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LUTHER. LA LUTTE AVEC ÉRASME


v. i.k SERF ARBITRE (1525). — Dès le mois de septembre 1524, on avait à Wittenberg la Diatribe d’Érasme. A l’origine, Luther songea-t-il à ne pas répliquer et, par un procédé dont il était assez coutumier, à laisser ainsi l’œuvre l’Érasme tomber dans l’oubli ? Cette disposition, du moins, aurait peu duré. L’écrit d’Érasme ébranlait beaucoup de luthériens. Puis, était-il possible de laisser en paix un ennemi puissant, qui s’était attaqué à la justification par la foi seule, c’est-à-dire au Christ lui-même ? Aussi, dès le milieu de novembre, Luther assurait-il qu’il répondrait à Érasme. Enders, t. v, p. 52. Mais sa lutte avec Carlstadt, la guerre des paysans, son mariage l’absorbèrent de longs mois. Enfin, au mois de décembre 1525, l’écrit sur le Serf arbitre était imprimé. Érasme avait espéré que le mariage « aurait apprivoisé Luther » ; la lecture du nouveau pamphlet put lui apprendre que le Wende de Wittenberg n’avait rien perdu de sa violence. Et plus tard Luther dira à ses amis que c’était sa femme qui l’avait engagé à écrire 1 T. R., t. iv, n. 5069 (1540).

L’écrit sur le Serf arbitre est très loin de fournir un traité didactique contre la liberté. Luther n’est pas un homme de science, travaillant avec calme et méthode ; c’est un polémiste qui s’avance à la manière d’un torrent. Pas à pas, il s’attache à Érasme, relève chacun de ses arguments, dissèque ses explications de l’Écriture sainte, travaille uniquement, en un mot, à ruiner l’autorité de son adversaire. Cà et là, dans ce torrent d’arguments et d’injures, apparaissent des phrases doctrinales qui nous donnent la pensée du Réformateur.

De ces développements confus ressort à chaque page la négation de la liberté. En faveur de sa thèse, Érasme a cité de nombreux textes de l’Écriture. L’explication de Luther est d’une simplicité étonnante. Quand Dieu commande à l’homme, il lui dit : « Essaie d’obéir ; fais tout ce que tu pourras. Mais, en réalité, tu ne peux rien. » Les commandements de Dieu sont une manière de railler l’impuissance de l’homme et de lui faire reconnaître son néant. "W., t. xviii, p. 675, 22, etc.

Comme autrefois, Luther donne deux grandes causes du serf arbitre : la corruption de la nature déchue et la condition de l’être créé. La nature déchue est irrémédiablement corrompue et incapable de tout bien. W., t. xviii, p. 636, 24. Le libre arbitre est un vain titre, comparable à ceux dont se parent les rois déchus. Ibid., p. 637, 20. Il aime à revenir sur l’opposition entre l’esprit et la chair : « Tombés, abandonnés de Dieu, Satan et l’homme sont incapables de vouloir ce qui plaît à Dieu. Dans leurs désirs il y a un renversement permanent ; ils ne peuvent que se rechercher eux-mêmes. » Ibid., p. 709, 12. La chair, c’est l’homme tout entier ; « c’est l’âme et le corps, l’esprit, la raison, le jugement et tout ce que dans l’homme on peut alléguer de plus remarquable. » P. 740, 19. Sans doute, dans le domaine naturel, le libre arbitre est encore une réalité ; nous pouvons nous décider « à manger, à boire, à engendrer, à commander ». Mais, dans le.domaine de la grâce, il n’est rien. P. 752, 6. La raison orgueilleuse est fermée aux choses de Dieu. P. 658, 20 ; 677, 9 ; 735, 14. La volonté, c’est la mort, l’aversion de Dieu, l’insubordination inguérissable. Elle ne peut vouloir le bien, car on ne désire pas ce qu’on ignore. P. 774, 33 ; 782, 19. Pour tout dire d’un mot, « la volonté de l’homme n’est pas libre, elle ne s’appartient pas ; elle est l’esclave du péché et de Satan ». P. 750, 34. Avec la redondance du rhéteur, Luther peut donc conclure : « Signification et réalité d’un mot si glorieux, nous avons tout perdu. » P. 637, 17.

Pourtant non, c’est là une fausse conception du

serf arbitre : « Cette signification et cette réalité, l’homme ne les a jamais possédées. » P. 637, 17-18. « Sans doute, pour ce qui est au-dessous de lui, on peut encore concéder à l’homme le libre arbitre ; néanmoins, le plus sûr et le plus religieux serait de supprimer le mot complètement. » P. 638, 4. Pourquoi ? Parce que « le libre arbitre est un nom absolument divin, et qui ne peut convenir qu’à la majesté divine ». P. 636, 28 ; cf. p. 662, 5. Dans le traité, cette seconde considération se produit même au premier plan ; le pessimisme augustin ! encède le pas à un fatalisme panthéiste.

Dieu est la perfection absolue. Dès lors, il est éternel, immuable, nécessaire ; elles aussi, sa science, sa volonté, sa toute-puissance sont éternelles, immuables, nécessaires ; donc à la liberté de l’être fini elles ne laissent aucune place.

Dieu connaît l’avenir d’une connaissance immuable. Donc dans les créatures, tout doit aussi nécessairement arriver. « Si Dieu ne voyait l’avenir que d’une manière incertaine, ou s’il pouvait se tromper sur les événements futurs, ce serait un Dieu ridicule, ou, pour mieux dire, une idole. Si tu m’accordes la prescience et la toute-puissance divines, il suit naturellement, par une conséquence inéfragable, que ce n’est pas par nous-mêmes que nous vivons, ni que nous agissons. P. 718, 17.

De même, Dieu veut toutes choses d’une volonté nécessaire et efficace : rien ne peut lui résister. C’est d’après son gré que tout se tient debout ou tombe. Donc tout ce qui arrive n’arrive que parce qu’il l’a voulu, et avec toutes les circonstances qu’il a voulues : « Dieu ne prévoit rien d’une manière conditionnelle ; il prévoit, prépare et fait tout d’une volonté immuable, éternelle et infaillible. Cette vérité renverse le libre arbitre et le met en pièces. » P. 615, 13.

Aussi, de même que le bien, le mal est l’œuvre de Dieu : c’est une conséquence de sa toute-puissance Luther se fait l’objection : « Pourquoi, dira-t-on, Dieu ne s’abstient-il pas de l’influence toute-puissante par laquelle la volonté des impies est excitée à continuer d’être mauvaise et à devenir plus mauvaise encore ? Je réponds : C’est désirer qu’à cause des impies, Dieu cesse d’être Dieu, puisque tu désires voir cesser sa puissance et son action. » P. 712, 20. « Dieu fait tout en tout, et sans lui rien ne se fait. » P. 709, 10. « Que Dieu ne puisse et ne fasse pas tout, ou que quelque chose se fasse sans lui, ce sera toujours là un Dieu ridicule… Par toute-puissance de Dieu, j’entends non la puissance par laquelle il s’abstient de beaucoup d’actes qui sont en son pouvoir, mais la puissance actuelle par laquelle il fait tout en tous ; j’entends, le sens de l’Écriture quand elle l’appelle le Tout-Puissant. » P 718, 19, 28. « Dieu opère tout en tout, et même dans les impies. Après avoir tout créé, c’est lui seul aussi qui meut, active, entraîne tout par la motion de sa toute-puissance ; cette motion, rien ne saurait l’éviter ni la modifier ; tout y obéit docilement, chaque être selon les énergies qu’il lui a départies. » P. 753, 29. Ainsi, « tout ce qui arrive est absolument nécessaire. » P. 670, 26. A cette loi générale, l’homme ne fait pas exception ; dès l’état d’innocence, il était soumis à cette nécessité universelle.

Dieu, aime à répéter Luther, est l’être immuable, nécessaire : donc tout doit exister et agir nécessairement. Mais à Dieu lui-même reconnaissait-il la liberté’. 1 On peut très légitimement se le demander. Il en vient à faire appel au destin des anciens, dont les décrets réglaient fatalement l’existence et l’opération de tous les êtres, sans en excepter les dieux : « Pourquoi, à nous autres chrétiens, ces notions seraient-elles si étranges, alors que, chez les païens, les poètes et le peuple lui-même les avaient constamment à la bouche 1 Pour