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LUTHER ET LE MARIAGE

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ses vues, pour les bien situer, il est donc nécessaire de se rappeler d’abord ce que, d’après la loi naturelle et L’Évangile, l’Église catholique enseigne sur le mariage.

Toute sa doctrine sur ce point est fondée sur ce principe : les passions violentes qui sont en nous ont pour but dernier la conservation de l’espèce humaine et non notre propre plaisir. Mais chez l’homme, être qui se sent vivre, chaque faculté doit normalement trouver une jouissance dans son exercice : les sens dans les actes extérieurs, l’intelligence dans l’acte de la pensée, le cœur dans l’affection et le dévouement, la volonté dans une décision prise. Ainsi en est-il pour les passions dont il s’agit ici. Mais le but en est plus important que celui des actes qui se terminent à l’individu : dès lors, on comprend qu’à leur exercice Dieu ait attaché une jouissance plus grande.

Quand, dans l’exercice de ces passions, nous recherchons le plaisir uniquement pour lui-même, sans vouloir atteindre le but que Dieu leur a assigné, en nous opposant même à l’obtention de ce but, il y a désordre. Il y a désordre à manger et à vomir pour manger encore, comme faisaient les Romains de la décadence. De même, il y a désordre à rechercher les jouissances sexuelles tout en visant à les frustrer de leur but normal, qui est de fonder une famille.

Avant tout, le mariage a donc un but social : une famille à fonder, des enfants à élever. Et pour la stabilité de la famille, pour le bien des enfants, l’Église demande l’indissolubilité et l’unité du mariage. Enfin, nous dit-elle, Jésus-Christ a donné au mariage chrétien une noblesse toute particulière ; il en a fait un sacrement.

2° Réaction de Luther. — Contre ces points et d’autres encore Luther va exercer sa tendance à la réaction.

Réaction contre l’époque précédente. Le xve siècle avait enrôlé des piètres sans utilité sociale, des religieux sans vocation : par là, il avait semblé dire que leur état, leur habit suffisaient à les mettre au-dessus des gens mariés. D’où Luther représentera le pape comme l’cnnemi-né du mariage : S’il avait le pouvoir de créer, il n’aurait pas fait l’ombre d’une femme, et il n’en laisserait pas une sur la terre. » W., t. xlix, p. 7’.ix. 28 ( I août 1°) ! ">). Les papistes « envoyaient le mariage au diable »., t. xxvii. p. 211, 28 (19 janvier 1528). Par réaction, par une certaine tendance allemande a ne comprendre l’homme que comme père de famille, il aura des termes dithyrambiques pour célébrer le mariage ei la vie de famille. D parle avec force des obligations familiales, des humbles devoirs de chaque jour, devoir du père, de la mère, des enfants. Luimême se mariera. L’origine de ce ménage sera loin d’être sans ombres. Souvent aussi, la femme et les enfants de Luther ressentiront son caractère Irascible. Toutefois, comme époux et père de famille, il saura se soumettre allègrement à ces devoirs quotidiens qu’il rappelait aux autres. Ici. paroles et actes « le Luther ont eu ci uni encore dans le protestantisme une heu-Influence.

Mais ce ne sont pus ces idées que Luther a en vue dès l’abord. Du moins est-il qu’à côté il en a d’autres. antichrétiennes et dissolvantes. L’Église catholique avait fait du mariage un étal Bocial, avec une auréole spirituelle et religieuse ; Luther va en faire un étal Individuel, avec des préoccupations physiologiques el purement profam le qui l’obsède, c est le côté réa liste du mariage pour la femme et surtout pour l’homme, le mariage est un remède donné par Dieu pour céder honnêtement à la concupiscence. II. Boehrær, Luther, v édition. 1914, p. l">7. Or la concupiscence est a la fois mauvaise ci Invlni Ible. De là, à l’endroit du mariage, Luther tire deux conclusions : la première, i le mariage csi mauvais ; la seconde, c’est qu’à i.i femme et plus encore a l’homme il est

nécessaire ; dans certains cas, on pourra donc recourir au divorce ; mieux encore : si à un homme une femme ne suffit pas, il pourra en prendre deux à la fois.

Ainsi, les attaques de Luther contre le mariage viennent des mêmes préoccupations que celles contre les ordres religieux : sa conception de la nature déchue et ses tendances individualistes. La corruption de notre nature rend inutiles les œuvres du religieux ; elle rend le mariage à la fois mauvais et nécessaire. La réaction individualiste pousse, là à supprimer des collectivités et des vœux enserrant des individus, ici à détruire l’indissolubilité du mariage.

1. Le mariage est radicalement mauvais.

- Ici encore, plusieurs augustiniens avaient précédé Luther. De soi, disaient-ils, l’acte conjugal lui-même était bon ; mais la concupiscence concomitante était gravement coupable ; seulement, à cause de la fondation d’une famille, Dieu était indulgent pour cette déformation. D. P., t. ii, p. 461-469. — Luther accepta pleinement cette théorie. Il disait en 1519 : « Dans le mariage, les docteurs ont trouvé trois biens ou avantages [le sacrement, la fidélité, la descendance). Ces biens compensent la concupiscence coupable qui s’y glisse, et l’empêchent d’être condamnable… Dès lors, la délectation perverse de la chair, dont personne n’est exempt, n’est pas répréhensible dans les rapports conjugaux, elle qui, en dehors du mariage, est toujours mortelle si on la satisfait. Ainsi la sainte humanité de Dieu couvre la honte et la perversité de la délectation de la chair. » W., t.n. p. 168, 1. 10 et 32.

En 1521, il écrit dans son Jugement sur les vœux monastiques : « Comme le dit le psaume l, le devoir conjugal est un péché, un péché proprement furieux. Par l’ardeur et la volupté perverse qui s’y trouvent, il ne diffère en rien de l’adultère et de la fornication. Il faudrait donc ne pas y tomber, et pourtant les époux ne peuvent l’éviter. Finalement, Dieu ne le leur impute aucunement et cela par pure miséricorde. » W., t. viii, ]). 654, 19. (Sur une modification à apporter au texte de cette édition, voir : D. P., t. ii, p. 83, n. 2, et Scheel, 1905, p. 197, n. 277.) L’année suivante, il écrit : « .Malgré tous les éloges que je viens de donner à la vie conjugale, je n’entends pas concéder à la nature qu’il n’y ait pas là de péché ; corrompus par Adam, la chair et le sang, comme le dit le psaume i. sont conçus et nés dans le péché. Le devoir conjugal ne s’accomplit donc jamais sans péché : mais, par mise ricorde. Dieu pardonne ce péché, parce que l’ordre du mariage est son œuvre ; par ce péché, il maintient tout le bien qu’il a mis et béni dans le mariage, i W., t. x b, l>. 304 ; fin du Sermon sur le mariage. Plusieurs années après. Lut lier dira aussi : « Dieu couvre If péché, sans lequel il ne peut y avoir de ^ens maries, i W’.. t. xi. n. p. 582, 30 (1538). Si Dieu ne fermait les yeux, i ! n’y aurait doue aucune différence entre l’état conjugal cl l’adultère ou la fornication : voilà ce que Luther a souvent répété, et dans les fermes les moins voilés. Mais, ajoute -t il. parce que l’acte du mariage est dans l’ordre voulu par Dieu, Dieu ne nous impute pas ce qu’il contient de houleux et d’impur. W., l. m. m. p. 154, 26 (1541 ?).

Il semble même avoir déliassé la vieille conception des augustiniens sur le mariage. Pour ceux et, l’acte conjugal, faute grave en soi. n’était plus que vénielle chez les justifies. Lui lier, au contraire, avons-nous vu, linii par ne plus reconnaître de pèches véniels, même chez les baptisés et les Justifiés (plus haut, col. 1213). Chez tons, l’acte conjugal était donc une

faute grave. Mais, chez les justifiés, la fol en couvrait tOUl le mal.

protestants modernes sont eux mêmes étonnés et choqués de cette conception. Dans son commet) taire du Jugement sur /es væui monastique », Scheel