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MAL, DOCTRINE SCOL ASTIQUE

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déréglée et coupable de l’objet inférieur. » vi et vu. — Môme doctrine au c. vin : « Je sais que la volonté mauvaise n’est en celui où elle réside que parce qu’il veut ainsi : et qu’il en serait autrement s’il voulait autrement. Il n’y a pas déchéance vers le mal, vers une nature mauvaise ; le mal est dans la déchéance. » Et ce dernier passage qui résume tout le c. ix : « La mauvaise volonté n’ayant pas de cause efficiente, ou, en d’autres termes, de cause essentielle, elle est donc la source du mal des esprits muables, ce mal qui diminue et déprave le bien de la nature. Et la volonté ne devient telle que par défaillance, défaillance qui abandonne Dieu, et dont la cause est également défaillante. »

Telle est, dans ses grandes lignes, la doctrine augustinienne : le mal s’explique sans recours à une dualité de principes, et sans qu’on ait besoin d’en faire retomber la responsabilité sur Dieu. A la vérité, Dieu a tout créé, les natures spirituelles aussi bien que les natures corporelles, sans que d’ailleurs son immutabilité ait subi la moindre atteinte. Mais ce Dieu est Souverain Bien, Summum Bomim. Toute espèce de bien ne peut être que par lui, c’est-à-dire par le bien suprême. Dénatura boni, c. h. Et si l’on admet que Dieu, Souverain Bien, a tout créé, toute nature est bonne en tant que nature. — Et par là même, le système manichéen s'écroulait par la base.

Ce qui frappe ici, c’est le progrès considérable que saint Augustin fait faire à l’exposé de la doctrine philosophique et théologique du mal. Avant lui, la doctrine traditionnelle n’existe qu’en deux points : 1) Dieu n’est pas l’auteur du mal, et le mal provient d’un mésusage du libre arbitre. — 2) De plus, il a trouvé dans la circulation des idées cette donnée que le mal n’est pas une substance. Mais il a fait singulièrement avancer la pensée philosophique en établissant : a. que le mal n’est que la privation du bien ; b. que cette privation résulte d’un éloignement de Dieu qui est le Souverain Bien. Saint Basile, il est vrai, avait dit que le mal est la privation du bien ; mais saint Augustin ne connut ses ouvrages que tard. Il est d’ailleurs allé plus avant que lui, en montrant que cette privatio boni, ou perte de l'être, est, dans la créature raisonnable, un effet de l’acte libre peccamineux et, dans la créature brute, un effet de la dissociation de ses éléments constitutifs. Il est allé plus loin aussi que les apologistes du iie siècle, qui se bornaient à dire que le souverain mal n’existe pas, que Dieu ne peut être l’auteur du mal. Il a eu la vue très nette de cette vérité philosophique, réponse directe et de fond au manichéisme, que, étant posé le Souverain Bien ou Être, le mal existe nécessairement. Il s’est bien rencontré ici avec Plotin : necessario malum consequi posito bono. I re Ennead., t. VII, c. vii, mais cet axiome n'était pas sorti de l'École. Saint Augustin le fit entrer dans la masse des esprits. Nous pouvons donc conclure, avec Mgr. Douais, que la doctrine de saint Augustin sur la nature du mal est vraiment la sienne, lui appartient en propre.

3. Après saint Augustin.

-Ceux qui viendront après lui. ajouteront peu à son enseignement. Cassien († 433), son contemporain, intitule le c. vi de sa VIIIe conférence : « Que Dieu n’a rien créé de mauvais. » — « Dieu nous garde de professer jamais qu’il ait rien créé de substantiellement mauvais lorsque l'Écriture nous dit : « Tout ce que Dieu avait fait était très bon. » Gen., i, 3. C’est la pure tradition théologique. P. L., t. xlix, col. 730.

Saint Léon le Grand († 461) qui a fréquemment combattu les manichéens est cependant resté muet sur la question de la nature du mal. — Dans les Moralia de saint Grégoire te Grand († 604) nous pouvons relever ce passage : Neque enim mata, quæ nulla sua

natura subsistunt, a Domino creantur. L. III, c. ix. I'. L., t. lxxv, col. 607.

Saint Isidore de Séville (+ 636) consacre le chap. îx du liv. I de ses Sentences à la question du mal : l’ndc malum '.' Onze points, plutôt exposés que traités. P. L., t. lxxxiii, col. 552 sq. Voir le résumé dans Douais, op. cit. Il est permis de voir là un enseignement d'école ; mais ce n’est encore qu’une entréetimide. Pour toute cette période, on consultera avecfruit : Pelau, Dogm. theol., De Deo, t. VI, c. iv, v, vi, édit. Vives, t. i, p.510 sq. ; 'fixeront, Hisl. des dogmes, 1e édit., t. ii, p. 368 ;

IV. Période scolastique.

La renaissance du manichéisme au xie siècle, coïncidant avec l’organisation de l’enseignement théologique, va attirer plus sérieusement l’attention des philosophes et des théologiens sur la nature du mal.

Avant saint Thomas.

 Seuls deux auteurs

valent la peine d'être signalés : saint Anselme et Bupert.

Saint Anselme († 1109) a parlé de la nature du ma ! en deux endroits de ses écrits : Dialog. de casu diuboli, c. xi, P.L., t. CLvm, col. 341, et Liber de conceptu virginuii, c. v, col. 439 : Le mal n’existe pas comme être. De plus — et c’est ici que saint Anselme introduit une précision dans la doctrine et la langue de saint Augustin — lemal doit se définir non pas seulement privatio boni, mais plus exactement : privatio boni debiti. Il ne peut y avoir de mal que là où manque le bien qui est dû. Quant au bien ou être qui n’est pas dû, son absence ne peut en rien déprimer ou affaiblir la nature. Dans ce cas, le mal n’existe pas. Lib. de conc. virgin., c. v. Cette précision pouvait avoir une importance pratique et était appelée à rester dans l’enseignement.

Rupert (mort abbé de Deutsch en 1155), touche également à la question du mal, dans son court traité De voluntate Dei. P. L., t. clxx, col. 437-454. Si le mal est la privation du bien qui est dû, il est clair que Dieu qui créa chaque nature intègre ne peut être regardé comme l’auteur du mal. Quant au péché, il a sa source et sa racine dans les choses créées, par cela seul qu’elles sont faites de rien. Cité par Petau, t. i. p. 528. Ce qui veut dire : Dès lors que le Souverain Bien est, le mal se, produit nécessairement ; la privation de l'être est attachée à l’infirmité de la nature.

On le voit, la doctrine de saint Augustin tendait à se fixer dans les écoles et dans l’enseignement. Ce fut l'œuvre de saint Thomas de l’y établir à demeure. Il nous reste à voir comment il condensa, synthétisa et ordonna la doctrine que lui avaient léguée les docteurs qui l’avaient précédé. Nous aurons là le mot définitif de la philosophie et de la théologie catholiques sur la question, si obscure et si angoissante par certains côtés, de la nature et de l’origine du mal.

2°. Saint Thomas. La synthèse thomiste. — Saint Thomas a traité la question du mal ex professo dans les commentaires sur les Sentences, ]. II, dist. XXXIV et XXXV ; dans la Somme théologique, I », q. xlviii et xlix ; dans les premiers chapitres du livre III de la Somme contre les Gentils, et dans la question De malo, surtout q. i. Mais il y touche encore en de multiples endroits de son œuvre philosophique, et nous ne pouvons prétendre les mentionner tous.

Pour permettre de se faire une idée d’ensemble nous donnerons, en tête de chaque titre, les principaux textes se référant à la question particulière examinée. Quant aux documents, utilisés par le saint docteur, il est facile de les retrouver en consultant les textes, surtout ceux de la Somme. Nous ne les indiquerons pas. Les solutions seront données en suivant d’aussi près que possible les expressions mêmes du Maître.