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LUTHER ET LES MYSTIQUES


seur de la doctrine chrétienne, sera-t-il donc de flatter

la persuasion générale » ? Puis, cette « persuasion », qui donc avait travaillé à la créer ?

Aussitôt* Brenz ne s’en déclara pas moins enchanté d’explications qui lui paraissaient « dignes du canon » de l’Écriture. C. R., t. ii, col. 510 ; Enders, i. ix, p. 38.

Les explications si lumineuses données à Brenz, c’est-à-dire ce rejet d’Augustin, Luther ne les produisit jamais nettement au grand jour. Seulement, dans la préface à l’édition de ses œuvres latines, un an avant sa mort, il dit qu’Augustin « n’est pas parvenu à rendre clairement la doctrine de l’imputation ». Op. varii arg., t. i. p. 23. C’est là le seul aveu fait vraiment en public. Et l’on voit en quels termes édulcorés ; il semble vraiment que pour rendre la doctrine de la foi justifiante, ce n’étaient pas les idées elles-mêmes qui manquaient à Augustin, c’était simplement une langue appropriée.

Mais avec les amis, on était plus ouvert. En 1532, Luther disait à table : « Depuis que, par la grâce de Dieu, j’ai compris saint Paul, je n’ai pu avoir de considération pour aucun docteur. Au début, je lisais Augustin ou plutôt je le dévorais ; mais la porte s’ouvrit à moi sur saint Paul : j’appris à connaître la justice de la foi, et ce fut fini d’Augustin. » T. R., t. i, ii. 347 (1532). Et une autre fois : « Augustin n’a pas eu une notion exacte de la justification. » T. R., t. ii, n. 1572 (1532).

VII. Luther et les mystiques.

I. écmiva/-X*

UTSTIQUES QUE LUTHER A CONNUS ET Q0UTÉ8. —

Quels sont les mystiques que Luther a connus et ceux qu’il a goûtés ?

De bonne heure, sans doute à son retour de Rome, il connut le pseudo-Denys i Aréopagite, qui, avec saint Augustin, a eu une si grande influence sur la théologie mystique de l’Église d’Occident ; il le regardait comme un disciple des apôtres, et n’était porté qu’à l’en estimer davantage. Mais à la dispute théologique de Leipzig (1519), Jean Eck lui opposa Denys en faveur de la hiérarchie catholique. Dès lors, Luther l’attaqua ou le laissa de côté. Dans sa Captivité de Babylone, il dit qu’il n’y a pas a s’attarder à ce que Denys dit des sacrements ; il lui reproche d’attacher trop d’importance à la philosophie et de ne pas assez parler du Christ. Y.. t. vi, p. 561, 562 (1520).

Il s’intéressa davantage à saint Augustin et à saint Bernard ; toute sa vie, il ne cessa de les citer, tout en déformant du reste souvent leurs paroles et leur doctrine. Saint Bonaventure n’eut que peu de temps le don de lui plaire. Il connut Gerson, du reste plutôt théologien que mystique, et dont, en effet, ce fut surtout le noininalisme qu’il s’assimila. Il serait fort exagéré de dire d’une manière générale que Luther était familiarisé avec les mystiques allemands. II ne connaissait lias les sermons d’Eckhart, ni Suso et son Livre île lu Sagesse éternelle ; or. pour Déni fie, cet ouvrage est le plus beau fruit de la mystique allemande » ; l’auteur a su y allier la plus tendre piété a une surprenante clarté de doctrine. Il ne connaissait

aonplus.nl Jean Ruysbroeck, ni Gérard Groote, ni Henri de Louvain, ni Ludolphe le Chartreux, ni Thomas a Kempis.

Les deux mystiques allemands que connut surtout Luther sont Jean Tailler et la Théologie germanique. De bonne heure il connut aussi les Ascension » spirituelles de Gérard de Zutphen. Mais il dut lire ce traité

fort rapidement, el il ne semble pas même en avoir bien saisi le sens Cl-deSSUS, ((il. 1197,

i Jean Tauler est l’un des plus illustres mystiques

allemands, peut-être le plus profond des mystiques Catholiques On sait peu de chose de sa vie. Il est né en Alsace, peut-être a Strasbourg, aux environs de

1294. Très jeune, peut-être dès l’âge de quinze ans, il entra au couvent des dominicains de cette ville. Puis il fut envoyé à Cologne, et peut-être à Paris, pour se former à la théologie. Ensuite, de longues années durant, il prêcha sur les bords du Rhin, notamment à Strasbourg et à Cologne. Il mourut à Strasbourg, le 16 juin 1361. Il laissait des Sermons. D’autres écrits lui ont été attribués : Le livre de la pauvreté spirituelle, les Institutions, des Méditations ou Exercices sur la vie et la passion de Jésus-Christ, des lettres et quelques opuscules, bref, une abondante littérature mystique. Mais il n’y a que ses sermons qui soient authentiques. Encore tous ceux qui ont circulé sous son nom sont-ils loin d’être de lui : au xive et au xve siècle, on était enclin à lui attribuer tous les serinons mystiques.

Du reste, ce qui nous importe ici, c’est moins un Tauler authentique que Tauler tel que le connaissaient Luther et ses contemporains. La première édition des œuvres de Tauler parut à Leipzig, en 1498. elle ne contenait que des sermons ; il y en avait 84, presque tous authentiques. Parmi les autres éditions, on peut citer celle d’Augsbourg, de 1508, celle de Bâle, de 1521, et celle de Cologne, de 1543. L’édition d’Augsbourg ne fit que reproduire celle de Leipzig, en la traduisant dans le dialecte du pays. C’est celle dont Luther s’est servi. W., t. ix, p. 1, 95 ; c’est donc à celle-là que, pour juger de l’influence de Tauler sur Luther, il faut se référer avant tout. L’édition de Bâle, de 1521, contenait 42 sermons nouveaux, qui du reste ne sont pas tous de Tauler. Luther ne fut peut-être pas étranger à cette édition ; en tout cas, dès le mois de décembre 1521, il la recevait à la Wartbourg. A.-V. Millier, Luther und Tauler, 1918, p. 16.

La doctrine de Tauler est orthodoxe. C’est la doctrine mystique catholique, entendue au sens de saint Thomas, de saint Augustin et peut-être quelque peu de l’école augustinienne. Régénéré par la grâce, l’homme est devenu enfant de Dieu et « participant de la nature divine ». En termes énergiques et profonds, Tauler épuise pour ainsi dire cette idée de notre participalion à la vie divine par l’état de grâce ou de surnature. Mais l’âme peut aller plus loin ; par une faveur spéciale de Dieu, elle peut avoir conscience de cette influence surnaturelle, elle peut la sentir en elle. Elle la sent non par son imagination ou par son intelligence aidée des représentations de l’imagination, mais par son intelligence intuitive, par les données de la conscience, en un lieu où il n’y a rien de fourni par les sens. C’est là l’union mystigue. Par ses puissances supérieures, l’intelligence et la puissance affective, pures de loute alliance avec le sensible, l’ftme voit, saisit l’image de Dieu, qui est gravée dans son tond », dans son essence même.

Mais assez souvent les expositions de Tauler sont fort obscures. L’obscurité est comme l’apanage des mystiques ; ils n’ont pas de langue pour décrire ce que, dans le fond de leur âme, au-dessous du monde des Images, ils voient et ils ressentent. Chez Tauler, a cette cause générale d’obscurité, il s’en joint qui lui sont propres. Il a écrit en allemand. C’est là rime des causes de sa grâce : l’allemand du Moyen V

quelque chose de nall (t de primesautier, tout particulièrement sous sa plume. Mais cette langue jeune était peu apte aux sujets met aphv siipres : la terminologie théologique et mystique y était à peine ébauchée. Pub, il y a la manière propre de Tauler : ses

expressions a imtes Images, sa langue qui tient moins

de la précision de la scolast ique qiv de la profondeur

du sentiment, Enfin, ce n’est pat de lui directement

que nOUS tirions un grand nombre de ses sermons :

plusieurs, et peut-être la plupart, nous sont parvenus

SOUS forme de copies, rédigées par des auditeurs ou