Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.1.djvu/602

Cette page n’a pas encore été corrigée
1189
1190
LUTHER. INFLUENCE DE L’AUGUSTINISM


ses vues deviennent très pessimistes ; il va au delà des augustiniens les plus avancés. Vers 1518, cette évolution était terminée. D’où cette nouvelle tendance lui est-elle venue’? De son propre fond assurément ; toute sa théologie a une empreinte très personnelle, très subjective. Puis d’un besoin de réaction et de contradiction. Toutefois, ces nouvelles idées, plus encore les termes qui leur servent de revêtement font penser en outre à une influence de saint Augustin et surtout de certains théologiens que, pour nous servir d’un nom collectif commode, nous appellerons théologiens augustiniens.

I. SAINT AUGUSTIN.

Saint Augustin a beaucoup écrit, et sur des sujets variés. Mais c’est l’ensemble de ses vues sur la grâce que l’on appelle augustinisme. Contre les pélagiens, il a défendu sur ce point le dogme catholique. Toutefois, une autre impression encore ressort de ses traités sur la grâce ; c’est qu’il a été très fortement frappé du règne du mal dans le monde et de la misère de l’homme. De là l’importance extraordinaire qu’il a accordée à la chute originelle. Tout le mal qu’en manichéen et en néo-platonicien, il avait pensé de la matière et de la chair, il l’a fait un peu pêle-mêle retomber sur cette chute. C’est peut-être le point où il a été le plus abandonné, surtout depuis deux siècles. « Depuis que notre nature a péché dans le paradis terrestre, écrit-il. nous ne sommes plus engendrés selon l’esprit, mais selon la chair. Tous, nous sommes devenus une pâte de boue, c’est-à-dire une pâte de péché. Puisque nous avons perdu tout mérite par le péché, nous n’avons plus droit qu’à la damnation éternelle. » De diversis quæstionibus LXXXJII, q. lxviii, n. 3. P. L., t. xl, col. 71 ; voir aussi Odilo Rottmanner, O. S. B., Der Augustinismus, 1892, p. 8. Ces lignes ont été écrites vers 396. Depuis lors jusqu’à sa mort (430), plus Augustin s’avança dans ses discussions contre les pélagiens, plus il accentua ses expressions et assombrit le tableau des misères de l’homme déchu.

Quand Luther connut-il saint Augustin ? Sous le règne du nominalisme, Augustin continuait toujours d’être mis à une place d’honneur. De lui, on lisait surtout les ouvrages qui ne traitent pas de la grâce. Aussi, vers 15(19-1510, avant son voyage en Italie, Luther lut et annota de saint Augustin plusieurs écrits de ce genre : V Enchiridion, les Confessions, la Doctrine chrétienne, la Vraie Religion, la Trinité et la Cité de Dieu. Y., t. ix, p. 2-27. On le comprend d’autant mieux qu’Augustin était non seulement le patron de son ordre, niais celui de l’Université de Wittenberg. W. Priedensburg, Geschichte der Unlversilnl Wittenberg, 1917, p. 27. Mais il ne paraît pas qu’avant 1515 il ait rien lu (le scs écrits sur la chute originelle et sur la grâce ; il ne devait les connaître que par des citations, lues notamment dans Pierre Lombard. Sans doute, dans une sorte de préface à ses notes sur 1rs Sentences, il témoigne d’un grand enthousiasme pour Augustin, et, semble-1 il, pour cette partie même de son œuvre ; il rélicite hautement Pierre Lombard de s’être avant toul appuyé sur lui. . t. ix, p. 2’.). Mais (m ne saurait (lire quand cette préface a été écrite ; d’ailleurs, elle est loin de supposer isairement une lecture précise d’Augustin, Plus loin, il cite le traité De spiritu et littera et les Rétractations, t. i. p. 60, 21. ; p. i„s. 23 ; p. 7 1. I ; p. K2, 27. Mais il est très douteux qu’à cette époque U eut déjà lu ces deux ouvrages. En 1545, il dira que ce n’est que vers 1515, après la découverte de II. van qu’il lut le De spiritu, op. ex. lat., t. I, p. 23. Vers la même époque, il lut le traité De peccatorum meritU ri remisa ione, et le premier écrit Contre Julien. Enders, t. i. p. 63 ; K. K.. I. i. p. 109 11° : I I ick.r, t. i, p. imi Dans snii Commentaire sur l’Épttre aux

Romains, il cite très fréquemment les ouvrages de saint Augustin sur la grâce. Strohl, 1924, p. 100, 101.

II. LES AU 0U8TINIBN8 HE LA PREMIÈRE scolastiqve. — A côté de saint Augustin, Luther lut, soit comme théologiens, soit comme auteurs de la vie spirituelle et mystique, des écrivains que leur dépendance à l’égard de ce docteur a fait spécialement nommer augustiniens.

Les deux groupes d’augusliniens.

De saint

Augustin à Luther, il y a eu comme deux groupes de théologiens catholiques que l’on peut désigner ainsi. Le premier est le plus remarquable ; il comprend la plupart des théologiens de la première scolastique, au xie et au xiie siècles : Hugues de Saint-Victor, avec tous les écrits qui ont été mis sous son nom (j 1141), Hervé de Bourg-Dieu († 1150 ?), Robert Pulleyn (de la même époque), Gilbert de la Porrée († 1154), Pierre Lombard († 1164), Robert de Melun († 1167), Roland Bandinelli, plus tard pape sous le nom d’Alexandre III († 1181) ; enfin Pierre de Poitiers (|1205). Sur le péché originel, sur la grâce, sur les points en un mot dont s’est surtout occupé saint Augustin, ces théologiens gardaient fidèlement sa terminologie. Reproduisaient-ils aussi fidèlement ses idées ? Pour couper court, disons qu’ils en faisaient une codification assez pessimiste ; on pourrait appeler leur synthèse un augustinisme d’extrême gauche.

Alors apparaît le grand mouvement théologique qui commence à saint Anselme (1033-1109) pour s’épanouir en saint Thomas d’Aquin (1220-1274), et mourir dans les subtilités du xve siècle. Cette théologie est un haut rationalisme catholique, ou, si l’on aime mieux, un haut intellectualisme catholique, à base d’aristotélisme. En plusieurs endroits, cette école s’écarte de saint Augustin ; toutefois, sur les points principaux, elle ne fait que présenter ses idées d’une manière plus méthodique. Les théologiens de la première scolastique se tenaient plus près de la terminologie d’Augustin ; saint Thomas est peut-être plus près de ses idées elles-mêmes.

En 1254, sous l’impulsion du pape Alexandre IV.se constitue l’ordre des Ermites de Saint-Augustin. C’est alors que paraît le second groupe de théologiens augustiniens ; ce groupe s’identifie quelque peu avec le nouvel ordre. Il est représenté par Gilles de Rome (1246 ?-1316), Thomas de Strasbourg († 1357) et surtout Grégoire de Himini (| 1358). Pendant le xiv° et le xve siècles, cette école se continua, mais sans éclat, dans l’ordre des augustins et ailleurs encore, avec des nuances et variations qui sont encore mal connues. Du reste, les augustins eux-mêmes n’eurent jamais de doctrine attitrée, à la manière des dominicains et des franciscains.

Les augustiniens du Moyen Age eurent-ils une influence sur l’évolution theologique de Luther, sur cette évolution qui devait l’amener à sa théorie de la justification par la foi ? Aujourd’hui, c’est là le point te plus délicat des recherches sur Luther. Toutefois,

dans celle forêt vierge, je ais cssær de tracer quelques mules.

2° Luther ri les augustiniens du XI 1 au x/ll> sir, , ’l.a plupart des théologiens du xi 1’et du JOB’siècles furent ignorés de Luther et de sou époque. Au commencement du xvr siècle, les prétendues sources

théologiques de Luther dans la première scolastique, Hervé de Bourg-Dieu, Robert Pulleyn, Roland Bandinelli, Pierre de Poitiers, avaient disparu du champ de la théologie ; les ouvrages de ces théologiens

n’étaient pas imprimes, et en Allemagne il était

censément impossible de se les procurer nianusci il s.

Mai i in ( irabmann, dans Der Katholtk, 1 913, i. i. p. 1 58. D’ailleurs, de théologies manuscrites, Luthei a lu tout

au plus des cahieis reproduisant des cours de pri