Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.2.djvu/341

Cette page n’a pas encore été corrigée
2087
2088
MARIAGE DANS LES PÈRES. VALEUR MORALE


se laissa plus d’une fois emporter par sa fougue, au point de faire scandale, et plusieurs de ses raisonnements semblent rapprocher sa pensée de celle de Tertullien : il prend d’ailleurs à celui-ci des mots et des phrases caractéristiques, sans en avertir le lecteur. Comparer, par exemple, Tertullien, De monogamia, 3, P. /-., t. ii, col. 932 et Jérôme, Adv. Jovin., i, 7. I. xxiii, col. 218 ; De mono ; L, ibid., col. 933 et Adv, Jovin., i. 9, col. 222. Nous verrons plus loin comment il dut revenir en arrière et adoucir certaines de ses affirmations qui sentaient l’erreur encratite.

2° Doctrine de l'Église. - On ne comprendra bien la pensée des Pères que si on a présentes à l’esprit les deux remarques suivantes :

La comparaison entre le mariage et la continence repose sur la distinction entre les préceptes et les conseils. La morale de l'Évangile et de l'Église est à deux degrés. Il y a les lois morales imposées à tous : ces lois laissent une grande marge à la liberté humaine, et par exemple, sauf circonstances spéciales, chacun demeure libre de se marier ou non ; la décision une fois prise, la loi morale, qui s’adapte aux situations diverses, reprend ses droits : il y a des obligations de chasteté pour les personnes mariées comme il y en a pour celles qui ne se marient pas. Mais à certaines âmes, ces lois elles-mêmes se suffisent pas ; elles sont capables de viser plus haut et Dieu les y invite. Elles entrevoient une vie plus élevée que celle du commun des hommes, vie de prière, de sacrifice, d’apostolat, vie dans laquelle on s’oublie davantage soi-même et ses propres intérêts afin de pouvoir sans lien terrestre se consacrer aux intérêts de Dieu et du prochain. Ce renoncement total, Dieu ne l’impose pas, il le propose, et c’est la vocation religieuse ou sacerdotale ; les divers degrés de ce renoncement, Dieu les propose également, même aux âmes qui n’ont pas entendu l’appel au renoncement total ou n’ont pas eu le courage de le suivre. Ce sont les conseils évangéliques, les nvitations adressées par Dieu aux âmes qui veulent bien être de l'élite. L’existence de cette morale supérieure à la morale ordinaire n’est pas la condamnation de celle-ci ; il y a bien des demeures dans la maison du Père, non seulement au ciel, mais sur terre. De ce que certaines âmes ont la générosité de renoncer au mariage, qu’elles suivent une voie meilleure, il n’en résulte pas que le mariage soit condamnable, de même que le renoncement aux richesses de la terre par la pauvreté évangéiique n’est nullement une condamnation de ceux qui possèdent. L'Église maintient la distinction faite par Jésus luimême entre la voie à suivre si l’on veut se sauver, celle des préceptes communs, et la voie qui mène à la perfection, celle des conseils. Matth., xix, 17 et 21. Cf. É. Baudin, L'Évangile, Paris, 1921, p. 228, note 2.

Quand l'Église compare mariage et virginité, elle compare état à état et non pas âme à âme. Elle ne prétend pas que toute âme, par le fait seul qu’elle a renoncé au mariage, est parfaite et que toute âme liée par le mariage, est vouée à la médiocrité. On se sanctifie dans le mariage, si par ailleurs on a la générosité de pratiquer d’autres actes de renoncement ; et par contre on peut garder la continence et manquer à d’autres obligations très graves. C’est la réflexion qu’après saint Jérôme L. Duchesne fait très justement en parlant des ascètes du IVe siècle : « On répétait sans cesse que, toutes choses égales d’ailleurs, la virginité l’emporte sur le mariage, représente un état meilleur, plus méritoire pour l’autre vie… Nul ne' songeait [cependant] à placer un mauvais moine ou une vierge frivole au-dessus d’un père ou d’une mère de famille fidèle à ses devoirs. » Hist. anc. de l'Égl., t. ii, p. 559.

1. Comparaison entre le mariage et la virginité'. — r La doctrine constante des Pères est admirablement

l exposée dans ce passage de Tertullien : Sanctitatem (la virginité) sine nuptiarum danmatione novimus et sectamur et præferimtu, non ut malo bonum sed ut bonomelius. Adv. Marcion., I, xxix, R L., t. il, col. 280. Tous les texles que nous citerons rendront le même son ; car c’est en faisant appel aux affirmations des auteurs condamnés ou en donnant à certaines expressions de controversistes une importance qu’elles ne méritent pas que l’on a pu attribuer à l'Église des premiers siècles une certaine défaveur et comme un mépris pour l'état de mariage.

ai Pères du IIe siècle. — Le Pasteur d’IIermas veut sauvegarder les saintes lois de la fidélité conjugale : « Je t’ordonne de garder la chasteté. Ne laisse jamais entrei dans ton cœur la pensée d’une femme étrangère… Souviens-toi toujours de ton épouse et tu ne t'égareras jamais… « Mand, îv. i, 1, édit. Lelong, p. 80, 81. Plus loin, n. 7 et 8, p. 82, 83, il ordonne au mari de reprendre sa femme coupable et repentante, car « en ne la reprenant pas, il pécherait et se chargerait d’une lourde faute ».

Saint Ignace, f 107, vante la continence, mais veut qu’on se garde de l’excès : Si un fidèle, pour honorer la chair du Seigneur, peut garder la continence, qu’il la garde, mais sans orgueil. S’il en conçoit de la vanité il est perdu. » Ad Polycarp., v, 2, P. G., t. v, col. 723, 724.

L'Épître à Diognète, v, 6, dit que les chrétiens se marient et ont des enfants comme tout le monde. P. G., t. ii, col. 1173, 1174 ; Funk, Opéra Pair, apostol., t. i, p. 318, 319, Tubingue, 1887.

Saint Justin compare les mœurs chiéticnnes à la corruption païenne, et voici comme il en parle : « Nous ne contractons mariage que pour avoir des enfants ; ou, si nous ne nous marions pas, nous restons dans une continence perpétuelle. » Apolog., i, 29, P. G., t. vi, col. 373.

Denys de Corinthe, vers 160, écrit à Pinytos, évêque de Cnossos, de ne pas imposer sur le cou des frères le lourd fardeau de la continence comme une obligation nécessaire, mais d’avoir égard à l’infirmité de la plupart des hommes. Eusèbe, H. E., IV, xxiii, P. G., t. xx, col. 387, 388.

Vers la fin du n 1 siècle, Minucius Félix décrit ainsi la vie des chrétiens : Unius matrimonii vinculo libenter inhferemus, … plcrique inviolati corporis virginitate perpétua fruuntur polius quam glorianiur ; tantum denique abest incesti cupido ut nonnullis rubori sit etiam pudica conjunctio. Octavius, 31, P. L., t. iii, col. 337.

b) Dans l’Eglise grecque. — Clément d’Alexandrie revient à diverses reprises sur ce sujet dans ses Stromates. Dieu, dit-il, nous laisse libres de nous marier ou de garder la virginité, t. III, c. ix, P. G., t. viii, col. 1169, 1170. Dieu est avec ceux qui vivent honnêtement dans le mariage comme avec ceux qui gardent la continence. Ibid., c. x. Le mariage n’est pas péché, et ni Jésus ni saint Paul ne l’ont condamné. C. xii, col. 1177 sq.

Saint Athanase, écrivant à Amoun, supérieur de monastères en Egypte, célèbre le bonheur de celui qui, dans sa jeunesse, a contracté librement mariage et s’est servi de sa nature pour avoir des enfants ; puis, comparant à ce mariage la virginité, il ajoute : « Il y a deux voies dans la vie ; l’une plus facile et plus commune, celle du mariage ; l’autre supérieure et digne des anges, la virginité. Si l’on choisit la voie commune, le mariage, on ne mérite pas de blâme, mais on ne reçoit pas autant de grâces. » Epist. ad Amun. mon., P. G., t. xxvi, col. 1173, 1174.

Saint Basile, ou l’auteur du ive siècle qui a écrit le Liber de vera virginis inlegritate, expose aux vierges les devoirs à pratiquer et les précautions à prendre pour rester fidèles. Mais, loin de blâmer le mariage, il