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LUTHER. LA SOCIÉTÉ SPIRITUELLE


politiques, d’aussi bonnes raisons de lui accorder une admiration profane.

Luther ne croit pas à la valeur de l’intelligence ; il rejette le magistère de l’Église. Pour se diriger, cpie lui restcra-t-il ? La Bible et le verbe intérieur.

L’interprétation privée.

A l’origine, il crut

peut-être sincèrement que, dans leurs interprétations de la Bible, les vrais chrétiens, ceux qui se laisseraient guider par leur sens religieux, ne seraient jamais en désaccord. En 1522, il disait en chaire : « On nous dit : « Notre Saint-Père le Pape est le seul à avoir « le droit de juger de l’Écriture. » Pardon à votre Grâce, mon cher petit pape ; moi je réponds : Quiconque a la foi est un homme spirituel ; dès lors, il juge de toutes choses, et il n’est jugé par personne. Que ce soit la simple fille d’un meunier, ou même un enfant de neuf ans, s’ils ont la foi, et qu’ils jugent de la doctrine d’après l’Évangile, le pape, s’il est vraiment chrétien, doit les écouter et se mettre à leurs pieds. Et c’est là aussi le devoir de toutes les hautes écoles, de tous les savants et sophistes. » W., t. x c, p. 359, 17. L’année suivante, il disait plus résolument encore : « Les évoques, le pape, les savants, tout le monde a le droit d’enseigner ; mais les brebis ont le droit de contrôler si c’est la voix du Christ ou une voix étrangère qu’on leur fait entendre. » W., t. xi, p. 409, 26.

Pourquoi « la fille d’un meunier », pourquoi « un enfant de neuf, ans » pouvaient-ils juger de la doctrine ? C’était parce que la Bible était fort claire et facile à comprendre. C’est ce qu’aux environs de 1520 Luther ne cesse de répéter : « Par elle-même [et sans l’aide des Pères], l’Écriture est la certitude, la facilité, la clarté par excellence ; elle est sa propre interprète, et c’est elle qui éprouve, juge et illumine tout ce qui vient d’ailleurs. » W., t. vii, p. 97, 23 (1520) ; de même, t. vii, p. 317, 1 (1521). « C’est par l’Écriture qu’il faut juger les Pères, et l’Antéchrist de pape. » W., t. viii, p. 99, 10 (1521). « Ne craignez rien, ayez confiance. Nous avons un grand avantage : c’est que le pape et les siens n’entendent rien à l’Écriture et qu’ils ne se comprennent pas eux-mêmes. C’est ce que nous montrent suffisamment Sylvestre de Rome, et Jean Eck après lui, et Rhadinus et Catharinus, et ceux de Cologne et de Louvain, et le pape avec ses bulles, et Paris et Latomus de Louvain, enfin, à Leipzig, les deux barbouilleurs de papier (Emser et Alfeld), qui, tout trottinant, viennent d’entrer dans le concert. Pas un d’eux ne veut entendre parler de l’Écriture ; ils mettent en avant leurs rêves et leurs doctrines humaines ; ils s’en vont chantonnant : « Avancez, avancez ; » mais pour eux, ils ne savent que rester en arrière. « Eh bien I si quelqu’un d’entre eux vous aborde et vous dit : « Il faut étudier les Pères ; l’Écriture est obscure, » vous leur répondrez : « C’est fauxSur la terre, il n’y a pas de livre plus clair que l’Écriture ; comparée aux autres livres, elle est comme le soleil auprès des autres lumières. » W., t. viii, p. 235, 27 (1521).

La traduction de la Bible.

Pour rendre la Bible

plus accessible, Luther en entreprit la traduction.

Il s’était toujours beaucoup intéressé à la Bible. C’est dès son séjour à Magdebourg qu’il dut commencer à la goûter. Plus tard, les statuts de l’ordre des augustins lui avaient « prescrit de lire l’Écriture sainte avec empressement, de l’écouter avec recueillement et de l’étudier avec ardeur ». Puis, Staupitz lui avait recommandé de s’attacher particulièrement à l’étude de la Bible ; en 1512, il l’avait fait nommer professeur d’Écriture sainte à l’Université de Wittenberg. Luther le resta jusqu’à sa mort. Dans ce long enseignement, d’ailleurs fréquemment interrompu, il commenta la plupart des livres de la Bible.

Les premières années, il s’était préparé scientifi quement à sa tâche. Il avait appris assez bien le grec et quelque peu l’hébreu, avait lu certains ouvrages des Pères, notamment de saint Augustin. Pou.’Dictées sur le Psautier (1513-1510), il avait consulté et annoté le Quintuple Psautier de Lefèvre d’Étaples, paru en 1509. W., t. iv, p. 463-526. Pendant son Commentaire sur l’Épltre aux Romains, il s’était procuré l’édition du Nouveau Testament qu’Érasme venait de publier. Ci-dessus, col. 1288. Dans la suite, occupations et préoccupations du Réformateur le détournèrent d’études patientes et scientifiquement ordonnées. Aussi, ses travaux sur l’Écriture sainte n’ont-ils guère qu’une valeur historique : ils nous renseignent sur leur auteur ; dans l’étude même de la Bible, ils n’ont pas de place marquée.

Mais, dans ces travaux, sa traduction de la Bible occupe une place à part, une place prépondérante.

De la découverte de l’imprimerie à la bulle qui le condamna, c’est-à-dire de 1450 à 1520, on trouve au moins 156 éditions latines de la Bible, 18 éditions allemandes, 14 en haut allemand et 4 en bas allemand ; le fond de ces éditions doit remonter à la traduction du dominicain Jean Rellach, des environs de 1450. Ces bibles complètes ne semblent pas, il est vrai, avoir été d’un usage courant. W. Walter, Luthers Deutsche Bibel, 1918, p. 4-30. Mais, à côté, le Moyen Age avait des bibles abrégées, et surtout divers recueils de psaumes, des collections des épîtres et des évangiles qu’on lisait aux offices de l’Église. « Le Moyen Age avait de la Bible une connaissance qui, à beaucoup de points de vue, ne peut que nous faire rougir… Alors, la Bible était le fond de tout le savoir et de toute la civilisation ; il est loin d’en être de même aujourd’hui. » E. von Dobschiitz, Bibelkenntniss in vorreformatorischer Zeit, dans Deutsche Rundschau, t. av, p. 73, 74.

C’est à la Wartbourg, au mois de décembre 1521, que Luther commença sa traduction de la Bible. Il débuta par le Nouveau Testament. Le 21 septembre 1522, la traduction en paraissait à Wittenberg, avec ce simple titre : Le Nouveau Testament en allemand, Wittenberg ; elle ne portait ni date ni nom d’auteur ou d’imprimeur. En fait, elle sortait de chez l’imprimeur Melchior Lotther, avec des préfaces et des notes de Luther, et vingt et une gravures sur bois, de Lucas Cranach. En 1534 parut la traduction complète de la Bible. Une seconde édition en parut de 1540 à 1542. Pour la préparer, Luther avait réuni une sorte de commission ; Mélanchthon, Bugenhagen, Cruciger, Justus Jonas, Aurogallus, d’autres encore venaient chez lui un jour par semaine, quelques heures avant le souper. Il proposait un mot, émettait une difficulté, et chacun donnait son opinion. Un secrétaire, Georges Rœrer, nous a gardé la physionomie de ces séances. Die deutsche Bibel, éd. Weimar, t. n et iii, 1909-1911. Une troisième édition parut en 1543, une quatrième et dernière en 1545 ; c’est celle qui a été à la base de toutes les rééditions suivantes.

Dans sa traduction de la Bible, on retrouve toutes les préoccupations de Luther ; la Bible entière a été contrainte d’étaver la théorie de la justification par la foi. I. Dcellinger, tr. Perrot, t. iii, p. 135-169 : D. P., t. il, passim. Toutefois, par beaucoup de côtés, cette traduction a une grande valeur. Le défaut dominant de l’exégèse de Luther, le manque de précision scientifique, y est atténué, et ses qualités s’y présentent dans tout leur jour : amour de la Bible, imagination et sensibilité, maîtrise de la langue allemande. Malgré son silence sur ce point, comme sur tant d’autres, ou estime généralement aujourd’hui que, dès la Wart » bourg, il s’est aidé des traductions allemandes précédentes ; mais son travail est très supérieur à ces traductions.

Par cette traduction, Luther n’a pas créé la langue