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LUTHER. LA SOCIÉTÉ SPIRITUELLE


doctrine du Réformateur. Il est violent, torrentueux, mal composé, avec un penchant plus accentué que jamais vers le paradoxe, mais d’un souffle puissant. Luther en a plus châtié le style que dans ses autres œuvres latines. Il s’y livre moins à son penchant à l’injure massive et à la grossièreté. Il cherche à se contenir ; on comprend qu’il se soit vanté de la modération de sa réponse. Enders, t. v, p. 335 ; Érasme, Opéra, t. îi a, col. 926 ; t. x, col. 1558. Pour le fond même de l’écrit, la négation de la liberté, elle achève de faire comprendre l’homme et son œuvre. La concupiscence est invincible, a-t-il répété des centaines de fois. Maintenant, on voit jusqu’où va cette invincibilité ; loin de s’arrêter aux mouvements impulsifs de notre être, elle envahit jusqu’à nos mouvements les plus volontaires.

Or, un fait universellement admis, et dont les protestants font grand honneur à Luther, c’est que sa théologie est personnelle ; elle sort de ses expériences intérieures. Dès lors aussi, on comprend où il a puisé l’idée de sa mission ; il sentait en lui des mouvements impérieux, contre lesquels il s’était habitué à ne pas réagir. Et ces impulsions, c’étaient les impulsions d’un Wende, c’étaient des impulsions farouches. L’envahissement de l’âme par les impulsions de la subconscience, et l’âme impuissante à réagir, se réfugiant en Dieu par la confiance, c’est toute la théologie de Luther.

II. La Société spirituelle et la Société temporelle. — La justification par la foi sans les œuvres, c’est là proprement la théologie de Luther. Dès 1513, il~en avait trouvé les grandes lignes. En 1517, lors de l’affichage des thèses sur les Indulgences, elle était à peu près complètement constituée. On le voit notamment par deux séries de thèses sur la nature et sur la grâce qu’il fit soutenir au mois de septembre 1516 et le 4 septembre 1517, W., 1. 1, p. 142-151, 221-228 ; on y apprend que l’homme est irrémédiablement déchu et qu’il n’a pas la liberté. Or, ce ne fut que le 31 octobre 1517 qu’il afficha ses thèses sur les Indulgences.

Dans la suite, ses idées sur la justification seront toujours au premier plan de ses préoccupations. Le 9 mai 1518, dans une lettre à son ancien professeur d’Erfurt, Josse Trutfetter, il prenait la défense de ses thèses du 4 septembre précédent ; auparavant, « on n’avait pas entendu prêcher le Christ et l’Évangile ». Enders, t. i, p. 188. En 1524, il écrivait à ses princes, Frédéric et Jean de Saxe : « Si la doctrine des papistes était juste, j’aurais peu à faire à eux ; leur mauvaise vie n’aurait pas grande importance. » W., t. xv, p. 218, 10. En 1530, on imprimait à Wittenberg « diverses conclusions des illustres théologiens Martin Luther, André Carlstadt, Philippe Mélanchthon et autres, pour la défense et l’éloge de la grâce ». Ce recueil ne contenait pas les thèses sur les Indulgences. W., 1. 1, p. 222, l’édition A.

Dans les idées de Luther, la théorie de la justification occupe donc une place hors pair. En général, ses vues sur la société spirituelle et la société temporelle sont à la fois moins caractéristiques et plus connues. Néanmoins, plusieurs d’entre elles sont fort curieuses, et en tout cas fort hétérodoxes ; en outre, ce sont elles surtout qui se sont maintenues dans ie luthéranisme. Autant de raisons de leur donner dans cette étude une place, sinon vraiment suffisante, du moins convenable.

Deux parties : I. La société spirituelle. — II. La société temporelle (col. 1309).

I. La société spirituelle.

La religion individuelle.

— I. Les destructions. II. Les reconstructions ; la Bible. III. Le verbe intérieur. IV. Le nouveau culte. V. La communauté religieuse.

Le catholique a deux sources de doctrine, la Bible

et la tradition. De cette doctrine il a deux interprètes : l’Église et les illuminations privées. Il a un culte, public et privé, dont l’Église est la dépositaire ou la créatrice.

Luther nia la tradition doctrinale, et supprima l’Église dans toutes ses attributions : comme canal de cette tradition, comme interprète de la doctrine, comme dépositaire et créatrice du culte. Au culte, il enleva une partie notable, tout spécialement les points qui rappelaient le mieux un Dieu indépendant de nous. Il garda et exalta la Bible, donna une place prépondérante aux illuminations privées, qu’il présenta comme le fruit vaguement panthéiste d’un sens intérieur ; ce sens intérieur devait interpréter la Bible et remplacer ainsi l’Église. Il établit un nouveau culte, débris du culte catholique. Enfin il rétablit et laissa rétablir des contrefaçons de l’Église.

I. LB8 jj&iTKUCTiONH. — 1° La destruction de la tradition et de l’Église. — Luther, a-t-on vii, a eu deux grandes tendances : une tendance à nier la valeur religieuse et morale de l’activité humaine, une tendance à haïr le pape et l’Église catholique et à les remplacer par le prince temporel. Dans ses fameuses thèses sur les Indulgences (31 oct. 1517), on trouve déjà ces deux tendances nettement esquissées. L’indulgence rappelle directement le mérite des œuvres ; elle est par excellence l’efflorescence de l’Église et de la communion des saints. Bien qu’avec une certaine hésitation et à mots couverts, c’est sous ce double aspect que Luther va l’attaquer. Les peines canoniques, dit-il, sont moins une source de mérites que l’indice d’une vraie contrition. Th. 12. Voilà pour le mérite des œuvres. Pour le pape, Luther se montre en apparence très respectueux de son autorité ; en réalité, d’une manière à peine voilée, il y ébranle sa puissance, et il le réduit au rôle d’un pasteur protestant. Le pape n’a aucun pouvoir pour la rémission des peines du purgatoire ; sur la terre même, sa puissance n’est que disciplinaire et extérieure, portant uniquement sur les lois canoniques et les pénitences publiques. Aussi l’indulgence n’est-elle qu’une déclaration du pardon de Dieu. Th. 38 : voir aussi th. 5, 6, 20-22 : bulle Exurge, n. 19-21. Enfin, ce n’était pas à l’université, c’était à la porte de la chapelle de son prince que Luther affichait son manifeste.

Le 28 novembre 1518, à son retour d’Augsbourg, il publie un Appel au concile. Au mois de mai suivant, il publie treize thèses en vue de la dispute de Leipzig. Voici la treizième : « La supériorité de l’Église romaine sur toutes les autres ne se prouve que par des décrets insignifiants des pontifes romains. Ces décrets datent des quatre derniers siècles. Contre eux se dressent onze cents ans d’histoire authentique, les textes de l’Écriture et le décret du concile de Xicée, le concile sacré entre tous. » W., t. ii, p. 161, 35. Le mois suivant, il publiait un long commentaire de cette thèse. Il y professait la théorie de l’Église invisible, qu’il avait prise chez Jean Hus. L’Église est une société cachée aux regards des hommes et visible seulement pour Dieu. Elle est « la communion des saints » ; or les saints sont ceux qui ont la foi et que la foi a justifiés. A leur tête, ils n’ont qu’un chef, le Christ. Où est la foi, là est l’Église. W., t. ii, p. 180241. En même temps, on l’a vii, il s’habituait à désigner le pape sous le nom d’Antéchrist. Le 5 juillet 1519, dans la dispute même de Leipzig, il rejeta l’autorité doctrinale des conciles ; plusieurs avaient erré dans la foi, notamment celui de Constance dans son action contre Jean Hus. W., t. ii, p. 279.

Au mois d’octobre 1520, dans son manifeste A la noblesse chrétienne de la nation allemande, il décrit « trois murailles *, que les romanistes avaient élevées pour s’opposer à la réforme de l’Église et à la convocation d’un concile libre. La première est la distinc-