262, 263. Il revient sur ces mêmes considérations dans une lettre qu’il écrit vers 409 à la veuve Ageruchia pour la déterminer à persévérer dans le veuvage : Dux sunt Apostoli voluntates, una qua prxcipit,, ., altéra qua indulget… Primum quid velit, deinde quid cogatur velle demonstrat. Vult nos permanere post nuptias sicut seipsum… Sin autem nos viderit nolle quod ipse vult, incontinentise nostra : tribuit indulgentiam. Quame duabus eligimus volunialem ? quod magis vult et quod per se bonum est ? an quod mali comparatione fit levius et quodam modo nec bonum est quia prxjertur malo ? Ergo si eligimus quod Apostolus non vult, sed velle compellitur, … non Apostoli, sed nostram facimus voluntatem. Epist., cxxiii, 7, t. xxii, col. 1050.

Plus nette est la pensée de saint Augustin. Dans le De bono viduitalis, il félicite « la religieuse servante de Dieu Juliana » d’avoir persévéré dans le veuvage, mais pour l'éclairer sur la valeur de son état, il ajoute : Hoc primum oportet ut noveris bono quod ele-