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LUTHER ET LES MYSTIQUES


vertus, les œuvres, les mortifications même ; il est difficile de lire de lui un sermon sans rencontrer quelque passage en ce sens.

b) La Théologie germanique. — En termes exprès, la Théologie germanique parle de la chute originelle. Cm, titre xiii, xiv, etc. Mais sur les forces de la nature déchue, elle est si peu pessimiste que, d’après certains protestants, elle méconnaîtrait cette chute primordiale. En effet, sur la nécessité de l’action et des œuvres, elle est encore plus affirmative que Tauler, peut-être du reste simplement parce qu’elle parle d’une manière plus didactique. Avant l’illumination et l’union elle place la purification ; à la décrire, elle consacre dix chapitres. C. xiii-xxii. Dans nombre d’autres endroits, elle revient sur la nécessité des œuvres. Sans doute, pour arriver à Dieu, il y a une voie sublime ; c’est de marcher avec le Christ, d’adhérer à lui. Cette voie est celle de la vie parfaite, la voie des « déifiés » : « La vie du Christ renferme parfaitement et entièrement toutes les voies qu’il faut suivre jusqu’à la mort… Autant qu’il est possible, on doit mettre en pratique cette douce vie du Christ. » C. xxi ; Mandel, p. 45, 1. Mais cette voie n’est pas une voie d’inaction : le Christ s’est assujetti à la loi ; il a pratiqué les commandements. C. xxiv ; Mandel, p. 50. 25. Sans doute aussi, l’auteur parle de passivité. Mais tous les mystiques catholiques le font, et l’on ne voit pas qu’ici son langage dépasse celui des plus autorisés. Par là. il entend simplement qu’il faut s’abandonner à l’action de Dieu, ne pas la contrecarrer, surtout aux moments où elle se fait sentir avec le plus d’intensité. Du reste, cet abandon lui-même n’est-il pas quelque chose de vital, l’effet d’une activité réceptive ?

2. Comment Luther interprète ces doctrines.

Naturellement, Luther négligea les textes où Tauler et la Théologie germanique parlent de la nécessité de l’action ; il ne remarqua que ceux où ils parlent de l’abandon ; partout il introduisit son idée de la corruption radicale de l’homme déchu ; ainsi, il parvint à faire de ces deux mystiques des défenseurs de sa théorie contre les œuvres : il ne fallait rien faire, en arriver à un quiétisme absolu, à une complète passivité.

Dans le premier Sermon pour la Nativité de J.-C, Tauler dit : Lorsque deux êtres doivent s’unir pour n’en former qu’un seul, il faut que l’un des deux soit passif et l’autre actif. Si je veux que mon œil voie les images suspendues à ce mur, ou tout autre objet, il faut que lui-même soit vide de toute image ; car s’il avait déjà l’image de certaines formes il ne pourrait pas en voir d’autres. » A., ꝟ. 2r° : V., p. 9, 35 ; N., t. i, p. 299. (Cet admirable sermon serait d’Eckhart cf. L. Naumann, Untersuchungen : u Tauler » I’redigtetl, 1911, p. 19 Sq.). Lut lier commente ainsi ce passade : I> ; ins les choses divines il convient d’être plus passif qu’actif ; bien plus, les sens et l’intelligence sont même naturellement des puissances passives… Nous ne sommes qu’une pure matière ; c’est Dieu qui J met la forme, "ir c’est Dieu qui fuit fout en nous. » V.. t. ix. p. 97, 12 (1515 ?).

Plus loin, on lit dans le même sermon : Dans ce silence universel, ou tout se tient dans l’éternel silence, ou il y a une véritable tranquillité, un véritable silence, c’est alors qu’en vérité l’on entend la parole de Dieu. Quand Dieu parle, tu dois te taire ; quand Dieu entre, tout doit sortir. Lorsque Notre-Seigneur entra en Egypte, toutes les statues des faux dieux y tombèrent a la renverse ; tes idoles, c’est tout ce qui t’oppose a l’entrée véritable et directe de

l’étemelle nativité, si bons et si saints quc ces obstacles puissent paraître, .v. ꝟ. 3 r° ; V., p. 1 1, 33 : N.. t. r,

p. 304. Luther écrit sur ce passade : C’esl là la sagesse

de l’expérience intime, et non celle des livres… i i

cice des vertus empêche la nativité de Dieu dans l’âme ; pour cette nativité, il faut un repos, une paix, un silence absolus. » W., t. ix, p. 98, 21, 28. Cet état de contemplation, de ligature des puissances de l’âme. Luther en fera de plus en plus l’état ordinaire du chrétien : « l’exercice des vertus » ira de pair avec les idoles de l’Egypte. La corruption de l’activité humaine est permanente ; permanents doivent donc être et le rejet de cette activité, et la passivité à l’égard de l’activité divine, et la foi ou confiance en la miséricorde de Dieu. Voir aussi W., t. vi, p. 221, 31 ; 244. 27 ; 245, 18 (1520).

Le Ve dimanche après la Trinité, Tauler prêche sur le passage de saint Luc : « Jésus monta dans une barque… » « Cette barque, dit-il, c’est la nature intime de l’homme, ce sont ses aspirations. » Après avoir parlé contre ceux qui négligent leur intérieur, il décrit l’état de ceux qu’enserrent les ténèbres de la nuit de l’âme : « Lorsque l’homme est dans cette affliction et cet abandon, voici qu’en lui surgissent toutes les anxiétés, toutes les épreuves, toutes les images, toutes les infortunes dont il avait depuis longtemps triomphé ; elles luttent de nouveau contre lui ; elles reviennent avec toute leur force, elles soulèvent une violente tempête autour de sa barque, et les vagues passent par-dessus. Cher enfant, ne t’effraie pas. Si ta barque est fixée solidement à l’ancre, les vents ni les flots ne sauraient lui nuire. Reste seul avec toi-même, et ne cours pas au dehors… Demeure sans crainte au milieu de cette épreuve : après les ténèbres viendra la lumière du jour, la clarté du soleil… En vérité, si tu demeures ainsi, la nativité est proche et elle se produira en toi. » A., ꝟ. 110 i°, 1 llr° ; V., p. 170, 14 ; 171, 35 : N., t. iii, p. 337, 341. Luther écrit à ce sujet : « Nous devons savoir que Dieu n’agit en nous qu’après y avoir tout détruit par la croix et par les soulfrances, nous et tout ce qui nous appartient. .. Nous ne nous tenons pas dans la foi seule, dépouillés de tout ; pourtant, Dieu entend ou ne rien faire en nous, ou y agir sans que nous le sachions, et sans que nous comprenions ce qu’il y fait ; par là, il veut sauver notre foi et dépouiller notre volonté : « Ainsi, il faut avoir une volonté indifférente et nue. et laisser s’accomplir tout ce que Dieu voudra opérer en nous, quand, où, comment, par qui il le voudra, i W., t. ix. p. 102, 103.

Dans son Commentaire sur l’É pitre aux Romains, Luther recommande à l’égard de Dieu une passivité sans réserve ; puis il se réfère à Tauler :.1. Ficker, t. ii, p. 205, 206. Dans ses écrits postérieurs, il a contre les œuvres de nombreux passages où, sans donner toujours ses références, c’est encore de ses mystiques préférés qu’il s’inspire.

Dans son traité De la liberté du chrétien, le souvenir de Tauler et de la Théologie germanique est particulièrement vivant ; bien qu’à l’étal latent, il se sent à de nombreux passages. Mais sous les mêmes expressions, l’idée est radicalement modifiée : le principe et la fin de nos actes y sont envisagés sous des aspects fort différents. Tauler et la Théologie germanique disent : Si l’homme laisse agir Dieu en lui, l’acte partira d’une cause Infinie et il retournera vers un but Infini ; dis lors, l’acte sera désintéresse, digne d’un vrai chrétien. Au contraire, si l’homme ne laisse pas Dieu agit en lui. l’acte partira d’un être limite, fini, partiel ; a ce principe correspondra un but du même genre, but limité, fini, partiel : dès lors l’acte sentira

l’appropriation..1. Paquier, L’orthodoxie…, 1922,

69 ;..i"3, S " ; Y..p. 51. 2d ; N.. Lu, p. 1° I A., ꝟ. 197 i" : V., p. 257. 131 : N.t..p. J’*. 270, I uther

dil au contraire : SI l’homme est l’auteur de l’acte,

la cause de cet acte n’est pas seulement limitée, finie ; elle est COITOmpue, maiixaisc. A cette cause CO)