Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.2.djvu/153

Cette page n’a pas encore été corrigée
1711
1712
MALABARES (RITES), INITIATIVES DE NOBILI


superstitions sont venues contaminer la pureté de cette religion primitive ; il n’est cpje de les écarter d’une main douce et ferme pour se retrouver en pleine religion révélée. Quel scrupule pourrail-on avoir à se plier aux prescriptions alimentaires du brahmanisme, cpjand on les regarde, ainsi faisaient certains successeurs de Nobili, comme la survivance du précepte inscrit dans Genèse, r, 29?

Aux yeux de l’histoire moderne des religions, la réalité est singulièrement plus complexe ; ne faisons point à Nobili ni à ses successeurs le reproche de ne pas l’avoir compris. Ils procédaient avec les idées et la science de leur temps ; les théologiens qui les combattaient admettaient aussi des idées analogues. — Mais une critique que l’on a pu faire, sans vouloir méconnaître tout ce qu’avait d’intelligent l’initiative du missionnaire brahme, relève de l’analyse psychologique et frappa dès l’abord les contradicteurs de Nobili. Sans aucun doute, les distinctions dialectiques imaginées par l’ingénieux apôtre étaient fort justes ; elles étaient pour lui d’une particulière clarté ; elles écartaient de sa conscience personnelle tout scrupule ; ceci nul ne songe à le contester. Quand Nobili se marquait le front du signe rectangulaire signifiant qu’il était maître de doctrine, quand il allait aux heures accoutumées se plonger dans l'étang voisin, quand il prenait le cordon brahmanique, auquel il avait eu soin d’apporter certaines modifications, quand il chaussait les socques afin d'éviter les contacts avec le sol et les souillures légales supposées par les préjugés de la caste, il n’avait aucune peine de diriger son intention, et il avait pris toutes précautions utiles pour éliminer de ces actes le moindre danger de superstition. Il est difficile d’affirmer que ces distinctions subtiles étaient aussi aisément accessibles aux Indiens qu’il amenait au christianisme. Leur intelligence était grande, a-t-on dit, et ceci n’est pas en question. Mais les divers auteurs qui parlent des choses de l’Inde ont noté comme une des caractéristiques de la race hindoue l’absence déconcertante de logique dont témoigne d’ailleurs toute la littérature nationale. Ne risquaiton pas dès lors, en permettant aux convertis la pratique de certains rites de leur laisser dans l’esprit, malgré toutes les précautions prises, une vague idée que le christianisme n’excluait pas chez eux leurs façons antérieures de penser et d’agir même en choses religieuses ? Tous les catéchumènes évangélisés par Nobili avaient-ils un concept aussi clair que le sien de cette renonciation « à Satan, à ses œuvres et à ses pompes », que l'Église primitive, dès sa première prise de contact avec le paganisme grécoromain, imposait à ses néophytes ? — C’est le fond même du débat. Il s’y est mêlé, cela est incontestable, des questions fort laides de jalousies personnelles, de rivalités entre ordres religieux, d’oppositions nationales. Mais telle qu’elle a commencé à l'époque de Nobili, telle qu’elle a repris au xviiie siècle, la querelle des rites n’est qu’un des aspects de l'éternel débat entre les deux tendances rigoriste et laxiste, qui s’est toujours poursuivi dans l'Église chrétienne. Au iiie siècle, Tertullien préconisait du christianisme une formule qui n’allait à rien de moins qu'à exclure le disciple du Christ de la société romaine ; tendance rigoriste, à coup sûr exagérée ; moins de cent ans plus tard et à la veille de la grande persécution, on entend, non sans surprise, le concile d’Elvire fulminer contre des chrétiens qui n’ont pas de scrupule à être flamines des divinités païennes : laxisme trop évident. Les chrétiens qui acceptaient ces fonctions déclaraient, à coup sûr, qu’ils n’entendaient point par là renoncer à leur religion, que la fonction exercée par eux était purement civile et adminis trative, et c'était vrai. L’n tel écart cependant fut à bon droit réprimé par la doctrine ecclésiastique. Loin, très loin de nous, la pensée d’assimiler à ces grossières aberrations les tolérances de Nobili. Nous ne rappelons ces faits anciens que pour faire saisir, en un grossissement voulu, l’opposition de deux tendances d’esprit et pour expliquer les débals que feraient surgir à un moment ou à l’autre les initiatives prises au Maduré.

4. Problèmes soulevés par la question des castes. — Ainsi, à s’en tenir à la seule évangélisation des gens de caste, la théorie formulée par Nobili n’avait pas que des avantages. Le problème se compliquait encore quand il fallait organiser la propagande parmi les gens hors caste. — Pénétrer dans l’hindouisme par en haut, forcer l’entrée de la caste brahmanique, user de l’influence des brahmes convertis pour opérer le christianisation de tout un peuple ; quelle idée séduisante I C'était la même que préconisait Ricci dans l’Empire du Milieu : convertir les lettrés de la Chine, qui sait, l’empereur lui-même, est de tactique plus habile que commencer dans les bas-fonds de la société chinoise un lent travail de pénétration. Mais, pour ne pas parler des obstacles que créait devant l’entreprise de Nobili l’orgueil des brahmes, ne risquait-on pas de rendre difficile, sinon impossible, l'évangélisation des castes inférieures et celle des gens sans caste ? Les parias forment, en certaines régions du sud de l’Hindoustan, sinon le fond même de la population, du moins une masse assez compacte. Pour le gain que représente la conversion d’un brahme ou de quelques personnes, faut-il sacrifier l'évangélisation de ces parias ? Non évidemment. Et pourtant, pratiquée avec la rigidité qu’il y a mise au début, la théorie de l’accommodation aurait empêché Nobili de se livrer auprès des parias à aucun ministère. Le missionnaire était assez habile, l’apôtre était assez zélé pour trouver les biais qui permissent de remédier à cet inconvénient. Voir col. 1717. Finalement, et sur l’initiative de Nobili, des mesures furent prises qui pourvurent de façon très satisfaisante à l'évangélisation des parias. Pourtant une très grave difficulté théorique demeurait : Imaginons que, par des procédés appropriés, on arrive à poursuivre parallèlement la conversion des gens de castes et celle des indigènes sans caste ou des parias, si rien n’est fait pour abaisser les barrières qui séparent ces hommes, à quel résultat a-t-on abouti ? Les plus récentes discussions entre indianistes n’ont pas encore tiré complètement au clair la question de l’origine et de la valeur du système des castes. A-t-il une signification purement civile et politique, ou bien est-il d’origine religieuse, intimement lié au système général du brahmanisme ? La diversité d’opinions qui règne aujourd’hui encore sur ce point ne permet pas de trancher le débat. Suivant l’angle sous lequel on le considère, le système des castes apparaît donc fort différemment, même aux esprits les plus avertis. Nous éviterons de prendre parti en ce débat. Tout ce que l’on peut dire, c’est que, de prime abord, surtout au xviie siècle, avant tous les nivellements qu’introduit peu à peu la pénétration européenne, la constitution de la société hindoue apparaissait comme toute pénétrée par le système religieux imposé par les brahmes, et la distinction entre usages religieux et usages civils, fort logique en soi et très admissible à un point de vue, pouvait apparaître comme assez factice. Les' missionnaires qui, pour des raisons fort légitimes, étaient amenés à prendre position, même provisoirement, en faveur du système, étaient donc amenés à se poser un jour ou l’autre cette question : En nous accommodant au système des castes, ne donnons-nous pas des gages