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LEFÈVRE D’ÉTAPLES. IDÉES THÉOLOGIQUES


lionibus ac raliociniis posse illam eruere, suam propriam ignorons incapacitatem, quia uerba Spiritus non sensu noslro, non rqlione noslra capiuntur…. seil fide et Spiritu desuper immisso ratione potentiore alque capaciore. In Ev. Joan., viii, 27, § 72. C’est ce que dira plus clairement encore le commentaire sur la II" Pciri, m, 16, qui date de quelques années plus tard : « Pour l’intelligence des divines Écritures, nous avons besoin d’un maître, le Saint-Esprit, qui secrètement inspire les âmes des humbles et des vrais fidèles. Car si nous ne sommes point guidés par lui, nous ne pouvons que déchoir de la fermeté de la foi et de la vie, qui nous fait vivre en Jésus-Christ. » In Epist. // am Pétri, iii, 16, § 22. Nous aurons à nous expliquer plus loin sur l’importance qu’il faut attacher à ce principe d’interprétation de la sainte Écriture.

Ne séparons pas du Commentaire sur les Évangiles, malgré sa date un peu plus tardive, le Commentaire sur les épîtres catholiques, paru en 1527, mais qui était déjà, semble-t-il, composé en 1525. Même méthode, même inspiration, même résultat ; il semble difficile de trouver entre cette production et le Saint Paul paru quinze ans plus tôt une différence appréciable. Tout au plus pourrait-on dire que le vieil humaniste est de plus en plus sûr de sa méthode, de plus en plus persuadé de l’excellence de ses méditations sur la sainte Écriture.

Principales idées théologiques de Lefèvre.

Le

moment semble donc venu de jeter un coup d’ceil d’ensemble sur la production scripturaire de notre auteur. Si l’on songe qu’elle a vu le jour au moment même où se déroulaient en Allemagne les événements religieux que l’on sait, à l’époque même où les idées luthériennes commençaient à pénétrer en France et dans les milieux mêmes où se mouvait Lefèvre, il est indiqué d’y rechercher si, et jusqu’à quel point, elle reflète les idées que Luther vient de jeter dans la circulation.

Or, s’il est certain que Lefèvre a exercé sur Luther une incontestable influence (il est probable que celui-ci, eut le Saint Paul entre les mains dès 1513, et il a annoté le Psalterium quincuplex), il est beaucoup plus difficile de noter une réaction du théologien de Wittemberg sur l’humaniste français, qui pourtant l’a connu. Au simple point de vue de la tenue extérieure, l’œuvre de Lefèvre se différencie d’abord de celle du grand réformateur. Nulle part chez lui de ces revendications haineuses, de ces critiques passionnées où un Érasme même se laisse parfois entraîner. L’exposition reste toujours sereine, presque détachée et, si les allusions aux abus de l’époque ne manquent pas, les exhortations que les combattent sont toujours inspirées par la charité, soutenues par cet optimisme robuste qui fait le fond de l’humanisme, et suivant lequel la connaissance de la vérité finira bien un jour par triompher de toutes les résistances.

D’autres part, chez Luther, l’ensemble de la prédication réformiste est intégré, dès le début, en une gigantesque construction logique dont la doctrine de la justification par la foi sans les œuvres forme la base. Rien de plus étranger à l’esprit de système que la manière de Lefèvre. On a dit que « la dogmatique traditionnelle le guide rarement. » Graf, Jacobus Faber Stapulensis, p. 29. Si l’on veut dire par là que notre auteur se réfère rarement d’une manière expresse aux enseignements de la théologie traditionnelle, c’est incontestable. Mais il n’est pas nécessaire pour se mettre en règle avec la dogmatique de s’y reporter à chaque moment ; l’essentiel est de ne rien laisser échapper qui contredise, soitdans l’ensemble, soit dans le détail, la doctrine enseignée par les représentants autorisés de l’Église. Or, si l’on interroge Lefèvre sur les points principaux qui, à partir de 1517, vont être le

plus âprement controversés entre luthériens et catholiques, on doit reconnaître (et le protestant Graf est contraint de l’avouer), que sa position est celle du catholicisme le plus authentique. Nous ne pouvons songer à donner ici toutes les références, on les trouvera abondantes dans le travail de Graf et celui d’Imbart de la Tour. Indiquons seulement les points principaux.

Avant Luther, Lefèvre, dès 1512, a exprimé l’idée de la justification par la foi, et il le fait dans les termes mêmes de saint Paul ; il y revient naturellement dans le commentaire des évangiles : « Ton salut ce ne sont pas tes œuvres, mais les œuvres du Christ. Tu ne peux te sauver, mais le Christ seul te sauvera, non ta croix, mais sa croix. Nous sommes sauvés par sa grâce et sa bonté suréminentes. » In Matth., x, 38, § 103. A presque toutes les pages de son œuvre éclate l’hymne à la bonté, à la libéralité divine, s’exprime l’idée que notre salut n’est point l’œuvre de nos forces, mais de la bonté de Dieu. Ce langage, encore qu’il manque des précisions scolastiques, aucun théologien catholique ne saurait le désavouer, et l’on rencontre chez Lefèvre autant de pages où s’affirme la doctrine que la foi n’est vraiment digne de son nom que si elle opère par la charité. Voici qui est plus significatif. Expliquant le passage de saint Paul : Arbitramur justificari hominem per fidem sine operibus legis, Rom., iii, 28, Lefèvre écrit en propres termes : « Mais on dira : « Si nous ne sommes pas justifiés par les œuvres de la loi, c’est donc en vain que nous travaillons. » Non certes, ce n’est pas en vain. Car si nous ne travaillons pas, quand nous en avons faculté et opportunité, nous perdons la grâce de la justification, et bien plus encore si nous faisons choses vicieuses et contraires à la loi ; il faut donc que nous fassions tout le bien possible et cela avec instance pour retenir la justification et non seulement pour la retenir, mais pour l’augmenter en nous. Ne va pas croire que tu es incontinent justifié parce que tu as la foi. Il n’en est rien. Car ce n’est ni la foi (prise isolément) qui nous justifie, ni les œuvres. « Les démons croient », dit l’apôtre Jacques. Mais nous sommes justifiés par la foi de même que par les œuvres ; par celles-ci d’une manière plus éloignée, par celle-là d’une manière plus proche ; celles-ci sont moins, celle-là est plus nécessaire. Car par les œuvres sans la foi nul n’a jamais été justifié. Mais, au contraire, il en est qui sont justifiés par la foi sans les œuvres. En fait ce n’est ni la foi, ni les œuvres qui justifient ; elles préparent à la justification, car c’est Dieu seul qui justifie les circoncis en partant de la foi, ex fide, les incirconcis par la foi, per fidem… Ainsi donc les œuvres sont comme une préparation, elles nettoient la route, purgantia viam ; la foi est le terme et pour ainsi dire l’entrée de la possession divine. » Il est entendu que ceci a été écrit avant l’explosion du luthéranisme, mais l’on trouverait dans le Commentaire des Évangiles (1522) des passages non moins significatifs. « La première justification se fait par la foi, car celle-ci est une lumière ; la seconde par la charité, car celle-ci est une chaleur, mais une chaleur unie à la lumière. Car si l’amour, si la charité, n’est pas incontinent jointe à la foi, ne nous attache pas à elle et à l’auteur de la foi, elle ne justifie personne ; on ne peut pas vraiment l’appeler amour et charité. » In Joan, , i, 23, § 12. Voir aussi le développement sur les bonnes œuvres à propos de Joa., iii, 18, § 27, et bien d’autres passages.

Et ces œuvres ne consistent pas seulement dans la pratique des vertus chrétiennes obligatoires : ce peuvent être ces œuvres de surérogation, œuvres de pénitence et autres contre lesquelles Luther s’est élevé avec la violence que l’on sait. Sans doute, dit Lefèvre. elles ne peuvent par elles-mêmes nous justifier : « Mettre un cilice, affliger son corps par la discipline,