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    1. MANICHÉISME##


MANICHÉISME, VIE DE M AN !

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admettaient des théories dualistes : Au Dieu TrèsHaut, (|iii domine tous les êtres, étaient subordonnés, suivant eux, deux personnages, le Christ et lc’Diablc, également issus de lui, et préposés par lui, l’un’aux temps futurs, l’autre au siècle présent. Dans toute la création se retrouvait l’opposition du bien et du mal, du mâle et du femelle, de la droite et de la gauche. de l’eau et du feu. L’eau était le moyen du salut, le feu celui de la perdition. L’eau du baptême délivrait du feu de l’enfer. Les baptisés devaient, d’ailleurs, mener une vie sainte, ne prendre aucune nourriture animale, s’abstenir des femmes. La vérité religieuse était consignée dans la Loi et dans l'Évangile ; mais le véritable sens des Livres saints s'était perdu : seuls, les moughtasilas l’avaient conservé, grâce au livre qu’EIchasaï avait apporté du ciel sous la forme d’un ange.

Dès son enfance, Mani fut agrégé à la secte des moughtasilas. Son père l’emmena avec lu ( i pour l'élever suivant ses propres idées. La légende raconte que, lorsqu’il eut l'âge de douze ans, Mani reçut sa première révélation : « Après avoir accompli sa douzième année, écrit An-Nadim, il reçut selon son propre témoignage, les révélations du roi du paradis de la lumière, c’est-àdire, d’après ses expressions, du Dieu Très-Haut. L’ange qui les lui apporta s’appelait Eltawan, ce qui veut dire en nabatéen, le compagnon. Cet ange lui dit : « Abandonne cette communauté. Tu n’appartiens pas à ses adeptes. Ton rôle consiste à régler les mœurs et à réfréner les plaisirs. Mais à cause detajeunesse.letemps n’est pas encore venu pour toi d’entrer en scène. » Flûgel, loe. cil.

Ce ne fut que douze ans plus tard, lorsque Mani eut accompli sa vingt-quatriime année, qu’il entra dans la vie publique : « L’ange Eltawan revint vers lui et lui dit : « Le temps est maintenant venu pour toi de paraître en public et de proclamer ta propre doctrine. » Les paroles que l’ange Eltawan lui adressa sont les suivantes : « Salut à toi, Mani, de ma part et de la part du Seigneur qui m’a envoyé vers toi, et qui t’a choisi pour son messager. Il t’ordonne de t’adonner à ton enseignement, et d’annoncer la joyeuse promesse de la vérité qui vient de lui, et de t’y adonner avec tout le zèle possible. » « Mani, racontent ses disciples, fit son apparition publique le jour de l’avènement et du couronnement de Sapor, fils d’Adraschir. C'était un dimanche, le premier jour de nisan, et le Soleil était dans le Bélier. Il avait deux compagnons qui marchaient à sa suite et s’attachaient à sa doctrine. L’un s’appelait Schamoum et l’autre Zachou. » Flûgel, loc. cit.

On a remarqué les rapports qui unissent la légende de Mani à l’histoire de Bardesane ; cf. P. Alfaric, op. cit., t. il, p. 80, n. 3, p. 81 n. 1 et 4 ; F. Nau, Une biographie inédite de Bardesane. On a également signalé certaines ressemblances entre l’enfance de Mani et les récits de saint Luc sur l’enfance de Notre-Seigneur. Ces rapprochements montrent du moins que la légende de Mani a été en partie construite d’après des récits antérieurs et qu’on ne saurait prendre à la lettre les formules d’An-Nadim.

Les Acla Archelai racontent d’une manière toute différente les débuts de Mani. Suivant Hégémonius, leur auteur, le chef et l’inventeur de la secte manichéenne aurait été un certain Scythianus, contemporain des apôtres. Scythianus était de la race des Sarrasins ; il épousa une captive de la Haute-Thébaïde qui le décida à habiter en Egypte : il y apprit la sagesse des Égyptiens et s’attacha un disciple du nom de Térébinthe, qui, lui, écrivit quatre livres : les Mystères, les Principes, l'Évangile et le Trésor. Après la mort de Scythianus, Térébinthe commença à prêcher sa doctrine en Babylonie, sous le nom de Buddha. Mais l’enseignement du nouveau prophète suscita de nombreux

contradicteurs, et Térébinthe ne put faire d’autres disciples qu’une vieille femme veuve chez qui il se retira In beau jour, Térébinthe se tua, en tombant de la terrasse sur laquelle il était monté pour prier. La femme recueillit son héritage, avec les quatre livres de Scythianus. Or celle femme vint à acheter un jeune garçon de sept ans comme serviteur, Calicius. Ce fut ce Calicius qui, cinq ans après, hérita des livres de Scythianus, passa en l’erse où il prit le nom de Manès. acquit une grande sagesse dans sa nouvelle patrie, et se mit à prêcher la doctrine de Scytlùanus, non sans avoir considérablement augmenté ses ouvrages qu’il publia sous son propre nom. Acta Archet.. 62-65, p. 90-95.

Kessler, art. Mani, dans la Protest. Realencycl-, t. xii. p. 20, a essayé de démêler un fond historique dans le récit d’Hégémonius. C’est là une entreprise assez vaine. Les noms mêmes de Scythianus et de Terebinthus sont imaginaires, et la chronologie qui fait remonter au temps des apôtres la première origine du manichéisme dépasse les bornes de la fantaisie. Du récit des Ac.Ui. on ne retiendra guère que les titres des grands ouvrages de Mani, et de plus cette idée juste que la doctrine manichéenne a dû beaucoup d'éléments aux sagesses étrangères, en particulier aux théories gnostiques et aux traditions persanes.

A cet égard, le rationalisme d’Hégémonius remplace avantageusement les apparitions de l’ange Eltawan dont parlait An-Nadim. De nombreuses influences humaines se sont exercées sur Mani, qui a été toute sa vie le lecteur attentif de toutes sortes d’ouvrages, l’habile metteur en œuvre d’une multitude d’idées acquises du dehors. De très bonne heure, les auteurs chrétiens qui l’ont réfuté ont mis en relief la ressemblance de ses théories avec celles des grands gnostiques. Saint Éphrem le rapproche de Marcion et de Bardesane. D’autres, comme Hégémonius, saint Cyrille de Jérusalem, Sérapion de Thmuis, le mettent en parallèle avec Basilide et Valentin. Il y a en cela une part de littérature : c’est un procédé de la polémique contre les hérésies que d'établir une sorte de succession entre les docteurs de mensonge et d’attribuer à la gnose l’origine de toutes les erreurs. Mais il y a aussi là une très grande part de réalité. La ressemblance du dualisme de Mani avec le dualisme de Marcion n’est pas douteuse ; les historiens arabes qui, ici, ne sont pas des témoins suspects n’ont pourtant pas hésité à prononcer les mêmes noms que les hérésiologues chrétiens. D’après Sharastani, Mani dépend de Bardesane sur tous les points sauf en ce qui concerne le médiateur. Flûgel, Mani, p. 165. Mâsoudi voit en Mani le disciple de Cerdon, dont les premiers polémistes chrétiens font souvent le maître de Marcion. Nous savons d’ailleurs, par Mani lui-même, qu’il connaissait les écrits gnostiques et s’intéressait à leurs spéculations. Trois chapitres du livre des Mystères étaient consacrés aux Deisanites, qui sont des disciples de Bardesane (c. i, xii et xiii), et Birûni cite, de l’un de ces chapitres, le passage suivant : « Les partisans de Bardesane pensent que l’ame vivante s'élève et se purifie dans la carcasse. Ils ne savent pas que cette dernière est l’ennemie de l'âme, que la carcasse empêche l'âme de s'élever, que c’est une prison et une rude punition pour l'âme. Birûni, India, trad. Sachau, t. i, p. 55. De même Mâsoudi nous apprend qu’un chapitre du Trésor était consacré aux marcionites. Le livre de l’avertissement et de la révision, trad. Carra de Vaux, p. 188. « En somme, Mani fut un grand liseur. Et ses lectures portèrent de bonne heure sur les travaux récents des grands représentants de la gnose dont tout le monde parlait autour de lui. Il y trouva une doctrine plus vaste et plus compréhensive que celle qu’il avait apprise chez les moughtasilas. C’est ainsi qu’il fut