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MALABARES (RITES), INITIATIVES DE NOBILI
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Pour de longs siècles, Portugais, Européens, Pianguis, ce sera tout un ; et ces gens-là sont des parias ; ne mangent-ils pas, comme ceux-ci, la viande de bœuf ou de vache ; ne vont-ils pas jusqu'à tuer bœufs et vaches, les animaux sacrés, acte audacieux qui, dans l’intérieur, coûterait la vie à quiconque l’attenterait V Qu’on ajoute à ces préjugés, les rancunes nationales, le souvenir, malheureusement trop exact, des cruautés inséparables de toute colonisation, et l’on comprendra la barrière presque infranchissable qui se dresse entre le missionnaire et les gens de caste. A coup sûr il pourra peut-être réussir auprès des parias, en s’y prenant convenablement, mais ce succès même sera le plus réel empêchement à toute pénétration dans les zones supérieures.

2 La pratique de « V accommodation. - — Telles étaient les réflexions qui, dès le début de son séjour à Maduré, frappèrent Nobili. Le christianisme ne forcerait l’entrée de l’Inde qu’en quittant son allure européenne, qu’en s’accommodant aux usages, aux idées, aux préjugés même du pays. Le jour où, malgré sa couleur qui le désigne d’abord comme Prangui, le missionnaire saura montrer qu’il connaît et respecte les « usages », les « rites », il ne sera pas loin de conquérir droit de cité ; ce jour-là aussi la conquête chrétienne aura fait un grand pas.

Mais les usages sont affaires de caste. A quelle caste Se rallier ? Il n’y a pas à hésiter, pense Nobili. Le brahmanisme, religion de toute l’Inde a fait, comme de juste, à la caste des brahmes une situation privilégiée. Un brahme, en prenant les précautions rituelles pour éviter les souillures, peut avoir accès auprès de toutes les autres castes, les parias exceptés. Il faut que le missionnaire se fasse passer pour brahme, qu’il se conforme très strictement à tous les usages de la caste. Et s’il est dans la caste même telle situation particulièrement honorée, il faut que le missionnaire l’embrasse. Or, entre les diverses conditions où peut vivre un brahme, il en est une qui vaut, à qui s’y rallie, la plus grande vénération, c’est celle de saniassy. Pénitent volontairement consacré au célibat par de véritables vœux, s’imposant au point de vue alimentaire toutes sortes de restrictions, vivant dans la prière, la méditation et la retraite, distingué par un costume spécial, le saniassy est, en quelque sorte, le religieux mendiant du brahmanisme. C’est en s’imposant le genre de vie, d’ailleurs très pénible, supposé par cette profession, que le missionnaire a le plus de chances de s’imposer à l’attention et au respect non seulement des brahmes, mais des autres castes. Il n’y a donc pas à hésiter, Nobili sera saniassy.

C’est en cette qualité qu’il se présente à l’université brahmanique installée à Maduré, après avoir rompu tout contact avec son ancien compagnon, le P. G. Fernandez, après s'être efforcé de brouiller le plus possible, toutes les traces de son passage. Il est, dit-il, un rajah romain, venu de lointaines régions, pour faire pénitence dans l’Inde et pour s’initier à la langue, à la littérature, aux usages de pays. N'était le teint trop pâle de son visage, on pourrait le prendre pour un véritable saniassy ; il en a tout l’accoutrement, depuis les socques de bois jusqu’au turban et (il faut l’ajouter dès maintenant) jusqu’aux signes tracés sur le front avec un mélange de cendres de bouse de vache et de santal. Il porte enfin le cordon rituel qui est censé marquer son initiation à la caste brahmanique. — Doué d’une remarquable facilité pour les langues, Nobili a -tôt fait non seulement de se rendre maître du parler vulgaire, mais de s’assimiler l’ancienne littérature hindoue dont les brahmes se réservent jalousement la science ; il étonnera bientôt ses interlocuteurs par l'à-propos '

de ses citations et l’ampleur de ses connaissances. Mais, au début, il affecte plutôt de vivre en une sorte de retraite, ne consentant qu’avec peine à recevoir des visites, s’enveloppant d’un mystère bien propre à piquer la curiosité. Le serviteur de caste brahmanique qu’il a réussi à s’attacher, et qui lui sert en même temps de précepteur, s’entend a merveille a faire connaître, avec la plus mystérieuse indiscrétion, et le genre de vie et les occupations de son maître. Cette tactique réussit. Au bout de quelque temps, quelques conversions se produisirent ; la première fut celle d’un gourou (maître spirituel ou directeur de conscience) ; elle en entraîna quelques autres, pour l’ordinaire parmi des gens de haute naissance et de grande capacité. On notera que les lettres de Nobili donnent rarement des chiffres précis. Les Lettres annuelles de la mission signalent 10 baptêmes en 1607, 53 en 1609, 8 en 1610 avec 18 apostasies et 9 retours ; c’est seulement en 1620 que l’on constate un vrai mouvement. Les brahmes vinrent plus difficilement, et il ne semble pas que le nombre des recrues faites dans cette caste ait jamais été considérable. Quand on lit attentivement les lettres de Nobili et celles des missionnaires qui lui ont succédé, on s’aperçoit vite que les brahmes chrétiens sont en tout petit nombre. En 1644, quand la mission aura atteint le chiffre de près de 4 000 chrétiens, les brahmes ne figureront dans ce total que pour 26, contre 1 300 personnes de castes. Cf. Lettres édifiantes, t. vi, p. 200.

On n’est pas très au clair sur la manière dont Nobili se comporta à l'égard de ses premiers convertis. Observa-t-il dans l’administration du baptême toutes les cérémonies du rituel, y compris l’imposition du sel, les insufflations et le rite de VEfjeta qui devaient produire chez les gens de caste les plus grandes répugnances, nous ne pouvons le dire. On sait qu’en Chine les missionnaires jésuites avaient pris sur ce point certaines libertés ; Nobili, qui n'était pas sans quelque connaissance des rites chinois, aura pu supprimer, ou tout au moins atténuer, certaines prescriptions du rituel. Par ailleurs, un concile de Diamper, en 1599, légiférant pour les Syro-Malabars, avait accepté certaines tolérances qui subsistaient depuis longtemps. Cf. Mansi, ConciL, t. xxxv, col. 1 38, 1339.

Plus important serait-il de déterminer d’une manière exacte quelles furent les concessions faites par Nobili aux usages des castes. Il semble que, sur ce point, il ait eu quelque hésitation. Mais à en juger par la conduite de Nobili lui-même et par les discussions qui ne vont pas tarder à surgir, on peut penser que le missionnaire s’est montré à l'égard de ses néophytes d’une assez large tolérance, comme on l'était à l’ouest des Ghates pour les Syro-Malabars. Les premiers chrétiens de caste continuèrent donc, comme par le passé, à porter, s’ils étaient brahmes, le cordon distinctif, à pratiquer les ablutions en usage dans les castes, à s’orner le front des cendres symboliques, etc. Des précautions fort sérieuses étaient prises pour christianiser ces usages. Mais, pour l’extérieur, les néophytes s’efforçaient de se distinguer le moins possible des membres de leur caste. A condition que soient observé les « usages », l’Indien est relativement tolérant ; l'élasticité de la doctrine brahmanique lui permet de recevoir sans peine les concepts les plus divers, les plus contradictoires. Un point, d’ailleurs, était acquis. Le christianisme, moyennant certaines précautions, moyennant surtout des concessions au principes des castes, pouvait forcer la barrière qui jusque-là s'élevait entre lui et les Indiens.

Principes directeurs de Xobili.

Il ne faudrait

pas s’imaginer Nobili partant à la conquête des hautes castes avec un plan tout fait et des principes défini-