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LEFÈVRE D’ÉTAPLES. LE RÉNOVATEUR DE L’ARISTOTÉLISME


techniques relatifs aux titres complets de ses principaux ouvrages.

On étudiera successivement : I. Le rénovateur de l’aristotélisme. — II. Le philologue chrétien, (col. 134).

— III. Le commentateur de la Bible (col. 136). — IV. Le réformiste à l’œuvre et ses tribulations (col. 144).

I. Le rénovateur de l’aristotélisme. — Sur la famille de Lefèvre, son enfance, ses premières études, la date même de sa naissance, toute précision nous manque. Il était fort âgé, presque centenaire, disait-on, quand il mourut en 1536 ; admettons qu’il soit né entre 1440 et 1455, à Étaples (Pas-de-Calais) dont il a conservé le nom. Quand il écrit en latin il signe Faber Stapulensis, ses contemporains l’appellent indifféremment Lefèvre, Faber ou Fabri, c’est le même mot. Nous commençons à le découvrir quand il est à Paris, vers 1475, élève d’Hermonyme de Sparte, qui lui apprend le grec ; il est devenu maître es arts, mais, s’il a fait des études en théologie (et il en a fait puisqu’il est devenu prêtre), il n’a jamais conquis le bonnet de docteur. Plus tard ses adversaires sauront bien lui reprocher qu’étant simple littérateur il se soit mêlé aux questions proprement théologiques. Un voyage qu’il fait en Italie entre 1486 et 1492 décide de sa première vocation. A Pavie, à Padoue, à Rome il se rencontre avec les représentants de l’humanisme italien, occupés pour l’instant à retrouver le texte original, et plus encore le sens véritable d’Aristote. Incomplètement connu des scolastiques du Moyen Age, accessible seulement en des traductions fort défectueuses, obscurci plus qu’éclairé par d’indéfinis commentaires qui lui ont fait perdre son caractère primitif, le philosophe grec est devenu méconnaissable ; il s’agit de lui rendre, avec son antique simplicité, la signification qu’il eut d’abord. C’est à quoi l’on s’emploie avec zèle en Italie, c’est à quoi va s’employer Lefèvre, rentré à Paris et fixé, pour une longue période, au collège du cardinal Lemoine où il enseigne. Vite, autour de lui, un groupe d’élèves se forme à qui il communique son ardeur pour la résurrection de l’ancfenne philosophie ; il y a des Français : Clichtoue, l’un des premiers et des plus aimés, Bouelles, Molinier, Fortunat, plus tard Guillaume Briçonnet qui est du collège de Navarre et Farci, un des derniers venus ; il y a des étrangers : Jean Solidi de Cracovie, les deux Amerbach de Bàle, Beatus Rhénanus de Sélestat. El quand le maître les a formés, les disciples viennent à son aide pour les publications de textes philosophiques qui vont se succéder pendant pi us de quinze ans..lusse Clichtoue et Mouelles sont ici parmi les bons ouvriers de la première heure. Il ne s’agit pas encore de publier le texte grec, entreprise prématurée, mais des versions plus exactes que les traductions courantes, de brèves introductions mettant au point le sujet des traites du Stagyrite, de courtes paraphrases, qui, par le rapprochement des textes parallèles, feront ressortir la pensée du maître, des exposés enfin d’un tour plus personnel où le philosophe ancien sert de point de dépari a des considérations plus modernes. (Test ainsi que paraît en 14(12 une paraphrase sur les huit livres de la Physique, qui dans les éditions suivantes contiendra aussi une introduction a la Métaphysique, et, de bonne heure aussi ( la dafe est difficile a préciser) deux dialogues sur la Physiqueel quatre sur la Métaphysique. En 1 194 Introduction aux Magna Moralia ; en 1496, introduction aux dix livres de l’Ethique a Nieomaipie ; en

1 197, trois traductions latines de ce dernier ouvrage, accompagnées d’une Introduction morale a l’Éthique d’Aristote ; en 1503, réédition de la traduction de la Logique par Boèce, avec des paraphrases ; en 1506, commentaires sur la Politiquee l’Économique ; en 1508, introduction a la Politique si d’autres préoccupations viennent s’interposer dans les années qui suivent, la

production aristotélicienne, ne cesse pas tout à fait, et Vatable publie encore en 1518, sous la direction de Lefèvre, une nouvelle version des œuvres du Stagyrite relatives à la physique.

Mais ce n’est pas seulement à la restauration philologique de l’aristotélisme que l’on travaille en ce milieu dont Lefèvre est l’âme, c’est la philosophie elle-même qu’il s’agit de renouveler, c’est la dialectique que l’on veut émonder de toute la végétation parasite qui s’est développée sur la souche primitive, c’est l’exposition des idées maîtresses que l’on prétend rendre plus claire, plus simple, moins barbare. Quel contraste entre les productions de la jeune école et les lourds commentaires tout hérissés d’indéfinies subdivisions et tout bardés de syllogismes qui sortent au même moment des presses scolaires. Pour arriver à l’élégante sobriété qu’il recommande, Lefèvre attribue à l’étude des sciences une vertu spéciale. Le souci de la culture scientifique marche de pair avec celui de la philologie. Les mathématiques, il s’y adonne et les enseigne lui-même ; il en publie des exposés : arithmétique et musique en 1496 ; texte et commentaire du traité sur la sphère de Jean d’Holywood (Joannes de Sacrobosco) en 1497 ; deux livres d’astronomie en 1503 ; éléments d’Euclide en 1517. Il est bien entendu que la mathématique n’est pas ici cultivée pour elle-même, mais pour la formation qu’on en attend. C’est à la fréquenter que Lefèvreacquerra pour son compte cette sobriété dans l’exposé, cette élégance dans la démonstration qui le mettent hors pair parmi les humanistes de son temps. Il n’en convient pas moins de signaler l’ardeur avec laquellelajeuneécolese jette dans l’étude des sciences et l’audace avec laquelle Lefèvre tente, dès 1500, dans un ouvrage original, Introductio in terminorum cognitionem le classement des diverses disciplines. Si l’on songe à l’étroite dépendance où se trouvait alors la théologie par rapport à la philosophie, on ne saurait trop remarquer quelles vues nouvelles devaient introduire, tôt ou tard, dans l’étude des sciences sacrées les nouvelles façons de raisonner et de penser qu’introduisait la jeune école dont Lefèvre était le chef. La dialectique compliquée qui constituait alors le plus clair de la science théologique ne devrait-elle pas céder le pas, un jour ou l’autre, à des procédés plus simples, plus obvies, à d’autres moyens de pénétrer, autant que faire se peut, dans les mystères de Dieu ? Le retour à l’antiquité s’était montré fécond quand il s’agissait de philosophie, ne le serait-il pas davantage le jour où l’on s’aviserait de l’employer dans le domaine de la théologie.

II. Le philologue chrétien, Aussi bien le

premier humanisme français est d’abord presque exclusivement érudition et littérature ; mais celui qui en était l’inspirateur était une ànie trop profondément religieuse pour ne pas s’apercevoir de ce qu’avaient d’un peu vain les recherches où s’attardaient et lui-même et ses disciples. Sur les sentiments de piété qu’avait Lefèvre nous pouvons en croire Farci. Passé au protestantisme le plus radical, aux négations les plus farouches, et se demandant comment il a pu croire en sa Jeunesse aux’idolâtries des papistes. le novateur se justifie en invoquant les exemples qu’il eut pour lors et spécialement le spectacle que lui donnait Lefèvre de la science la plus loyale et la plus Clairvoyante associée a la piété la plus simple et la plus touchante. La façon dont ce saanl célébrait la sainte messe ou lisait ses heures avait fail siii snn .’une d’adolescent la plus ie impression. Voir îipitrr

a tous seigneurs…, édit. de Neuchfttel, 1865, p, 17°.

Une telle application aux choses de Dieu devait

amener tôt on tard Lefèvre ci son groupe a étudier plus spécialement les questions religieuses, i appliquer aux œuvres de l’antiquité chrétienne les mêmes mé-