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LEFÈVRE D’ÉTAPLES. SES TRIBULATIONS


s’agit pas de favoriser le luthéranisme et ceux-là se trompent lourdement parmi les contemporains qui voient en lui un protecteur tout désigné de la Réforme protestante ; plusieurs exécutions d’hérétiques déclarés eurent lieu à ce moment, qui montrent bien que le roi ne souffrirait pas les attaques portées contre l’institution catholique. Mais François I er entend que l’on sépare nettement la cause de l’humanisme chrétien de celle de l’hérésie ; d’aucune manière il ne permettra que, sous prétexte de défendre la foi, les flaireurs d’hétérodoxie attaquent des personnages recommandables par leur savoir et leur piété. Les complications de la politique intérieure vont leforcer néanmoins, dans les derniers mois de 1527, à subir les injonctions plus ou moins déguisées des défenseurs attitrés de la foi catholique. En juillet, le Parlement insiste sur la nécessité d’extirper l’hérésie ; fin décembre, l’Assemblée du clergé renchérit encore sur ces demandes, et les conciles provinciaux qui se tiennent dans tout le cours de 1528 insistent sur la même idée. Celui de la province de Sens, réuni à Paris du 3 février au 9 octobre, formule la doctrine catholique en face du protestantisme, mais se préoccupe en même temps d’organiser la répression et de commencer la véritable réforme de l’Église. On remarquera les allusions assez transparentes que renferme la préface aux méthodes et aux tendances des humanistes. Mansi, Concil., t. xxxii, col. 1156 E. Et il n’est pas impossible que les théologiens du concile aient songé à telles expressions de Lefèvre en rédigeant les divers décrets dogmatiques, et surtout en signalant les propositions condamnables les plus en vogue parmi les novateurs. Voir Mansi, col. 1178-1179 ; il y aurait intérêt à comparer cette dernière liste avec les propositions extraites par la Sorbonne, des « Épîtres et Évangiles des dimanches ». D’ailleurs, afin que nul n’en ignorât, Beda s’efforçait de compromettre Lefèvre autant qu’il lui était possible. En février 1529, paraissait sous le nom du syndic une Apologia advcrsus clandestinos luthercmos, destinée à mettre en lumière les hérésies dont regorgeait, à ses dires, toute l’œuvre de Lefèvre. Sur deux points surtout l’humaniste avait erré : sur l’honneur dû aux saints et sur la justification par la foi sans les œuvres. De plus Lefèvre semblait nieraussi la coopération que donne la volonté humaine à la grâce divine, et considérer l’homme, aux mains de Dieu, comme un être purement passif. Clairement Beda appelait contre son adversaire les rigueurs du bras séculier ; la gloire du roi, le bien du royaume exigeaient que l’on tirât des hérétiques, francs ou larvés, une éclatante vengeance.

."). Lefèvre à Nérac. Sa mort. — Ce n’étaient point là des violences verbales. Le 17 avril 1529, Berquin montait sur le bûcher, auquel la protection de François I er, l’amitié de Marguerite de Navare avaient été impuissants à l’arracher. Cette exécution n’était pas isolée. Lefèvre comprit, ou ses amis lui firent comprendre, que la cour même de François I er n’était plus pour lui un lieu de tout repos. En 1529 ou 1530 (il est impossible de préciser la date) le vieillard se retirait à Nérac où Marguerite tenait maintenant d’o’rdinaire sa cour. Là du moins, en terre Havanaise, il était complètement a

l’abri des poursuites de la Scirbonne et du Parlement. l.e /de de Beda ne pui s’épancher que contre la protectrice de Lefèvre. Il s’exerça également contre Roussel, qui, toujours aumônier de Marguerite, avant de devenir, en 1535, évéque d’Oloron, revint prêcher le carême au I. ouvre en 1533 el I 134. Il finira d’ailleurs

par eti cuire au terrible syndic, qui, en juin 1535, Condamné a l’exil et a faire amende honorable l.efèvre ne sera plus directement mêlé a cette agitation, ce (pu ne veut pas dire qu’il se désintéressât des allaires religieuses de la France. C’est à Nérac qu’il reçut, en ., vril 1534, la visite du Jeune Calvin, n n’esl pas inutile

de rapporter ce que dit de cette entrevue du futur réformateur avec le vieil humaniste Florimond de Ræmond. « Calvin, dit celui-ci, se dérobe et se coule à Nérac pour voir Roussel et le Fèvre, tous deux bien aimés et favoris de la reine de Navarre : Ce bon vieillard, dit Bèze, parlant du Fèvre, vit de bon œil ce jeune homme, comme présageant que ce devrait être l’auteur de la restauration de l’Église en France. » (Voir le texte latin dans l’édit de Calvin du Corpus Reformator., J. Calvini Opéra, t. xxi, p. 123). Il ne dit pas qu’il fut visiter Roussel… Calvin lui communiqua ses écrits et le projet de son Institution, tiré dans Angoulême, lui découvre le dessein qu’il avait de rétablir l’Église en sa première pureté, disant qu’il fallait raser tout rès pied, rès terre, pour bâtir un nouvel édifice. Roussel, comme il a dit souvent, tout étonné qu’une si vieille malice eût pu tomber en un si jeune, tâcha de le ramener à la raison, disant qu’à la vérité il était nécessaire de nettoyer la maison de Dieu, l’appuyer, mais non pas la détruire ; qu’enfin lui et les autres s’enseveliraient sous la chute et abatis de celle qu’ils pensaient ruiner. J’ai vu des mémoires écrits de la main de Roussel, sur l’opinion de Calvin touchant la Cène, qui montre assez combien il était éloigné de son ami…. Le Fèvre se laissait plus aller aux opinions de Calvin, qu’il voulut pourtant retenir pour la crainte qu’il avait que cet esprit bouillant ne mit tout en désordre, lui donnant au départ ce conseil, de régler ses opinions à celles de Mélanchthon. » Histoire de la naissance, progrès et décadence de l’hérésie de ce siècle, Rouen, 1623, t. VII, c. xvii, p. 921-922. On sait que, le 23 août 1535, Jean Calvin rédigeait la lettre dédicatoire de V Institution chrétienne au roi François I er. Mais vraiment ce serait exagérer la portée de l’anecdote précédente que de voir, comme le fait Graf, un lien quelconque entre les conseils du vieux Lefèvre et la publication du célèbre manifeste. Au contraire, l’on comprend au mieux toute la signification des paroles du vieil humaniste, si l’on remarqueque, tout justement à cette date d’avril 1534. des négociations sont entamées, par l’intermédiaire du roi François I er, entre Mélanchthon et l’Église romaine, pour la reconnaissance d’un certain nombre des réformes indispensables. Rome, à ce moment, se montrait prête à reconnaître quelques-unes des demandes des réformateurs modérés. Est-il interdit de penser que la cour de Nérac, ait été au courant des négociations menées par la cour de France ? On comprendrait alors tout le sens du mot de Lefèvre à Calvin : régler ses opinions à celles de Mélanchthon. Les conseils de l’humaniste n’auraient en somme différé qu’en apparence des avertissements donnés à Calvin par Roussel. M. Imbart de la Tour a feit remarquer avec beaucoup de finesse que ces négociations pacifiques furent précisément traversées par les efforts du groupe de Farel ; il a montré comment Y affaire des placards (octobre 1534) fut justement organisée pour réveiller. par une provocation retentissante, les querelles religieuses sur le point de s’assoupir. — La Navarre ne connut pas la sanglante réaction qui fut amenée par cette triste affaire. Lefèvre cependant dut, comme d’autres bons esprits, regretter cette explosion qui semblait mettre un terme aux espoirs de tous les réformistes. El c’est en ce sens, nous seniblc-t-il. qu’il faut comprendre une anecdote relative A ses derniers moments, qu’il paraît bien difficile de rejeter complètement. Elle fut racontée par le roi et la reine de Navarre

à Thomas Hubert l.éodius. ministre de l’électeur palatin Frédéric II. lequel se trouvait à Paris en 1538. lois d’une visite que le roi et la reine de Navarre faisaient a l’électeur, on vint a parler de la mort de l.efèvre, et voici ce qu’en aurait dit le roi : « Un jour

la reine l’envoya prévenir qu’elle voulait dîner avec lui, avec quelques autres savants aux conversations