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    1. MANICHÉISME##


MANICHÉISME, MORALE

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réformateurs, Bouddha, Zorastre, Jésus, et que Mani est venu rappeler à l’humanité. A la pensée obscure, au sentiment obscur, à la réflexion obscure, à l’intellect obscur, au raisonnement obscur, d’où naissent la haine, l’irritation, la luxure, la colère et la sottise, s’opposent en nous la pensée lumineuse, le sentiment lumineux, la réflexion lumineuse, l’intellect lumineux, le raisonnement lumineux qui engendrent la piété, la bonne foi, le contentement, la patience et la sagesse. E. Chavannes et P. Pelliot, dans le Journal asiat, Xe sér., t. xviii, p. 537, 538. Il s’agit seulement de pénétrer la véritable nature de ce dualisme et et de vivre selon l’esprit en mortifiant les passions et les désirs de la chair. La dogmatique manichéenne trouve ainsi dans la morale son aboutissement normal.

Morale manichéenne.

Les préceptes de la

morale manichéenne, au témoignage de saint Augustin, se répartissent tous en trois groupes. Ce sont les trois sceaux apposés sur la main, sur la bouche et sur le sein. « Lorsque je parle de la bouche, expliquait Mani, je veux que l’on comprenne tous les sentiments qui sont dans la tête ; lorsque des mains, toutes les actions ; lorsque du sein, toutes les passions sexuelles. » S. Augustin, De morib. man., 19.

1. Le sceau de la bouche.

Le premier devoir d’un fidèle manichéen est d'éviter tout ce qui pourrait souiller sa bouche ; il faut donc ne laisser rien d’impur entrer dans la bouche ou en sortir. En vertu de cette règle, on fuira le mensonge, le blasphème, l’apostasie, le parjure, et même le serment, suivant la parole de l'Évangile qui interdit de jurer.

Au sceau de la bouche se rapportent naturellement les préceptes relatifs à la nourriture. Ceux-ci sont très sévères. Le manichéen doit avant tout s’abstenir de viande, et même plus généralement de tout produit animal. C’est que les animaux sont les créatures des démons, et qu’ils sont essentiellement mauvais. Sans doute, renferment-ils quelques éléments lumineux : mais ces éléments sont à tout instant expulsés de l’animal vivant par la respiration, par la digestion, etc., si bien que leur nombre et leur valeur ne cesse de décroître. La mort fait complètement disparaître du corps le principe divin qu’il contenait et le transforme en une masse immonde. Les œufs eux-mêmes perdent leurs éléments vitaux lorsqu’on les brise ; le lait, lorsqu’on le trait. Aussi tout cela est rigoureusement interdit : les auditeurs du Kouastouanift s’accusent ainsi : « Si, prenant des corps vivants en nourriture et en boisson avec les dix bouts des doigts à tête de serpent et les trente-deux dents, … nous avons fait du mal et de la peine à Dieu, … que notre péché nous soit remis. »

Seuls sont autorisés les aliments végétaux. Il est vrai que les végétaux, eux aussi, tirent leur origine du démon ; mais ils contiennent en plus grand nombre les éléments lumineux. En les mangeant, on participe donc à la lumière. Certains végétaux sont particulièrement recommandés à cause de leur richesse en principes vitaux ; ce sont les légumes forts, tels que les oignons, les poireaux, les truffes, les champignons ; ce sont aussi les fruits, surtout ceux dont la couleur chaude et dorée manifeste la valeur : le melon, par exemple, renferme de vrais trésors, auxquels il doit sa belle couleur et son goût agréable.

Parmi les boissons, le vin est strictement interdit : on sait qu’il est fait avec le fiel du prince des ténèbres, mais on permet mulsum, carœnum passum et nonnullorum pomorum expressos succos… succum hordei. De morib. man., 29, 46, P. L., t. xxxii, col. 1357, 1365. Le mulsum peut être de l’hydromel, le carœnum, un produit de raisins bouillis, le succus hordei, de la bière.

Il est à peine besoin d’ajouter que les éléments

autorisés ne doivent être pris qu’en quantité raisonnable. Les vrais fidèles, loin de remplir gloutonnement leur ventre, doivent savoir s’abstenir de nourriture. An-Nadim sait que les disciples de Mani jeûnent le dimanche et le lundi, ce dernier jeûne étant réservé aux Élus ; il parle aussi des jeûnes du mois qui durent sept jours, et de ceux de l’année qui reviennent à diverses époques, et dont l’un se prolonge pendant un mois. Flûgel, Mani, p. 95 sq. ; K. Kessler, art. Mani, dans la Prolest. Realenc, t. xii, p. 212, 213. Les jeûnes du dimanche et du lundi sont spécialement destinés à honorer le soleil et la lune, les deux grands luminaires.

2. Le sceau de la main.

Le sceau de la main interdit d’une manière absolue le meurtre et tout ce qui lui ressemble : « Si nous nous sommes mal comportés contre les cinq genres d'êtres vivants, disent les auditeurs dans le Khouaslouanijl, premièrement contre les bipèdes humains, deuxièmement contre les quadrupèdes vivants, troisièmement contre les oiseaux vivants, quatrièmement contre les vivants aquatiques, cinquièmement contre les vivants terrestres qui rampent sur leur ventre, … si quelquefois nous les avons effrayés ou apeurés, si quelquefois nous les avons frappés ou battus, si quelquefois nous leur avons fait de la peine et du mal, et si nous sommes ainsi devenus les bourreaux de ces êtres qui vivent et qui se meuvent, que notre péché nous soit remis. » Kouastouanift, v, 79-94.

Les interdits portés en vertu du sceau de la main s'étendent fort loin. Défense de commettre l’homicide, de faire la guerre, de porter les armes ; l’homme, étant la créature la plus riche en éléments lumineux, est aussi la plus sacrée.

Défense de tuer les animaux : si impurs qu’ils soient, les animaux possèdent cependant un principe vital qui est bon ; et, d’ailleurs, en s’attaquant à eux on court le risque d’exciter la colère des archontes mauvais qui veillent sur eux avec un soin jaloux.

Défense de détruire les végétaux, puisque les plantes aussi ont une âme divine ; défense de moissonner, de couper les arbres, de cueillir les fruits. Celui qui moissonne passe après sa mort dans le corps d’un être dépourvu de parole, dans celui des plantes qu’il a moissonnées. Acta Archel., 10, p. 15, 16.

Défense même de porter atteinte aux pierres ou à l’eau, car les minéraux sont animés. Si quelqu’un marche sur la terre, il la blesse. S’il lève la main, il blesse l’air ; s’il se lave dans l’eau, il blesse son âme… Celui qui se sera bâti une maison passera dans tous les corps. Acta Archel., 10, p. 16. On comprend sans peine toutes les exigences d’un tel interdit. Le vrai manichéen ne devait ni labourer, ni couper les pierres, ni se laver, ni même marcher pour éviter de faire du mal à la terre.

En vertu de la même loi, les disciples de Mani s’abstiennent de prendre le bien du prochain : l’interdiction du vol est un des dix préceptes du maître. Flûgel, Mani, p. 95. Ils ne prêtent pas à usure. Bien plus, suivant Birûni, Mani défendit à ses disciples de rien possédera l’exception de la nourriture pour un jour et du vêtement pour une année. Chronology, trad. Sachau, p. 190.

C’est encore pour obéir au sceau de la main que les manichéens doivent renoncer aux honneurs et ne pas s’appliquer aux fonctions publiques. Ils ont sans cesse présents à l’esprit les préceptes de l'Évangile, surtout le Discours sur la montagne, dont ils s’efforcent de pratiquer l’enseignement relatif à la douceur, à la patience, au pardon des injures, au détachement et au mépris des richesses.

3. Le sceau du sein.

- Celui-ci est peut-être plus important que les deux autres ; car il s’agit de s’op-