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LUTHER ET SAINT AUGUSTIN


de Jésus-Christ, et il l’appelle au ciel. Cette élection parait absurde. Mais la raison n’a rien à faire avec la foi ; plus elle trouve un dogme absurde, plus ce nous est une raison de l’accepter.

II. SAINT PAUL, SAINT AUGUSTIN ET LUTHER.

Dans les chapitres précédents, on a trouvé plusieurs comparaisons entre certaines idées de Luther et celles des principaux augustiniens du Moyen Age et de la Renaissance. Dresser pour chacun d’eux un tableau d’ensemble des ressemblances et des différences serait long et fastidieux. Mais pour saint Paul et pour saint Augustin, cette vue globale sera sans doute utile et intéressante.

Luther et saint Paul.

Paul et Jean étaient les

modèles de Luther. Comme Jean, Luther avait eu sa Pathmos, le château de la Wartbourg. Mais c’était à Paul surtout qu’il ressemblait. Comme lui, il avait eu son chemin de Damas, qui l’avait conduit au couvent ; comme lui.il avait eu ses ravissements. Ci-après, Luther et les mystiques, col. 1257. C’était même l’intuition d’un mot de saint Paul qui dominait toute sa théologie : « Dans l’Évangile nous est révélée une justice de Dieu qui vient de la foi. »

Or, en réalité, saint Paul a eu le sort de tous les inspirateurs de Luther : Luther l’a déformé dans le sens de ses impulsions. Sans doute, saint Paul a eu le sentiment profond du péché ; sans doute aussi ses fortes expressions contre la Loi peuvent dérouter un esprit inattentif et préoccupé. Mais saint Paul n’a jamais été un adhérent de la théorie de la justification sans les œuvres et par la foi seule.

Luther commence ainsi son Commentaire sur V Épi-Ire aux Romains : « L’idée capitale de cette épître est de détruire, d’arracher et de ruiner toute sagesse et toute justice de la chair, puis de planter, d’établir et d’exalter le péché. <.1. l’icker, t. ii, p. 1. La force créatrice du mal, voilà donc ce que, dès 1515, on trouve dans Luther ; voilà ce qui, désormais, sera le fond de sa pensée, et ce qui sera aussi le fond de la pensée allemande. W. Braun, Die Bedeutung der Concupiscenz in Luthers Leben und Lehre, 1908, p. 206 ; É. Boutroux, dans Revue des Deux Mondes, 15 oct. 1914, 15 juin 1917 et surtout 15 juin 1916. L’Allemagne du Moyen Age ne connaissait pas cette conception : Eckhart lui-même, le hardi penseur du xiv c siècle, le Dante de l’Allemagne, au dire de Bilttnèr, son éditeur et admirateur (Meister Bckeharts Schriften und Predigten, l. i, 2e édit., léna, 1912, p. 1). Êckharl s’était tenu loin de ce pessimisme : c’est à Luther que l’Allemagne en doit l’éclosion, ou du moins la résurrection.

D’ailleurs, que l’idée capitale » de saint Paul dans son Épltre aux Romains ne soit pas de détruire toute sagesse de la chair. c’esl ce que de plus en plus l’on s’accorde à reconnaître, même parmi les exégètes du protestantisme allemand. De fait, saint Paul attribue quelque valeur à la sagesse simplement humaine : les païens, dit-il, ont connu ce que l’on peut savoir de Dieu. Rom., i. 19-21. L’activité

del’homme peut être bonne : Dieu rendra a chacun selon ses œuvres Gloire, honneur et paix à tout

homme qui fait le bien », dit l’Apôtre : et ici homme, ce peut être non seulement un Juif, mais un Gentil. Rom., u. 6, 1°. Dans cette épître, lien moins encore

i il deplanter, d’établir et d’exalter le péché ».

Faut-il, dit saint Paul, que nous demeurions dans le péché pour que I <lr’|.., iu i|, - |., ’Nous

qui sommes morts an péché, comment vivrions-nous encore dan li péché’Rom., vi, i 2.

Le péché demeure dans l’homme justifie’: voilà ce

que saint Paul n’a pas dit. et voila au contraire ce

qu’a partir de 1515, l.ullier a dit de pins en plus :

avoir, semble-t-il, adhéré a la théorie d uni double justice, justice en partie inhérente, en partie extérieure à nous, il parla de plus en plus d’une justice purement extérieure et imputée. « Nous sommes morts au péché, dit saint Paul ; comment vivrions-nous encore dans le péché ? » « Nous sommes en même temps pécheurs et justes ; pécheurs en fait ; justes par l’imputation et la promesse de Dieu » : cette déclaration de son Commentaire de 1515-1516, Ficker, t. ii, p. 108, 12, Luther ne cessera de la répéter. La théorie se couronnera par l’affirmation tranchante de notre serf arbitre, c’est-à-dire de notre automatisme en face de nos impulsions, de celles de la nature ambiante ou de celles de Dieu.

Devant l’océan du péché, s’avançant en vagues tumultueuses, Paul se redresse et s’élève, Luther se courbe et s’abat ; il se sent embourbé dans la fange. Puis, avec de grands airs, dont le Saxon dénué de bon sens ne sent pas le comique, il se met à chanter la confiance en Dieu, la confiance en la puissance et en la bonté d’un Dieu manichéen, d’un Dieu limité par un mal incurable et que pourtant il punira, d’un Dieu qui lui-même ne peut nous faire sortir de l’ordure, et qui pourtant nous reproche d’y demeurer, et qui, pour y être demeurés, damnera à jamais le plus grand nombre d’entre nous !

Sur la société religieuse et la société temporelle, Luther n’a pas davantage les vues de saint Paul. Paul a constamment dans l’esprit une communauté religieuse ; c’est elle qui est le corps du Christ. Dans son Épître aux Romains notamment, domine partout cette idée que l’homme fait partie d’un tout religieux. Aux Romains et aux Corinthiens, il n’oublie pas davantage de dire qu’ils font partie aussi d’un tout temporel. Son christianisme est un principe organisateur.

Celui de Luther est individualiste, avec des retours vagues et lointains vers la collectivité humaine. Sur l’Église, comme on le verra plus loin, il n’a jamais eu de notion quelque peu précise. Pour l’ordre civil, il l’abandonne à la direction des princes, en leur rappelant avec instance qu’entre les principes de l’Évangile et l’administration d’un État, il y a une irréductible opposition I

Luther et saint Augustin.

Comme on l’a vu col 1189, ce n’est, que vers 1515, semble-t-il, que Luther lut les traités de saint Augustin sur la grâce. Or. à cette époque, il avait déjà élaboré les grandes lignes de sa théorie de la justification. Les tendances pessimistes de saint Augustin lui plurent : il travailla sur ces données, les détonna et 1rs canalisa vers sa théorie préférée. Aussi sa doctrine en arrlva-t-elle à être loin de celle d’Augustin : « Comme Luther, dit Kœstlin. Augustin avait enseigné que c’était uniquement par un dessein de Dieu et par l’opération de Dieu, non par ses propres forces et s.m activité naturelles, que l’homme était justifié et sauvé. Mais Augustin était loin d’avoir ajouté que c’était uniquement à cause de la foi que Dieu regardait l’homme comme juste… Il n’avait pas dit davantage que l’homme ainsi justifié ne pouvait jamais rien faire qui fût méritoire devant Dieu. Il ne connaissait fias non plus cette certitude immédiate du salut, cette joie, Cette liberté intérieure que la foi justifiante avait données à Luther. » K. K.. t. i, p. 138. Les d’autres termes, dans le poinl de départ, c’est a dire dans ses vues sur l’homme déchu. Luther, du moins en partie, S’accorde avec saint Augustin ; mais dans le point d’arrivée, dans la manière dont l’homme déchu doit te relever, la différence entre eux est radicale ; dans l’homme Justifié, Augustin admettait un changement Intérieur, réel ; Luther, au contraire, ne voyait qu’une confiance permettant a Dieu « le couvrir des mérites de Jésus Christ un Intérieur sans changement. Ce gui séparait Luther de suint Augustin, triait m tht