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    1. LUTHER##


LUTHER. INFLUENCE DE L’AUGUSTINISME

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Mais en soi. entre Bernard et Luther, y a l-il ici parenté étroite ? La ressemblance verbale est frappante. Peut-être même un certain pessimisme théo logique sur les conséquences de la chute originelle met-il entre eux quelque ressemblance de fond..Mais de ce pessimisme Bernard est fort loin de tirer les conséquences désastreuses qu’en tirera Luther ; il n’a jamais rien écrit qui ressemble au traité du serf arbitre. Dans le présent passage, comme le dit Bellarmin, il ne va pas à enseigner que sans égard à nos œuvres nos péchés nous sont remis ; comme condition, il requiert « la conversion, la confession, les fruits de pénitence et œuvres semblables ». Bellarmin, De justificatione, t. III, c. x, édit. Vives, 1870-1874, t. vi, p. 274, 275. Dans un passage similaire, après avoir aussi exalté la foi, Bernard parle énergiquement de la sainteté qui doit la compléter. P. L., t. ci.xxxiii, col. 881, 882. De même, le vieillard de Mélanchthon, comme plus tard Staupitz, ne voulait sans doute qu’exhorter Luther à la confiance en Dieu ; on ne voit pas que cette exhortation ait été liée à la théorie de la corruption irrémédiable de l’homme déchu. Comme le dit Bellarmin, et comme on le verra plus loin, l’expression même de foi justifiante peut garder un sens très catholique ; ne remonte-t-elle pas à saint Paul !

Ailleurs, saint Bernard nous dit que la vie de la foi c’est la charité ; s’appuyant sur l’Épître de saint Jacques, il rappelle que notre foi ne doit pas être morte. P. L., t. clxxxiii, col. 283. Enfin, nous dit-il, la foi ne sauve pas sans les œuvres, ni les œuvres sans la foi. Col. 617.

C’est en vain que dans Luther on chercherait des déclarations de ce genre. Dans son É] ître, Jacques a rappelé la possibilité d’une foi morte et la nécessité des œuvres ; dès lors, il n’y aura là pour Luther qu’ « une épître de paille ». Erl., t. lxiii, p. 115 (1522). Mais Bernard avait dit que « seule la foi justifiait » : Bernard était donc son précurseur. La ressemblance était allée beaucoup plus loin : Bernard lui aussi, et au moment suprême de sa mort, avait renoncé à sa « moinerie » ; il n’y avait vu « qu’un état de perdition » ! D. P., 1. 1, p. 74-90 ; J. Paquier, Luther et l’Allemagne, p. 127-138.

5. Guillaume de Paris († 1249). — Luther disait en 1532 : « Gerson est le seul à avoir écrit sur les tentations spirituelles ; Jérôme, Augustin, Ambroise, Bernard, Scot, Thomas, Richard, Occam, tous les autres n’ont parlé que des corporelles. Aucun d’eux n’a rien éprouvé de l’abattement de l’âme ; Gerson a été le seul à en écrire. L’Église vieillissante doit éprouver ces tentations de l’esprit. Et nous sommes dans la vieillesse de l’Église. Guillaume de Paris a aussi écrit quelque peu sur ce sujet. » T. R., t. ii, n. 1351.

Au Moyen Age et à la Renaissance, Guillaume, évêque de Paris, a été l’un des écrivains religieux les plus en vogue. Au xve siècle et dans les premières années du xvie, ses œuvres avaient été très souvent réimprimées. Gerson fait plusieurs fois l’éloge de Guillaume, et tout spécialement de son petit traité De l’espérance, Opéra, 1606, t. i, col. 559 F, col. 560 B ; t. iii, - col. 173 D, col. 174 C.

Guillaume n’est pas un intellectualiste, c’est un volontariste. Il appartient ainsi à la lignée qui, par Duns Scot, Occam et Biel, aboutit à Luther, et récemment aux théoriciens de V Immanence. Dans son traité De la Foi, il estime que pour mieux honorer Dieu, il faut croire en lui sans songer à sa véracité : « la seule foi digne de Dieu, c’est celle qui croit à sa parole sans aucune garantie. » De fide, dans Opéra, Paris, 1516, t. i, ꝟ. 2 ; voir aussi t. i, ꝟ. 66, col. 4 L ; et ci dessus art. Foi, t. vi, col. 118. Par là, il ne pouvait que plaire à Luther. Mais le sujet qui rappelait à

Lui lier le souvenir de Guillaume de Paris, c’étaient les tentations de découragement. Quoi qu’il en dise, le Moyen Age a fort bien connu la paresse spirituelle, cette mère de tous les vices. Mais chez Guillaume, on trouve en effet sur ce point des passages particulièrement caractéristiques. « Il n’y a rien, dit-il, qui abatte si profondément les combattants, rien qui amène si honteusement leur défaite ; sans coups, sans blessures, cet abattement leur fait tourner le dos à l’ennemi et prendre la fuite. » De virtutibus, dans Opéra. 1. 1, 1 col. 4 L. « Beaucoup de cœurs sont atteints par cette débilité, 1. 1, ꝟ. 79, col. 1 K. Dans son traité De l’espérance, il donne des remèdes contre cet abattement. « Avant tout, dit-il après saint Augustin, j’ai appris dans l’Église catholique à ne pas donner à mon espérance un fondement humain. Moins on se confie en soi, plus on se confie en Dieu ! le vrai fondement de l’espérance, c’est Jésus-Christ et ses plaies. » T. i, ꝟ. 100, col. 2 R.’C’est ce que les théologiens catholiques et les auteurs de la vie spirituelle ont toujours répété. Chez Guillaume toutefois, les motifs d’espérer en Dieu sont exposés avec une chaleur particulière. Et il y a une autre vérité qu’il ne faut non plus jamais cesser de rappeler : c’est que Luther entendait les textes d’après ses préoccupations. Par réaction contre le nominalisme, hanté de son idée de la corruption irrémédiable de l’homme déchu, il aura compris que, même dans l’homme justifié et s’appuyant sur Jésus-Christ, Guillaume ne reconnaissait aucun mérite. Chez lui, il aura trouvé aussi la théorie de la certitude du salut : « Mes filles, dit l’Espérance, sont la confiance, la sécurité…, l’attente, sans mélange d’hésitation, des biens que Dieu a promis. » T. i, ꝟ. 100. col. 1 Q.

Luther connaissait donc certains théologiens et autres écrivains religieux du xie, du xue et du xme siècles. Mais avait-il conscience des points qui les différenciaient de ceux de l’âge suivant’? Assurément, il ne connaissait pas dans ses détails la lutte qui. au xuie siècle, mit aux prises augustiniens et thomistes. Toutefois, sur l’opposition même entre ces deux grandes écoles, il était loin d’être sans aperçu. Plus haut, nous l’avons entendu reprocher à saint Thomas d’avoir introduit le règne d’Aristote dans la théologie. Dans le même sens, il écrivait en 1518 contre le dominicain Sylvestre Priérias, maître du Sacré Palais : « Il y a bientôt trois cents ans que l’Église souffre de cette passion malsaine, de cette véritable luxure qui vous pousse à corrompre la doctrine : dommage sans pareil qui lui vient des docteurs scolastiques. » W., 1. 1, p. 677, 9. Deux mois après, dans ses Solutions sur la valeur des indulgences, il précisait, en donnant des noms : « Assurément, saint Thomas, le bienheureux Bonaventure, Alexandre de Aies sont des hommes remarquables ; il n’est pourtant que juste de leur préférer la vérité, puis l’autorité du pape et de l’Église… Depuis plus de trois cents ans, les universités, tant d’esprits remarquables qui y ont vécu n’ont su que peiner sur Aristote, » répandant ses erreurs, ajoute-t-il, plus encore que le vrai qu’il avait pu enseigner. W. t. i, p. 611, 21 ; de même, t. vii, p. 148, 24 (1520), p. 340, 21 (1521).

/II. LES AUOLSTISIENS J>U A///e SIÈCLE XV XVI’.

— Ainsi, avant 1515, Luther avait lu plusieurs théologiens ou auteurs spirituels de la première scolastique. et il avait pu trouver chez eux des germes de sa théorie de la justification. Ces germes, les trouva-t-il dans des écrivains postérieurs, ou même autour de lui 1 Reste, en effet, le groupe ou plutôt la série de théologiens augustiniens qui va de la fin du xiii c siècle au xvi e. C’est le moins connu, celui dont les frontière^ sont le moins délimitées. Dès aujourd’hui pourtant, on peut donner à ce sujet des précisions intéressantes.