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LUTHER. LA CERTITUDE DU SALUT
« la grâce et rejette ton espérance sur le Christ, en qui « est notre salut, notre vie et notre résurrection. » 

W., 1. 1, p. 360, 34 : exposé de la thèse 16. Là où l’on attendait la précision scientifique d’un théologien, on trouve la réponse verbeuse d’un prédicateur 1 Si l’on n’a pas la liberté, comment se décider ainsi à tomber à genoux ? D’ailleurs ne sera-ce pas là faire une œuvre ? Ne sera-ce pas retomber dans la pratique de l’axiome affreux : « A qui fait son possible, Dieu ne refuse pas sa grâce ? »

C’était là, nous dit Luther, « la théologie de la croix », W., t. i, p. 354, thèses 21, 22, 24 ; apparemment parce qu’elle crucifiait l’orgueil humain, sans doute aussi parce qu’elle obligeait à tout attendre de la croix de Jésus-Christ et rien de nos œuvres.

Mais qu’est-ce donc, en définitive, que la foi justifiante ? Sur la nature de cette foi, sur le rapport entre la foi, la charité et les œuvres, quelle était la vraie pensée de Luther ? Comme on l’a fait souvent remarquer, c’est ici le point central de sa théologie, et c’en est le point le plus obscur, le plus hérissé de contradictions. La foi justifiante, c’est encore quelque peu la foi au sens catholique, c’est-à-dire l’adhésion de l’intelligence aux vérités révélées. Mais cette foi historique, cette chaîne de dates ne dit rien à Luther. R. Seeberg, Die Lehre Luthers, 1917, p. 237. La foi de Luther, c’est avant tout la ferme confiance en Dieu, la ferme confiance que si nous allons à lui, il nous sera favorable, en ce monde et en l’autre. La foi justifiante, c’est donc aussi l’espérance.

Voici comment la décrit Kôstlin, le maître reconnu de la biographie et de la théologie de Luther : « La foi est essentiellement une confiance, une confiance complète du cœur à l’endroit du Christ ; la confiance en la miséricorde qui nous est accordée à cause du Christ ; par cette confiance, nous tenons pour certain qu’à cause du Fils de Dieu, victime et médiateur, nos péchés nous sont remis. Mais cette confiance ne reste pas dans le domaine général ; Luther insiste tout particulièrement sur l’application de l’objet de la foi au sujet croyant : je crois que c’est précisément à moi que Dieu est favorable, à moi qu’il pardonne. Cette condition, dit Luther, rend particulièrement difficile l’adhésion à cet article du pardon de Dieu. Sans doute, par certains côtés, l’adhésion aux autres articles l’est davantage, si, par exemple, on veut en saisir le sens, ou en donner un exposé ; mais dans l’article de la rémission des péchés, le point très difficile est que chacun doit se l’appliquer à soi-même. C’est avec peine que l’homme parvient à cette persuasion, alors que, par ailleurs, il doit avoir une grande frayeur de la colère et du jugement de Dieu. Mais lorsque nous saisissons bien cet article de la rémission des péchés et qu’il devient pour nous un fait d’expérience, alors aussi nous saisissons facilement les autres, sur Dieu, la création, l’incarnation, etc. ; ils deviennent pour nous des objets d’expérience. Avec cette vraie foi, je crois et je suis certain que Dieu est mon Dieu à moi, parce que c’est à moi qu’il parle et qu’il remet les péchés. » Luthers Théologie, t. ii, p. 180.

Après une fine analyse de la foi d’après Luther, M. Cristiani conclut, à peu près dans le même sens : « Pour Luther, la foi est quelque chose d’infiniment complexe. Dans ce mot il fait entrer d’abord un élément traditionnel, l’adhésion de l’esprit aux enseignements du Christ. Mais la crainte, l’humilité, l’abandon désespéré entre les bras de Dieu, la conviction qu’on est couvert de péchés, que tout ce que l’on fait est péché, le sentiment de notre impuissance en face de la loi divine, la confiance tremblante dans le Christ, unique Sauveur, l’effort angoissé pour avoir la foi, toujours plus de foi, tout cela aussi, c’est la foi. Et il n’est pas étonnant que cette foi justifie. Par elle,

en effet, nous justifions Dieu, et par suite nous obtenons qu’il nous justifie. Nous justifions Dieu, parce que nous nous reconnaissons pécheurs ; nous rendons hommage à sa véracité, à sa justice, à sa bonté. En retour, cette foi nous justifie. » Luther au couvent, dans Revue des questions historiques, 1914, 1. 1, p. 366-370.

Le dernier des biographes de Luther, Otto Schell, résume ainsi l’idée centrale de la théologie de Luther : Dieu a porté sur moi un jugement. Je n’y puis rien ; je n’ai pas la liberté de m’y soustraire. Par la foi, je crois à ce jugement. La foi est mon acceptation du jugement de Dieu. Mais, dès lors que Dieu me donne la foi, c’est qu’il m’a jugé favorablement. Et je lui suis reconnaissant de ce jugement favorable. Ainsi, comme le dit Habacuc, « le juste vit de la foi ». « Justice passive, justification par la foi, justice imputée, ce sont là des expressions identiques. » Et les œuvres suivront, inéluctablement. O. Scheel, t. ii, p. 327-330 ; de même Loofs, dans Theol. Studien und Kritiken, 31 oct. 1917, p. 323-420.

Enfin, quelle est la différence radicale entre cette foi et celle des théologiens du Moyen Age dont les idées auraient le plus annoncé Luther ? C’est, nous dit Seeberg, que tous les théologiens catholiques, même les plus excentriques, ont parlé d’une collaboration de l’homme à l’œuvre de Dieu. Ils appuient notre confiance sur la grâce de Dieu et sur les mérites du justifié ; Luther ne l’appuie que sur la grâce de Dieu. Die Lehre Luthers, 1917, p. 234. Cette remarque est juste ; c’est dire équivalemment que la note fondamentale de la théologie de Luther, c’est la corruption inguérissable de l’homme déchu, et la mort de sa liberté.

Luther exalte tellement la foi ou plus précisément la confiance dans le Christ que, pour de nombreux théologiens protestants, elle est le seul point essentiel de son Credo. Comme membres de l’Église, comme frères dans le Christ, ne reconnaît-il pas tous ceux qui < cherchent Dieu de tout leur cœur et de toute leur âme, tous ceux qui ne se confient qu’à la miséricorde de Dieu », tous ceux « qui croient au Christ et qui ont confiance en lui » ? W., t. xxviii, p. 580, 30 (1529) ; Erl., t. lii, p. 392.

Dès lors, l’amour de Dieu et les autres œuvres passent à l’arrière-plan. La foi, amour de la tête, remplace la charité, amour du cœur. « Aime et fais ce que tu voudras, » dit saint Augustin ; « crois et fais ce que tu voudras, » dit Luther.

iv. la CERTITUDE DU salit. — A cause de la chute originelle, la concupiscence et moi, c’est tout un ; je pèche constamment, mais, en me rejetant sur le Christ, je suis justifié. Luther va faire encore un pas en avant, et sa théorie de la justification sera complète. Cette justification par la foi, le chrétien peut et même doit en avoir la certitude ; il aura même non seulement la certitude qu’il la possède, mais encore qu’il ne la perdra jamais, et qu’ainsi il sera sauvé ; le vrai chrétien a la certitude de son salut.

D’une manière générale, l’enseignement catholique dit : Par la foi, nous sommes certains que Jésus-Christ nous a laissé des sources surnaturelles de justification, notamment la doctrine et les sacrements. Mais pour nous, à moins de cas fort rare d’une révélation privée, nous ne sommes jamais vraiment certains de nous être assimilé ces sources. Concile de Trente, sess. i, c. 9 ; S. Thomas I a -IIie, q. exii, a. 5 ; Conc. Trid., t. v, p. 559, 14.

Encore moins sommes-nous assurés de la permanence de cette justification, c’est-à-dire de notre persévérance finale.

Les antécédents.

Mais, dans la théologie catholique,

ces notions ont subi quelques fluctuations. Sans être partisan de la certitude de la justification ni surtout de celle du salut, De civ. Dei, t. XI, c. xii, saint