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LUTHER. LA SOCIETE SPIRITUELLE


tion des clercs et des laïques ; en réalité, « par le baptême, nous recevons tous le sacerdoce, » W., t. vi, p. 407, 22 ; la seconde est l’accaparement de l’Écriture sainte ; la troisième, le droit réservé au pape de convoquer un concile et d’en confirmer les décrets. Aussi, deux mois après, écrivait-il à Léon X : « Je ne puis accepter de règle pour interpréter la parole de Dieu ; elle qui enseigne la liberté de tous, elle ne saurait être enchaînée. » W., t. vii, p. 47, 29 (sur la date : milieu d’octobre, voir D. P., 1. 1, p. 220, 221). Finalement, à Worms, devant l’empereur et les États, il disait quelques mois plus tard : « Pour me convaincre, papes ni conciles ne sauraient suffire ; je ne veux l’être que par des témoignages de l’Écriture ou des démonstrations évidentes. » R. A., t. ii, 1896, p. 555.

Détruire l’Église catholique et le pape : de 1517 à 1521, voilà la grande préoccupation, la hantise de Luther. A cette hantise il y avait plusieurs motifs. D’abord ses idées sur la justification ; lorsqu’il vit l’Église rejeter sa théorie de prédilection, il s’éleva fougueusement contre elle. A l’engager dans ces attaques, il y eut aussi les abus graves et nombreux qui depuis longtemps souillaient l’Église, tout particulièrement dans le haut clergé d’Italie et d’Allemagne ; il y eut l’antagonisme entre l’Allemagne et l’Italie, entre le monde anglo-saxon et le monde latin ; il y eut l’esprit individualiste de l’Allemand.

Après la mort de Luther, justification par la foi et autres théories du moment ne resteront plus guère finalement qu’à l’état d’impressions lointaines. En regard de l’ancien christianisme, la distinction caractéristique du nouveau, ce sera l’individualisme ; le catholicisme est une religion collective, une religion sociale ; de soi au contraire, le protestantisme, est une religion individuelle, une religion privée.

2° La destruction du culte. — La destruction du culte eut deux principaux points de départ ; la théorie de la justification sans les œuvres et la négation de l’Église. A la théorie de la justification, il faut joindre une antipathie particulière contre les œuvres extérieures, antipathie venue d’un besoin de réaction constant chez Luther et d’un vague platonisme. Ci-dessus, col. 1211. Du reste, Luther eut garde d’aller jusqu’à la destruction complète du culte catholique ; c’est à une réduction, réduction souvent même assez timide, qu’il s’arrêta.

Les thèses contre les Indulgences furent une première attaque contre le culte. Les années suivantes, Luther s’occupe peu du culte. Mais au mois d’avril 1520, il fait un sermon contre la messe. W., t. vi, p. 319-378 ; au mois d’octobre, tout son pamphlet De la Captivité de Babylonc est une dissertation sur les sacrements. Il n’en laisse subsister que trois : le baptême, la pénitence et la cène ; encore la pénitence n’est-elle pas un vrai sacrement. W., t. vi, p. 572, 12. Puis, il faut délivrer ces sacrements de la captivité où les détient la papauté, c’est-à-dire bien rappeler qu’ils ne sont pas entre les mains d’un sacerdoce. Nombre d’autres institutions sont dans la même captivité, notamment le mariage et le célibat des prêtres.

Deux mois après, paraissait le traité De la liberté du chrétien. Tout y tend à déprécier le culte extérieur. Sur l’idée de la corruption Intégrale de l’acti

vite humaine, Luther veut refaire l’édifice de la vie

chrétienne, il vante la foi qui s’appuie sur le Christ.

La vie du chrétien consistera dans une parfaite I i lui té spirituelle, et. cette liberté le mettra au dessus de tout ». W., t. vii, p. 23, 3.

Dans la Capllottidt Babglone, Luther avait dénoncé avec véhémence la triple captiiié de l’eucharl refus du calice aux laïques, dogme de la transsub liai Ion, dogme de la messe considérée comme saci i Bce et comme œuvre satisfactoire et méritoire. W., t. vi.

p. 502-526. Toutefois, très hardi dans ses théories et ses paroles, il gardait de la timidité en face des usages reçus. Aussi avait-il déclaré que, privé du calice par la tyrannie sacerdotale, le laïque ne péchait pas en communiant sous une seule espèce. Il n’avait donc pas interdit aux prêtres de donner la communion par l’hostie seule. Il n’avait pas davantage défendu de dire la messe et d’accepter des honoraires ; on devait seulement répudier l’intention de faire un sacrifice, et se contenter d’offrir pour les fidèles les prières qui accompagnent la célébration de l’eucharistie. Puis il fallait réciter à haute voix les paroles de la consécration. W., t. vt, p. 516-526.

Mais les idées émises fermentèrent. Dans les derniers mois de 1521, alors que Luther était à la Wartbourg, elles produisirent à Wittenberg une véritable révolution. Carlstadt, puis Zwilling, puis des « prophètes » de Zwickau, partisans de Thomas Mûnzer, introduisirent dans le culte et notamment dans la messe des transformations profondes. Le jour de Noël, Carlstadt célèbre « une messe évangélique *>, en habit séculier, avec suppression de l’offertoire et communion sous les deux espèces. Le fait se multiplie. Puis les monastères se vident, en particulier le couvent des augustins ; moines et prêtres séculiers se marient. Au mois de janvier 1522, on se rue dans les églises, brisant autels et statues. Puis, Mûnzer et les siens s’attaquent au baptême des enfants : il fallait le renouveler chez les adultes. Plus tard, on leur donnera le nom d’ANABAPTiSTES. Voir t. i, col. 1128.

Frédéric de Saxe fronce le sourcil. Le 1 er mars 1522, Luther quitte sa Patmos. Aussitôt il public son Exhortation à tous les chrétiens de se garder de la révolte et de la sédition. Il y parle dans le sens des désirs de son électeur. C’est aux princes à agir ; pour le peuple, il doit s’abstenir de toute sédition : « La puissance séculière et la noblesse devraient travailler à la réforme de la religion, chaque prince et chaque seigneur dans sa terre. C’est là pour eux un devoir ordinaire de leur charge. Et ce qui vient de l’autorité régulière n’a pas un caractère de sédition… Pour les gens du commun, ils doivent s’abstenir de tout désir et de toute parole tendant à l’émeute, ne rien entreprendre sans un ordre de l’autorité ni en dehors d’elle… Tant que l’autorité n’entreprend ni ne commande rien, tiens donc en repos ta main, ta bouche et ton cœur, et ne te mets pas en avant. Essaie d’amener l’autorité à entreprendre et à commander ; mais si elle ne veut pas, tri aussi tu dois ne pas vouloir. » W., t. viii, p. 679, 680. Puis Luther terminait par une affirmation de sa mission : « Je suis certain que ma parole n’est pas ma parole, mais celle du Christ lui-même. » Ibid., p. 683. Par cet écrit. Luther entrait dans la période de contre-révolution. Comment va-t-il reconstruire ?

II. LES RECONSTRUCTIONS. LA BIBLE. — Dans la

théorie de la justification, au milieu de mainte contradiction de détail, les grandes lignes subsistent à peu près constamment : corruption intégrale de l’homme déchu, inutilité des œuvres pour le salut, justification par la foi ou confiance en Dieu. Chez Luther, la tendance contre l’Église et le pape était loin d’être aussi primordiale. Aussi, dans la défense et la consolidation de celle tendance, t : tonncra-t-il beaucoup plus. Parti d’un vague mysticisme Individualiste où le chrétien de bonne volonté n’a besoin que de l’Écriture interprétée par le verbe intérieur, il en arrive vite à une profession de foi obligatoire et à une Église d’État,

Pour opérer ces stabilisations, procédés politiques, déloyautés, lien ne lui répugnera. I.e penseur et L’homme de caractère y trouveront îles raisons de

suspecter ce Réformateur religieux : les habiles et les