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    1. LUTHER##


LUTHER. LA DÉCHÉANCE ORIGINELLE

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bien, des actes intrinsèquement bons. Élevée à l’état i surnaturel, son activité produit des actes bons, d’une bonté surnaturelle.

En face de cette tbéorie de bon sens, Luther nous présente des vues passionnées, avec des principes planés cà et là pour les rendre acceptables. Plus tard, il dira à table : « Dans ma lutte, c’est à la confiance dans les œuvres que je m’en suis pris dès l’abord. » T. H., t. ii, n. 1963 (1531). C’est fort exact. Luther a eu la logique de la passion : il a su frapper à Tendron qui le gênait par-dessus tout, lui et son époque. Dans ses écrits, les passages contre les œuvres sont innombrables. Au cours même de cette étude, on a pu le constater et on le constatera encore : dans ses attaques, dans ses polémiques, c’était constamment la lutte contre les œuvres qu’il envisageait en premier lieu.

Une observation quelque peu attentive fait même découvrir chez lui deux attaques différentes contre les œuvres, chacune avec son principe pour la légitimer : l’une contre l’activité humaine en général, et cela parce que cette activité était foncièrement mauvaise, l’autre, plus accentuée encore, contre les œuvres extérieures, et cela parce que l’activité du corps était trop vulgaire pour être utile à l’âme. La première offensive vient d’un vague augustinisme, la seconde d’un vague platonisme. Peu importait, du reste, le principe en vertu duquel les œuvres étaient condamnables ; l’important c’était de les tuer. Ainsi en serat-il dans la lutte contre la liberté : il l’attaquera à la fois au nom de la corruption de l’homme déchu et de la toute-puissance divine.

Nos œuvres sont mauvaises ; elles n’ont donc aucun mérite devant Dieu. — C’est par une pure faveur, dit la théologie catholique, que Dieu nous a appelés à une fin surnaturelle, la vision béatifique. Mais puisqu’il nous impose cette faveur, il se doit à lui-même de nous donner le moyen d’y atteindre ; il doit mettre à notre disposition la vie surnaturelle, c’est-à-dire la grâce. Dès lors que Dieu nous a ainsi donné sa grâce, nos actes ont réellement une valeur surnaturelle ; ils sont donc un principe de mérite. En les posant, nous acquérons un mérite véritable ou de condigno. h’ans doute, ce mérite s’appuie sur une promesse de Dieu ; mais il ressort aussi de la nature même des choses. D’un gland jeté convenablement en terre, il doit normalement sortir un petit chêne ; semence surnaturelle, la grâce doit produire en nous des fruits proportionnés. Dieu lui-même ne peut rien contre ; il ne peut réaliser l’absurde, faire que la grâce existe et agisse, et qu’elle ne nous rende pas gracieux. En outre, d’après la plupart des théologiens modernes, Dieu, par une libéralité subséquente, nous donne une récompense supérieure encore à celle que méritent nos actes, fécondés par la grâce.

Pour l’entrée même dans l’ordre surnaturel, nous ne pouvons pas la mériter, au sens strict du mot. Toutefois « à qui fait son possible, dit un adage célèbre en théologie, Dieu ne refuse pas la grâce. »

Sur le mérite, voilà l’enseignement catholique ordinaire.

Sur ce point, l’école que représente Seripando devait évidemment avoir des vues analogues à sa théorie sur le péché originel ; elle était plutôt opposée à un mérite véritable. Dans des notes privées, Serip.mdo écrivait : « Si excellentes qu’on les suppose, les œuvres méritoires, si elles ne sont miséricordieusement acceptées par Dieu, ne sont pas dignes de la vie éternelle. » Concil. Trid., t. ii, p. 432, 15.

Avec sa théorie sur l’activité corrompue de l’homme déchu, Luther en arriva naturellement à la négation absolue du mérite. Dans le chrétien qui cherche à agir en vue de Dieu et du ciel, il travaillera constamment à montrer un orgueilleux qui veut se dresser en face,

de Jésus-Christ, aller directement à Dieu sans passer par le Médiateur.

Le 10 octobre 1528, il commentait en chaire cette parole de Jésus : « Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi ils soient sanctifiés. Joa., xvii, 19. Ce sermon fait partie d’une série sur les discours de Jésus après la cène ; de l’avis de Kœstlin, ils sont de ceux qui nous font le mieux connaître Luther comme prédicateur. K. K., t. ii, p. 427. Ce jour-là, il fit de longs développements sur ses pensées de prédilection : la sainteté du Christ, l’inutilité des œuvres, surtout des œuvres extérieures, la permanence du péché en nous et notre incapacité d’accomplir des actes méritoires, W., t. xxviii, p. 176-177. Dans l’intimité et à l’université c’était le même enseignement. « Un jour, lit-on dans les Propos de table, il vit son enfant en train de …se soulager. Il le prit dans ses bras et dit : « Tout comme c’est par leur m…, leur p…., leurs gémissements et leurs cris que les gens méritent leur boire et leur manger, de même nous aussi, c’est par nos mérites que nous méritons le ciel. » T. R., t. ii, n. 1438 (1532). En 1537, dans une dispute théologique, il résumait en quelques mots sonores son aversion contre le mérite : « Les mots faire, agir, être nécessaire au salut enferment l’idée de mérite et d’obligation, et c’est là une idée à rejeter. » P. Drews, Disputationen. p. 159.

Le pessimisme de Luther l’amenait naturellement au quiétisme. L’homme est un mal vivant et toute son activité est viciée. Notre perfection consistera donc à ne pas agir, afin de laisser Dieu agir uniquement en nous.

Ce sera là aussi l’idée mère du quiétisme du xviie siècle ; par Baius et Jansénius, il tirait son origine de Luther, origine qu’il ignorait peut-être lui-même, ou du moins dont il n’osait se faire l’aveu. Quoique ce soit à ce mouvement que reste attaché le nom de quiétisme. on peut dire qu’en comparaison de Luther, ses principaux représentants, Molinos, Malaval, et surtout Fénelon, n’étaient que des quiétistes pâles et discrets.

Nos actes peuvent avoir une valeur sociale, temporelle (ci-après, col. 1310) ; ils n’ont aucune valeur religieuse, ni morale ; ils nous enorgueillissent plutôt, et ainsi ils nous détournent de Dieu. Voilà ce que Luther répétera de mille manières ; pour affirmer, pour célébrer le besoin de l’inaction dans l’ordre du salut, il trouvera des paroles tranchantes et enthousiastes. En 1531, par exemple, il disait dans son Commentaire sur VÉpitre aux Galates : « Cette très excellente justice, la justice de la foi, que sans nos œuvres Dieu nous impute par le Christ, ce n’est ni la justice civile, ni la cérémonielle, ni celle de la loi divine, ni celle attachée à nos œuvres ; elle est d’un genre absolument différent, à l’opposé de toutes ces justives actives, elle est purement passive. Ici, nous ne faisons rien, nous ne rendons rien à Dieu ; nous nous bornons à recevoir et à subir l’action d’un autre, l’action de Dieu qui agit en nous. De là le meilleur nom pour cette justice de la foi ou justice chrétienne c’est celui de justice passive. » W., t. xl a, p. 41, 15.

Luther n’a pas porté ce quiétisme dans la pratique de sa vie ; de par son éducation catholique, il avait une autre tendance ; de par sa nature, il avait une activité forte et débordante. Dans sa théologie elle-même, comme on l’a maintes fois et fort justement remarqué, il lui était impossible de s’en tenir à son quiétisme. Voici le sommet de cette théologie, la foi justifiante : la foi saisit la justice qui nous est imputée (col. 1221 sq.). Pour saisir ainsi cette justice et pour la maintenir en nous, pour garder notre confiance en Dieu et la certitude de notre salut, Luther nous exhorte même à de grands efforts, à beaucoup d’activité. Mais, si réduite, si minime que dans cette