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MARCION. HISTOIRE DU MARCIONISME


les vérités enseignées par l'Église, S’il est paradoxal au dernier point de prétendre, avec nombre de critiques libéraux, que les principes généraux du catholicisme, autorité de l'Écriture et de la tradition, suecession apostolique, dépôt de la foi, valeur de l'Église, se sont formés, par une sorte de génération spontanée, en réaction contre le marcionisme, il est clair néanmoins que de ces principes les écrivains catholiques ont été amenés à prendre une conscience de plus en plus nette en l’ace des outrances marcionites.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs des motifs qui ont amené ce développement extraordinaire de la secte, il semble que, pour l’Occident du moins, le péril soit conjuré vers le milieu du rne siècle. Les gains très importants que fit alors le catholicisme dans les diverses régions finirent sans doute par lui donner la prépondérance sur le marcionisme. Les premiers polémistes avaient fait remarquer, avec beaucoup d’humeur, que la propagande marcionite, assez peu soucieuse de convertir les païens, cherchait surtout ses recrues au sein de la grande Église. Celle-ci se fortifiant, prenant plus nette conscience de sa mission et de ses devoirs, moins tracassée par l’autorité romaine, semble avoir mieux résisté aux tentatives de débauchage. En tout cas, vers 250, le danger marcionite semble, en Afrique, beaucoup moins inquiétant qu’un demi-siècle plus tôt ; saint Cyprien, lors de la querelle sur le baptême des hérétiques, ne parle guère de la secte que par ouï-dire, et ne semble pas avoir de la doctrine marcionite une connaissance personnelle. A Rome, la façon dont Novatien polémique à l’occasion contre elle n’indique pas non plus une animosité particulière. Les textes sont relevés dans Harnack, p. 335* n. 5. Les allusions qu’y fait le pape Denys dans sa lettre à Denys d’Alexandrie n’impliquent pas davantage une préoccupation spéciale, Ep. adv. Sabell., dans Athanase, De décret. Nie, c. 26, P. G., t. xxv, col. 464 A. Au milieu du ive siècle, il n’y a plus de montanistes en Occident ; si l’on en parle, c’est à l’occasion de la polémique antimanichéenne et antipriscillaniste, et parce que l’on a remarqué, en lisant les vieux hérésiologues, la parenté extérieure qui unit les sectes nouvelles à l’ancienne.

Il en est autrement en Orient, où l'Église marcionite conserva longtemps une belle vitalité. Elle avait connu, comme l'Église catholique, la persécution au temps de Valérien puis de Dioclétien, et pouvait se faire gloire de quelques martyrs ; elle profita comme sa rivale de la tolérance accordée par l'édit de Milan. On sait que cet édit proclamait la liberté presqu’absolue des cultes. Les marcionites en bénéficièrent comme toutes les autres confessions religieuses ; leurs lieux de culte purent se montrer au grand jour et il s’est retrouvé à Deïr-Ali, à 5 kilomètres au sud de Damas, une inscription qui figurait sur la façade de l'église marcionite du lieu : a)M<x.yoiyq [Aaxpicovicrrcov ; elle est datée de l’an 630 des Séleucides = 318-319 de notre ère. Sur cette inscription, voir Harnack, p. 341*-344*. qui renvoie à d’autres travaux publiés par lui sur le sujet. Au fait c’est surtout dans la Syrie méridionale et en Palestine que prospérait le marcionisme. Cyrille de Jérusalem y insiste plusieurs fois dans ses catéchèses, vi, 16 ; xvi, 3 ; xviii, 26, P. G., t. xxxiii, col. 564, 921, 1048. A Laodicée de Syrie, le symbole baptismal dirige expressément son premier article contre le marcionisme : IIt.aTeyofi.Ev sic sva Ôeôv, tou- : £<mv£?ç jjûav àpx’rçv, tov ŒÔvtou vô|i.ou xal sùayyeXîou. i$b « xiov Jeal àya66v. Cf. Caspari, Allé und neue Quellen z-ir Geschichte des Taufsymbols, Christiania, 1879, p. 20, cf. p. 138 sq. En Chypre, la ville de Salamine. au dire de Jean Chrysostome, était littéralement assiégée par l’hérésie marcionite. Epist., ccxxi, P. G., t. lii, col. 733. Antioche, à en juger par les nombreuses

allusions du même saint, ne devait pas être en bien meilleure posture. Mais surtout la densité du marcionisme et son Influence croissaient quand on pénétrait dans les régions de langue syriaque. A la fin du IVe siècle, il constitue, de concert avec le manichéisme, le grand rival de l'Église catholique. Saint Éphrem en est fort préoccupé et multiplie contre lui les attaques ; un demi-siècle plus tard, Théodoret évêque de Cyr, dans la Syrie euphralésicniie, luttait encore contre lui, et obtenait, parmi ses adeptes de nombreuses conversions. Epist., i.xxxi, cxiii, cxi.v, P. G., t. i.xxxiii, col. 1261 C, 1316 < ;, 1384 C. La place que fait aux marcionites dans son De seclis l’hérésiologue Eznik de Kolb témoigne qu’en Arménie, vers 450, il y avait encore lieu de se préoccuper du danger.

Ce n’est pas que l’autorité civile eût négligé les moyens de coercition. On sait que la tolérance religieuse universelle proclamée en 313 avait duré fort peu de temps : ayant adopté le christianisme comme religion d'État, l’Empire romain ne tarda pas à mener la vie dure à quiconque ne se conformait pas à l’orthodoxie officielle. Bien qu’ils ne soient pas spécialement visés par la législation dirigée contre les hérétiques, les marcionites, on n’en peut douter, furent atteints par elle : défense de nommer Églises leurs communautés, défense à leurs dignitaires de prendre les titres d'évêque, prêtre ou diacre ; ordre de détruire leurs livres. Voir Code théodosien, t. XVI, tit. i, n. 2 (de380) ; tit.v, n. 5 (de 379) ; n. 34 (de 398). On comprend dès lors que, dans les grandes villes, où l’administration tenait la main à l’exécution des lois, les marcionites aient fini par disparaître ; les deux historiens Socrates et Sozomène, tous deux de Constantinople, n’en prononcent même pas le nom ; à Alexandrie on n’en entend plus parler. Dans les régions mêmes où les marcionites sont plus nombreux, c’est plutôt dans les campagnes reculées qu’il faut les chercher, où ils se sentent à l’abri des investigations des évêques catholiques et des magistrats impériaux. Ils y persévérèrent longtemps, puisque, au xe siècle, l’encyclopédiste arabe An-Nadim, voir col. 1853, fait encore une place aux marcionites dans le Fihrist ; An-Nadim les distingue nettement des manichéens, décrit d’une manière assez exacte leurs doctrines, connaît l'Évangile rédigé par Marcion, et sait que leur culte est public. A son dire, ils seraient surtout nombreux dans le Khorassan. G. Flùgel, 2Iani, p. 160. Par contre les données fournies au xie siècle par Sharastâni, au xii «  par Barhebrœus semblent purement livresques. S’il existait encore à leur époque, dans les contrées passées sous la domination de l’Islam, des îlots marcionites, ils ne les ont pas connus. Dans l’empire byzantin ils avaient disparu depuis bien plus longtemps, à moins que l’on ne veuille retrouver leurs descendants dans les mystérieux pauliciens du viie siècle, sur lesquels il s’en faut que le dernier mot soit dit. Faisons seulement remarquer, en terminant, que les contacts assez nombreux qui existent entre manichéisme et marcionisme pnt bien pu amener, en divers endroits, des rapprochements ou même des fusions entre les sectateurs de Mani et les fidèles de Marcion, si bien qu’il n’est pas toujours facile de distinguer les deux courants.

Histoire intérieure.

La doctrine de Marcion

s'était constituée à peu près exclusivement par l'étude, la méditation, la critique des données de la Bible. Mais vouloir édifier un enseignement cohérent sans faire appel à autre chose qu'à la Bible, ce ne peut être qu’une gageure ; il y a un minimum de métaphysique qui s’impose à tous les exégètes et que l’on ne saurait mettre de côté sans péril ; et, s’il est facile de médire de la spéculation théologique, il est plus difficile de s’en passer. Au fait, la doctrine, telle qu’elle sort ; iit