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LUTHER. L'ÉVÉNEMENT DE LA TOI R


phique, comme une justice active, c’est-à-dire comme une justice que Dieu exercerait envers nous ou plutôt contre nous. Alors, au contraire, il comprit que la ustice de Dieu était une justice passive, une justice que nous recevions de sa miséricorde.

Le luthéranisme a fidèlement gardé cette distinction entre la justice active et la justice passive. R. Seeberg, Die Lehre Luthers, 1917, p. 67, G8.

.Mais sur ce passage, il s’est élevé récemment trois controverses ; la première, sur « les docteurs » de qui Luther avait appris à entendre la justice de Dieu au sens philosophique, comme une justice formelle ou active » ; la seconde sur la date de la révélation », la troisième sur le lieu précis où elle s'était produite.

De quels docteurs Luther veut-il parler ? Déni fie répond : Des Pères de l'Église, des théologiens et surtout des exégètes. Et dans un recueil d’extraits il a montré que, du ive siècle au commencement du xvie, « pas un seul écrivain catholique » n’avait entendu ce passage comme le prétendait Luther. Die abendlândischen Schriftausleger, 1905 ; voir aussi D. P., t. i, p. xvi ; t. ii, p. 317-366. Mais Luther nous dit que jusqu'à sa découverte, c'était au sens philosophique qu’il avait entendu la justice de Dieu. II est donc plutôt probable que les docteurs qu’il avait en vue c'étaient des philosophes, notamment ses docteurs nominalistes. A.-V. Muller, Luthers Werdegang, 1920, p. 122 sq. ; K. Holl, dans Festgabe dargebrachl… A von Harnack. Tubingue, 1921, p. 73-92.

Sur la date de « la révélation », tous aujourd’hui, protestants comme catholiques, s’accordent pour avancer celle que Luther a indiquée. Denifle proposait la fin de 1515, après le commentaire sur les trois premiers chapitres de l'Épître aux Romains ; c'était là qu’il trouvait « le moment précis de la crise morale et doctrinale de Luther ». D. P., t. ii, p. 364 sq., surtout 408. Après s'être élevés violemment contre Denifle, les protestants ont ici renchéri sur lui. Volontiers, ils placent la découverte de l'Évangile entre le doctorat de Luther (18 octobre 1512) et le commencement des Dictées sur le Psautier (semestre d’hiver de 1513). E. Hirsch, Initium theologiæ Lutheri, 1910, p. 161-165 ; O. Scheel, Luther, t. ii, p. 321 ; H. Thomas, Zur Wùrdigung der Psalmenvorlesung Luthers von 1513-1515, 1920, p. 49-51 ; H. Strohl, 1922, p. 144. En effet, ce fut sans doute à cette époque, dans la première moitié de 1513, que Luther en arriva à une conception assez précise de la foi justifiante ; donc avant son premier Commentaire sur les Psaumes, et non avant le second, comme il l'écrira en 1545.

C’est alors que dut se produire V Événement de la Tour, dont on parle tant en Allemagne. Maintes fois, surtout à table, Luther est revenu sur ce grand événement intérieur.

Qu'était cette tour ; et surtout dans cette tour quel fut au juste le lieu de la découverte ? -Ces dernières années, les discussions à ce sujet ont été très âpres. Elles portent sur un point assez piquant. En 1532, Luther disait à ses convives : « Le Saint-Esprit m’a donné cette intuition dans ce cloaque. » T. R., t. ii, n. 1681, t. iii, n. 3232 a. Ailleurs, on le fait simplement parler de la tour ; puis du cloaque et de la tour ; puis d’un hi/pocaustum ou pièce chauffée. T. R., t. iii, n. 3232 a ; 3232fe ; Rindseil, t. i, p. 52 ; voir aussi F. Loofs, dans Theologische Studien und Kriliken, Lutherhe/t, 1917, p. 354, n. 2. De ces cabinets ou de cette pièce chauffée, que faut-il choisir ? Plusieurs raisons inclinent à se décider pour les cabinets. De l’avis général, le premier récit, où ils sont seuls mentionnés, est le plus authentique. En outre, à la "Wartbourg et les

années suivantes, Luther décrira ses constipations avec un réalisme et des détails fort expressifs. A. Cabanes, Les indiscrétions de l’histoire, t. vi, s. d. (1909?) ]). 'M. Dans « le cloaque » du couvent, il devait donc sans doute être obligé à de longs séjours, la tête occupée ailleurs. Or quelle répugnance y avait-il à ce que l’Esprlt-Saint choisit ce lieu pour lui parler ? Quel Jien symbolique, au contraire, entre la révélation et l’endroit où elle se produisait ! Sur le cloaque de la nature, la foi justifiante descendait, fleur pure et embaumée, venue directement du Ciel. Porté aux antithèses, Luther devait aimer à se répéter : « L’Esprit souille où bon lui semble. » A la fin de sa vie, l’Apocalypse lui servira bien à montrer que la tiare du pape était l’endroit tout désigné pour se soulager à fond. D. P., t. iv, p. 129, 130 et la gravure v de l’Image de la Papauté.

Tel est l'Événement de la Tour. Pour son entrée au couvent, Luther' avait été frappé comme Paul sur le chemin de Damas. Pour sa grande théologie de la justification, il avait reçu une révélation plus intime. Plus tard, toutes ces illuminations d’en haut recevront leur couronnement à la Wartbourg, la nouvelle Patmos.

Pourtant, l'Église n’avait-elle pas la mission de contrôler les illuminations privées ? Saint Paul n’avait-il pas dit, ce saint Paul à qui Luther aimait tant à se comparer : « Quand même un ange du ciel vous annoncerait un autre Évangile que celui que nous avons annoncé, qu’il soit anathème. » Mais comment négliger des impulsions si violentes ? Comment renoncer à y voir des appels de Dieu ? Et y renoncer pour se soumettre à qui ? A l'Église d’Alexandre VI et des évêques d’Allemagne, à l'Église qui venait de placer sur le siège de Mayence le futur trafiquant des indulgences, le jeune viveur Albert de Hohenzollern, évêque, deux fois archevêque, électeur et chancelier de l’Empire à vingt-quatre ansl Pour voir, pardessus ces faits transitoires, l'épouse et la représentante de Jésus-Christ, il eût fallu des idées générales et de l’abnégation. Mais au lieu d’idées générales, Luther n’eut jamais que de fortes impulsions ; au lieu d’humilité et d’oubli de soi-même, il n’eut jamais qu’un grand orgueil et un attachement obstiné à ses impulsions.

Après l'Événement de la Tour, il restera fermement attaché à la théorie de la foi justifiant sans les œuvres. Comme on le verra au chapitre suivant, cette théorie était le fruit de ses expériences intimes ; elle était le poème de sa vie.

Pour la soutenir, il dédaignera de plus en plus d’en appeler à la tourbe des théologiens. Au début de sa lutte contre les Indulgences et même plus tard, il admettra encore quelque peu l’autorité des Pères. Enders, t. i, p. 149, 190 (1518). Mais il déclarera bien haut qu’il n’a que faire des théologiens scolastiques. « maîtres nouveaux », dépourvus d’autorité. W., t. i. p. 243, (nov. 1517?) « Il n’y en avait pas un à avoir compris un seul chapitre de l'Évangile ou de la Rible ! » Enders, t. i, p. 174 (24 mars 1518). C'était la lourde bévue de Jean Eck d'être allé puiser ses fantaisies chez ces gens-là ; pour lui, il se glorifiait de n’avoir rien à faire avec eux ! W., t. i, p. 281, 282, 284-286, 293 (1518). « Sur les auteurs et les opinions qui l’ont influencé. Luther a toujours été très réservé. Presque constamment, il nous laisse entendre que ses idées sont sorties spontanément de ses méditations comme Minerve du cerveau de Jupiter. » Grisar, t. i, p. 131 ; de même Muller, dans Theol. Studien und Kritiken, 1915, p. 158, 159. Pour la traduction de son Nouveau Testament à la Wartbourg, il semble prouvé aujourd’hui qu’il s’aida de travaux allemands antérieurs. Mais vingt-