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LUTHER. AU-DESSUS DE LA MORALE


faisant quelque bon péché, en éloignant de ses yeux et de son esprit le Décalogue tout entier. » Enders, t. viii, p. 160, 161.

En 1532, il disait dans un sermon : « Hormis l’incrédulité, il n’y a plus de péchés ; tout le resté, des babioles. Quand mon petit Jeannot va faire caca dans un coin, on en rit et c’est fini. Fides facit ut slercus non feteat. Résumé des résumés : l’incrédulité est l’unique péché envers le Fils. » W., t. xxxvi, p. 183, 7. Tout ce sermon développe la même pensée.

Le texte porte : « Hormis l’incrédulité, il n’y a plus de péchés ; tout le reste, ce sont des péchés de M. Simon. » Qu’est-ce que ce M. Simon et ses péchés ? Le commentateur met ea note : « Par là, Luther entend de petits péchés insignifiants. » C’est bien cela ; mais pourquoi est-ce M. Simon qui a la spécialité de cette sorte de péchés ? En 1523, dans un sermon aussi, Luther avait employé le même proverbe ; là, le même commentateur donne des renseignements plus précis. W., t. xiv, p. 127, 16. On en trouve d’autres dans les dictionnaires de Lexer et de Grimm. Simon, c’est Siemann, et Siemann c’est un mot composé de Sie, Elle et de Mann, Lui. Siemann, c’est donc un hommefemme, un homme « sous la pantoufle » de sa femme, un homme dans le ménage de qui « la femme porte la’culotte », un benêt, un bêta. Puis, la comparaison avec le petit Jeannot rend la pensée de plus en plus claire. Les péchés du justifié, c’est peut-être de l’ordure, mais c’est l’ordure d’un enfant de la maison. Si l’on garde la foi, cette ordure ne saurait empêcher de demeurer l’enfant chéri de Dieu, et d’avoir part à l’héritage du ciel.

Luther trouvait cette comparaison lumineuse. Quelques semaines après, il la développait à table : N’est-il pas désolant, disait-il, de nous voir accorder tant d’importance à nos péchés ? Pourquoi ne pas estimer notre baptême à l’égal d’un patrimoine ? Un prince a beau ch… dans son berceau, ; 7 n’en demeure pas moins prince, l’n enfant a beau ch… et p… dans sa culotte ou sur les genoux de son père, 17 n’en demeure pas moins l’héritier des biens paternels. Mon Jean ne met en avant que sa naissance ; je suis son père, dit-il : il est donc mon héritier. Ainsi ce n’est pas en nous qu’est notre justice ; si je ne suis pas pieux, le Christ n’en garde pas moins sa piété. » T. IL, t. ii, n. 1712. L’enchaînement reste toujours le même : 1. Quelqu’un a la foi justifiante ; 2. ensuite, il pèche :

il s’oublie dans sa culotte ou sur les genoux de son

père ; 3. il n’en garde pas moins son patrimoine : il reste prince, il reste l’héritier de son père. Ayons donc la foi, et nous pourrons tout à notre aise nous oublier sur les genoux de Dieu.

Si, « pour tout esprit non prévenu >, ces textes n’ont lias c sens, il faut renoncer à entendre jamais le latin ou l’allemand de Luther.

El quel peut bien être aussi le sens de cette conversation de Luther avec Catherine Bora ? Le Docteur demanda à sa femfne si elle croyait être sainte. Elle répondit avec étonnement : « Comment puis-je être sainte, moi une si grande pécheresse I Le I loetcur répliqua : « Voyez l’abomination papistique, comme « elle a empoisonné les âmes ; elle les a pénétrées jusqu’à la moelle des os. On ne peut plus voir que sa justice propre. Puis, se touillant vers sa femme,

il lui dit : Enfin, tu crois bien que tu es baptisée et « chrétienne ? Eh bien ! crois donc aussi que tu es

sainte… si tant de baptisés ne sont pas saints, c’est

qu ils ne croient pas au baptême ; ainsi, le baptême « n’est plus pour eux le baptême, i T. IL, t. iii, n. 203.’! b (1533).

Pour rejeter le sens des citations que l’on i.n I de lire, une formule superficielle ne saurait sultn

pas davantage un soubresaut d’indignation, n y a des

DICT. DE i moi.. CATHOL.

péchés qui « ne damnent pas » ; et ces péchés sont loin de se borner à de vagues impulsions lointaines, à « des mouvements de la nature contre la sainte vertu de pureté », comme dirait une pieuse religieuse ; ces péchés, « c’est un millier de paillardises en un jour ou autant d’homicides ».

Ce serait dans une école augustinienne d’extrême gauche que Luther aurait puisé sa théorie de la justification. Eh bien’. que l’on fouille les plus hardis des théologiens augustiniens du Moyen Age et de la Renaissance, Hugues de Saint-Victor, Seripando et autres, et que l’on cite d’eux des passages de ce genre 1 Jusque-là, nous gardons le droit de dire qu’entre l’augustinisme catholique et la théologie de Luther, il y a la distance d’un océan.

Luther, dira-t-on, est loin d’avoir toujours parlé ainsi. Assurément ; mais voit-on protestants et rationalistes feuilletant un François de Sales ou un Alphonse de Liguori ; et tout à coup, au milieu de mille pages de la plus pure inorale, en trouvant une seule de ce style 1

Les textes qui précèdent ne se prêtent pas à une union indissoluble de la religion et de la morale ; poulies interpréter en ce sens, il faut constamment oublier la langue latine et la langue allemande. Que l’on soumette à des latinistes le texte de la Captivité de Babylone : Christianus, etiam volens, non potest perdere salutem suam quantiscumque peccatis, nisi nolit credere. Nulla enim peccata eum possunt damnare, nisi sola incredulitas. W., t. vi, p. 529, 11. Que l’on soumette à des germanistes le sermon et le propos de table de 1532 : Non est peccatum amplius quam incredulitas, alia sunt herr Simons peccata, nt quando mein hensichen ynn den winckel scheust, des læht mon. F’ides facit, ut slercus non feteat. Summa summarum incredulitas peccatum solum in fdium. W., t. xxxvi, p. 183, 7 ; — Ein kindt bleibt hmres paternorum, ob es dem watter auf die schoss oder in die hosen scheisl und saicht. T. R., t. ii, n. 1712.

2° Points sur lesquels les explications de Luther se heurtent avec la morale. — Lorsque Luther met en présence sa théorie de la foi justifiante et la morale, voilà donc les trois explications auxquelles il a recours : la production infaillible des œuvres par la foi ; la production de la moralité de l’acte par le croyant lui-même ; l’insouciance à l’endroit de la morale, je ne m’arrête pas au passage où il représente les œuvres préparant à la foi : cette vue ne cadre pas avec sa théorie de l’inutilité des œuvres.

A la fin de cet exposé, il sera sans doute d’une clarté plus grande de montrer le point précis où chacune de ces explications se heurte avec la morale.

Toute morale a un Fondement, une condition et une conséquence. Le fondement, c’est la distinction i les actes bons et les actes mauvais, avec l’obligation de produire les bons et de s’abstenir des mauvais ; la condition, c’est la liberté ; la conséquence, c’esl la sanction. —Luther a gardé la sanction de la morale, le ciel ou l’enfer ; simplement, avec sa négation de la liberté, il en a fail une sanction arbitraire et tyrannie ] ne. — Il a détruit violemment la condition de I moral, la liberté. Cette négation, il est vrai, il n’a jamais osé la mettre nettement en face de l’obliga lion morale : toutefois, on la sent percer dans la première de ses esplical ions : la foi engendre nécessaire ment les œuvres D’ailleurs, toutes ses Inconsé quences ou habiletés ne le feront pas échapper à cette conclusion : qui n’a qu’un serf arbitre n’est pas vrai

ment responsable. - Il a ruiné le fondement même de l’obligation, la distinction entre le bien et le mal. Il est arrivé par plusieurs voies. t rondement de l’obligation, c’est l’Être même de fixant par son intelligence l’être « h i en atun

IX.

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