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LUTHER ET LES MYSTIQUES

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Chez les mystiques, ces préoccupations moins élevées n’existent pas, ou ils les refoulent aussitôt. Ils n’ont qu’un but : réaliser dans leur vie le précepte de Jésus-Christ : « Aimer Dieu par-dessus tout, et le prochain comme soi-même. » Comme l’autorité de l’Église maintient efficacement ce commandement, ils acceptent cette autorité sans difficulté : ils l’acceptent avec joie, s’arrêtant peu ou point à ce qu’elle a de trop humain. Ainsi, ils finissent souvent par ne plus penser beaucoup à l’Église ; l’acceptation de l’Église est complètement entrée dans leur âme de chrétien ; elle fait comme partie de leur nature. Ainsi celui qui se porte bien ne songe-t-il guère à sa santé ; c’est tout naturellement, sans les constantes préoccupations du valétudinaire, qu’il l’utilise comme moyen d’action.

b) La Théologie germanique parle peu de l’Église. Des ouvrages fort répandus dans l’Église catholique, V Imitation de Jésus-Christ, le Combat spirituel, le Traité de l’amour de Dieu n’en parlent pas davantage. Pourquoi l’auraient-ils fait ? Ce n’était pas leur objet. Le but de l’Église est de protéger l’édifice de Jésus-Christ ; mais par elle-même, l’Église ne crée ni la doctrine, ni la morale, ni les sacrements, ni la vie intérieure du chrétien ; elle ne crée pas, elle confirme. Les traités de vie spirituelle ne s’attardent donc pas au rempart protecteur de la vie divine ; ils vont droit à cette vie elle-même. Pour la Théologie germanique, on sent qu’elle se meut dans le cadre de l’Église. Au c. xiv, elle parle d’ « une confession sincère » ; au c. xxiii, elle recommande le respect « des sacrements, ainsi que des coutumes, règlements, lois et commandements de la sainte Église chrétienne » ; au c. xliii, elle parle du sacrement de l’eucharistie (la première citation est d’après l’édition Uni, les autres d’après l’édition Mandel). Enfin, l’auteur sait qu’à son époque pour administrer les sacrements, ainsi que pour faire les lois et commandements de la sainte Eglise chrétienne », il existait un sacerdoce ; or, il n’a pas la moindre allusion pour le rejeter. Dans l’Église, n’avait-il pas du reste lui-même une fonction, celle de custode dans une maison de chevaliers de l’ordre tcutonique ?

< i Tauler parle davantage de l’Église. Certains sujets de ses sermons, vertus d’obéissance, de pauvreté, fêtes de saints, l’amenaient à des développements sur la vie de l’Église et de Bes dignitaires. Et c’était l’époque des dernières luîtes entre le Sacerdoce et l’Empire, entre les papes Jean XXII, Benoît XII, Clément VI et l’empereur Louis de Bavière (1323-1349) ; des excommunications mi-religieuses, mi-politiques demandaient que l’on précisai la nature de l’autorité

de l’Église.

C’est là notamment l’objel du sermon pour la trie de saint Matthieu. A.. I" 1 < iii, 1’. t.s ; V., p. 253-258 ; X’., t. v, p. 2(11-272. Tauler y distingue l’homme extérieur et l’homme Intérieur. L’homme extérieur dépend de l’Église, si l’Eglise lance une excommunication,

une suspense, un interdit, il faut s’y soumettre, ne

plus participer aux cérémonies et sacrements donl l’Église nous défend l’usage. El Tauler va se mettre en scène : comme II le remarque, ce qu’il va dire de

lui s’applique.Ï tous. Dieu dans sa bonté et la sainte chrétienté m’ont donné mon ordre, et cette

coule et cet babil et mon sacerdoce, et la charge

d’enseigner, et celle d’entendre les confessions. S’il arrivait que le pape et la sainte Eglise, de qui Je tiens tout cela, voulussent me l’enlever, |e devrais tout leur

laisser et ne pas demander pourquoi ils en agiraient ainsi, si toutefois j’étais un homme vraiment abandonné |à Dieu]… Mais, si quelque autre voulait

n’enlever l’une <<- ces choses, |métne] si j’étais un

homme vraiment abandonne |à Dieu |, je devrais choisir la mort plutôt que de me le laisser prendre. De

même, si la sainte Église voulait nous enlever extérieurement le Saint-Sacrement, nous devrions nous soumettre. Mais, nous l’enlever spirituellement, cela n’est au pouvoir de personne. Mais tout ce qu’elle nous a donné, elle peut nous le reprendre, et nous devons abandonner tout cela sans aucun murmure ni protestation. » A., ꝟ. 196v° ; Y., p. 255, 11 : N"., t. v, p. 265.

Voilà pour l’homme extérieur. Mais l’homme intérieur ne dépend que de Dieu, et il en est tout particulièrement ainsi des hommes appelés à des voies mystiques. « Sur ces hommes le pape n’a aucun pouvoir, car Dieu lui-même les a délivrés. Saint Paul dit : « Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes plus « sous la Loi. » A., ꝟ. 197v, V.. p. 258, 1(5 : N., t. v, p. 272 : traduction lointaine. Ce passage à la main, on a voulu voir en Tauler un précurseur de Luther dans sa révolte contre l’Église. A. -Y. Millier, Luther und Tauler, 1918, p. 129. Mais aujourd’hui encore, après le concile du Vatican, un théologien catholique, un prédicateur catholique pourrait les faire siennes ; il aurait simplement à ne pas les exposer inutilement et à la légère ; car l’Église est voulue par Jésus-Christ ; elle, et les richesses spirituelles dont elle est la gardienne, elle est pour nous le moyen normal pour communiquer avec Dieu. Il n’en îeste pas moins qu’aujourd’hui encore, nombre de théologiens estiment que l’Église n’a pas de pouvoir direct sur nos actes intérieurs. A. Lehmkuhl, Theologia moralis, 9e édit., 1898, t. i, n. 130-132. C’était là ! semble-t-il, l’opinion de saint Thomas, de ce « maitre Thomas » dont Tauler aimait tant à invoquer l’autorité. Cf. I a 11*’, q. xci, a. 4 ; q. c, a. 9 ; II » -II æ, q. civ. a. 5. En tout cas, et c’est ici proprement la réponse à la difficulté qui nous occupe, tous les catholiques admettent que, par une erreur ou une défaillance morale des chefs de l’Église, leurs censures, excommunications, suspenses ou interdits, peuvent tomber à faux. Quand ces peines frappent une collectivité. État, ville, association quelconque, il est même évident que, si méritées soient-elles, il y a alors des innocents qui pâlissent avec les coupables. C.oiiinient doivent donc agir les victimes innocentes de ces peines, peines imméritées ou peines collectives ? Comme le dit Tauler, elles doivent s’abstenir de participer à des sacrements qui leur sont interdits, mais elles doivent continuer de communiquer avec Dieu. Au lieu de la communion sacramentelle, ces gens feront la communion spirituelle ; comme le dil Tauler. nous enlever cette communion n’est au pouvoir de personne au monde. Voilà ce qu’un demi-siècle avant Tauler, dans un magnifique Chapitre de ses révélations, écrivait sainte dcrtiude. Legatus dioina pietatis, t. III, c. xvi. ReoelalioRes,

t. 1. 1875. p. 1 13-1 lli. Voilà ce qu’au W siècle tout

théologien catholique continue d’enseigner.’I il siècle et demi après Tauler. un autre grand dominicain. Jérôme Savonarole, allait monter sur le bûcher. Paganotti Benedetto, évëque de Vasona, procédait à la

dégradation du condamné ; plein d’émotion, il oublia la formule consacrée et il dit : Je te sépare de l’Église

militante et de l’Église triomphante, s.ms se troubler, Savanorole le reprit : r De l’Église militante, oui. mais de la triomphante, non : cela dépasse vos attribution

I.iiiler. rejeter l’autorité de l’Église’Mais qu’on lise donc ce passage de son sermon pour la veille de

ri piphanie : J’ai un sous-prieur, un prieur, un pro imi.il. un évëque, un pape, fous sont mes supérieurs.

Voudraient ils tous me faire tu mal. se touillant tous contre moi comme des loups pour me mordre, je devrais me tenir humblement soumis ; i eu. dans un

ible abandon et une véritable soumission, supportant cette peine avec patience, sans murmure ni