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MA1I0MÉTISMK, SOUNNISME, DOCTEURS PRINCIPAUX


de son argumentation. Mâlik disait qu’il aurait pu démontre]’avee d’excellentes raisons que tel pilier de la mosquée était non en pierre, mais en or. On s’est beaucoup moqué de ses déductions analogiques ; on rapporte, entre autres, cette anecdote caractéristique. Ayant demandé à son coiffeur de lui enlever ses cheveux blancs, celui-ci allégua que cela aurait pour effet de blanchir ceux qui restaient. « Alors, dit Aboù Hanîfa, enlève les noirs, cela fera noircir les blancs. » Arbitraire et fantaisie, voilà où ce juriste se laissait entraîner, et si vraiment il était peu versé dans la langue arabe, il devait donner du texte du Coran, par lui-même très souvent obscur, de singulières interprétations. Il est probable que, sous la réprobation générale, son école ne lui aurait pas survécu, si son disciple Aboù Yoûsouf Ya’qoub, dont le nom est inséparable du sien, n’avait par la souplesse de son esprit, son caractère conciliant et son sens des réalités, corrigé ses défauts. Il rétablit le hadtth dans l’enseignement et c’est probablement lui qui donna au qiyas l’aspect plus sévère de Yislihsân ou « recherche du bien. » 4. Ibn Hanbal représente dans l’ensemble du sounnisme une position très éloignée de celle du précédent. C’est chez lui que l’orthodoxie prend son caractère le plus rigide. Il le doit à l’attitude qu’il dut prendre contre les prétentions émises de son temps par la secte mou’tazilite à une orthodoxie intolérante et despotique. Cette secte, en elïet, avait, comme nous le verrons, acquis une grande influence sur les khalifes’abbàssides et ceux-ci voulurent imposer par la force un de leurs dogmes. Ils affirmaient que le Coran, révélé par Dieu à son prophète, n’offrait par lui-même aucun caractère de perfection et qu’il avait été créé, c’est-à-dire qu’il ne pouvait être identifié à la parole de Dieu, éternelle comme lui. Le khalife al Ma’moùn, non content de se ranger à cette opinion exigea que tous les jurisconsultes de ses États en fissent profession et on procéda à une véritable inquisition, la mihna (219 hég. = 834).

Àhmad ibn Mouhammad ibn Hanbal (164-241 =781855) passa presque toute sa vie à Baghdâd. Il y connut ach Châfi’î dont il suivit la doctrine. Ferme partisan du hadîth, il ne fait au raisonnement que les concessions rigoureusement indispensables. Aussi, peut-on lui reprocher de n’être pas toujours assez sévère pour la validité des traditions qu’il utilise, Son recueil, le mousnad, en contient plus de 30 000 dont les deux tiers, au moins, sont suspects. Il est résolument opposé à toute innovaton, bid’a, à toute interprétation rarationaliste du texte coranique.

On comprend que, sommé de professer la doctrine offîcieUe sur la création du Coran, il s’y soit refusé. Conduit enchaîné vers le khalife al Ma’moûn à Tarse, il y arriva après la mort de celui-ci ; mais, sous son successeur al Mou’tasim, il fut ramené à Baghdâd, emprisonné, puis mis en présence d’un tribunal de jurisconsultes présidé par le nouveau khalife. Pendant trois jours, il fut soumis —à l’inquisition, il tint tête et fut condamné à la peine du fouet ; 300 coups lui furent infligés, qu’il subit stoïquement. Sa courageuse attitude le rendit fort populaire à Baghdâd, et le khalife n’osa le persécuter davantage. Son successeur, al Wàthiq, le troisième khalife mou’tazilite l’épargna également. Après lui vint al Moutawakkil qui rejeta la doctrine, et par ses attentions et sa bienveillance, s’elforça de réparer les injures faites au courageux théologien.

Un autre sujet de controverse où Ibn Hanbal tint tête aux mou’tazilites qui se contentèrent cette fois d’arguments philosophiques fut celui des attributs de Dieu. La secte, très friande, comme nous le verrons, de l’argumentation scolastique, le kalàm, dans le désir louable d’épurer l’idée de Dieu et de la dépouiller du

grossier anthropomorphisme où se complaît le vulgaire, était tombée) en raffinant à l’extrême dans la négation de tout attribut, le tu (il. Ibn Hanbal, sans se soucier d’être rangé par ses contradicteurs parmi les assimilateurs ou anthropomorphistes déclara que les attributs de Dieu, science, vue, ouïe, etc. tels qu’ils étaient énoncés dans le texte révélé, ne souffraient aucune discussion. Il ne voulut pas même imiter la sage réserve de Mâlik sur ces points fort délicats de théologie ; mais prit le contre-pied de la doctrine philosophique qui finissait par dépouiller Dieu de to réalité et qui le réduisait à une notion purement abstraite, à l’Unique inconcevable et ineflable que nous avons vu à la base de la doctrine isma’ilienne.

L’exagération d’Ibn Hanbal a nui au succès de sa doctrine. Ses partisans, assez nombreux dans les premiers temps à Baghdâd, en Syrie, en Perse, devinrent de plus en plus rares lorsque les Turcs ottomans, très attachés au hanifisme, dominèrent l’islam. Toutefois, le hanbalisme qu’on ne retrouve aujourd’hui qu’en quelques points du monde musulman a eu un regain de force avec la naissance du mouvement wahâbite qui en est une dérivation. Nous en parlerons plus tard, col. 1634.

Plus encore que l’école hanbalite, la dhâhirite se refusa à toute interprétation non littérale. Probablement par opposition à la doctrine du bâtin (intérieur) que nous avons vue naître dans les écoles’alides au milieu du iie siècle de l’hégire, elle s’attacha à celle du dhâhir (extérieur). Mais malgré le talent de ses jurisconsultes, comme Dâoûd ibn’Alî, le fondateur, et l’éminent polémiste espagnol Ibn Hazm, elle ne put se maintenir et fut assez vite abandonnée. Le qiyâs fut maintenu dans l’orhodoxie sounnite comme un élément fondamental, avec plus ou moins d’extension suivant qu’on passe d’Aboû Hanîfa qui l’a créé, à ach Châfi’î qui l’accepte, puis à Mâlik qui le pratique modérément, enfin à Ibn Hanbal qui ne l’emploie qu’au minimum.

5. Al Ach’ari.

Cette union des quatre grandes doctrines et d’un certain nombre de moins répandues paraîtra peut-être un peu artificielle. En réalité, elle fut créée après la victoire du hanbalisme sur le mou’tazilisme et en renforcement de cette victoire par le grand éclectique de l’islam : le fameux al Ach’arî. Élevé dans l’école mou’tazilite, il en avait détesté l’intolérance dogmatique et, frappé des anathèmes réciproques que se lançaient toutes les sectes et subdivisions de sectes qui se multipliaient bien au delà du chiffre traditionnel de 73, il porta sa sympathie vers le groupe des sounnites, qui, du moins, dans leurs divergences traitaient leurs adversaires en bons musulmans non en infidèles dignes des plus cruels châtiments. Il abandonna donc sa première doctrine, déclara se rallier à celle d’Ibn Hanbal, adopter particulièrement les vues de ce dernier sur les attributs de Dieu et reconnaître comme bases de la nouvelle orthodoxie celles que préconisaient tous les docteurs sounnites. Il apporta dans la discussion des différents points de sa dogmatique l’argumentation du kaldm, que ses maîtres lui avaient apprise et qui s’adjoignit au fiqh des orthodoxes pour compléter la doctrine. En somme, exaspéré par l’intolérance mou’tazilite, le sounnisme opposait orthodoxie à orthodoxie et, grâce à l’habile transfuge, l’emportait sur le domaine dogmatique comme sur le domaine juridique. Ainsi, s’achevait l’évolution dont nous avons essayé d’analyser les éléments successifs.’Alî ibn Isma’il al Ach’arî (260-324 = 874-936) est considéré par beaucoup comme le troisième rénovateur de l’islam. Bien qu’il se recommande d’Ibn Hanbal, il professe en général le châfî’isme. D’ailleurs, il ne se pose pas en fondateur d’une nouvelle école,