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LULLE. DOCTRINES PHILOSOPHIQ1 ES

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Tout comme la méthode, les doctrines lulliennes reflètent le même courant. L’élément volontariste et aiïectif est mis en grande valeur. Probst, op. cit., p. 259-261. Avec les augustiniens, 1. tille tient que la matière n’est pas une pure puissance, Declaralio, p. 210, que Dieu peut multiplier les êtres dans une espèce sans son appui et, par suite, que les individus ne diffèrent pas sola positione maieriæ. Declaratio, p. 173 ; Probst, op. cit., p. 76. Avec eux, il admet dans les êtres la gradation des formes inférieures et supérieures et non pas l’unicité de forme, comme l’assurent Gonzalez et Hartmann, Arbor scientiæ, p. 07 : Major (bonitas) est in fine formarum superiorum quam in fine jormarum injeriorum, quæ sunt materise ad jormas quæ sunt supra, sicut, sccundæ inlenliones ad primas ; forma : tamen in/eriores semper rémanent secundum eorum specialem bonitutem, etc. Cf. Quæsl. per artem demonstr. solubiles, q. clii, t. iv, p. 150, Probst, op. cit., p. 80.

De même, il soutient la composition hylémorphique des substances spirituelles, théorie qui se rencontre chez Avicebron, mais n’en vient pas nécessairement puisque, avant lui et en dehors de son influence, elle était classique dans la théologie du haut Moyen Age, qui l’avait apprise d’Augustin. A. Spettmann, Die Psychologie des Johannes Pecham, dans Beitràge zur Geschichte der Phil. des M. A., t. xx, fasc. 6, Munster, 1919, p. 12. « L’ange, dit R. Lulle, est composé de matière et de forme ; saris elle, aucun être angélique ne peut être constitué ni amené à l’existence. » Libre de angels, éd. Probst, op. cit., p. 331 ; In lib. Sent., t. II, c. lxv, t. iv, p. 40 ; Lib. Cont., t. IV, c. ccxxviii, n. 19, t. x, p. 7. D’accord avec les maîtres franciscains, il enseigne la théorie des raisons séminales, Lib. chaos, t. iii, p. 4, cf. Probst, op. cit., 73-74, et expose longuement la métaphysique de la lumière dans son Lib. de lumine. Avec eux également, il souscrit au consubstantialisme psychologique et n’admet pas la distinction réelle entre l’âme et ses facultés. Quæst. per artem demonstr. solubiles, q. lx, t. iv, p. 80 : Unde palet quod potentiæ animée sunt de essentia ipsius animie ut non sint accidentia… ut ipsæ jruantur Deo. Dans l’opinion contraire, le reflet de la Trinité dans l’âme serait trop voilée, Félix de les maravelles, t. I, c. iv, t. i, p. 28, 29, L’Art, p. 77, etc. Cf. Probst, op. cit., p. 262-264, Mgr Maura, Psicologia lulliana. El entendimiento agente y et entendimienlo posibile dans Rivista lulliana, t. iv, p. 162 sq.

Si Lulle insiste beaucoup sur ce point, c’est qu’il reprend avec ses implications logiques et mystiques le symbolisme universel de saint Augustin, des victorins et de saint Bonaventure. Le nom de Dieu est inscrit sur l’être des choses. « O très haute Trinité, dit R. Lulle, Libre de oracions, c. iii, Obres, t. i, p. 186-189, vous avez mis votre ressemblance dans toutes les créatures afin que par cette image elles puissent mieux se souvenir de vous et vous honorer et servir. » « On demanda à l’ami : qu’est-ce que le monde ? Il répondit : Pour ceux qui savent lire, c’est un livre dans lequel on apprend à connaître mon Aimé. » L’Ami, trad. André, n. 299, p. 92. Cette empreinte de Dieu brille surtout dans l’âme, Quæst. per artem demonstr. solubiles, q. liu-lvi, t. iv, p. 75-78 ; l’esprit est constitué par une participation la plus haute possible aux dignités divines. Ibid., q. lvhi, p. 78, 79. Au sommet de tous ces symboles se trouve l’eucharistie. « Le Saint-Sacrement est le plus beau miroir qui puisse être entre Dieu et l’homme. » Art>or scientiæ. arb. apost., p. 195. L’homme peut y contempler toutes les dignités divines surtout sa bonté et son humilité. « Entends, dit Blanquerna, L’Art, p. 94, quelle œuvre miraculeuse est la Trinité en Dieu et comment l’incarnation du Fils est au-dessus de la nature. Afin de signifier la transcendance de cette œuvre, Dieu veut

établir le saint sacrifice pour que, tous les jours, nous soit rappelée l’œuvre merveilleuse que les divines vertus opèrent surnaturellement. De même que, d’une manière sensible et corporelle, nous faisons dans la croix le signe de la figure de Jésus-Christ, de même dans le sacrifice de l’autel est signifiée l’œuvre merveilleuse, tout intellectuelle, qui se fait par les vertus de Dieu. » Cf. L’Art, p. 83. Si Dieu a ainsi imprimé le reflet de ses dignités dans les choses, c’est pour ne pas aveugler l’homme de sa splendeur, ainsi que R. Lulle l’expose dans le c. ccclii du Lib. conlemplationis : Oculi intellectuales melius possunt vidcre quando vident potestatem, dignitatem, sapientiam, voluntatem Dei in creaturis quam quando Mas vident tantum in ipso. Pour arriver à voir Dieu dans son ouvre, il faut d’abord l’apercevoir au dedans de soi constamment : « Depuis que j’ai vu mon Aimé dans mes pensées, dit l’Ami, il n’a jamais été absent de mes yeux corporels, car toutes les choses visibles me représentent mon Aimé. L’Ami, n. 40, p. 15. Combien tout ce symbolisme inspire R. Lulle, il est facile d’en juger par ces mots : « On demanda à l’Ami : Quel est ton maître ?

— Les significations que les créatures me donnent de mon Aimé. » L’Ami, n. 57, p. 20.

2. Théorie des dignités.

Conformément à ce symbolisme

universel, Lulle place Dieu et ses dignités au sommet de sa synthèse comme la cause et l’archétype des perfections créées.

Le procédé analogique et l’argument de saint Anselme légitiment cette inférence. Si l’être et ses propriétés sont réalisés selon un ordre progressif dont l’univers matériel constitue le « degré positif », et l’ange et l’âme « le degré comparatif », cf. De divina existent ia et agenlia, Munich, lat. 10 537, f° il, Keicher, op. cit., p. 79, il est nécessaire que l’être suprême ou « le degré superlatif » existe et réunisse en lui, dans une identité parfaite, toutes les perfections possibles. Ars misliva, Munich, lat. 10 ô30, f » 8 r, cf. Keicher, op. cit., p. 76. R. Lulle reprend invariablement la même démonstration, Compendium artis demonslrativæ, t. iii, p. 80 :

Concludendum est de Deo id per quod creatura est magis ismilis ipsi Deo et per quod similitudines dignitatum sunt in creatura majores. Ratio autem hujus est ista : quia remota inde omni imperfectione et addita omnimoda perfectione est id in Deo quod est in creatura et per quod creatura principaliter est nobilior : aliter non esset in esse id quod recta ratione melius, sed quod pejus posset ab omnibus considerari, quod est impossibile. Cf. Arbor scientiæ, p. 204-206.

Ces dignités sont de véritables perfections, Lib. de XIV articulis fldei catholicse, d. I, p. 3, t. ii, p. 39-43, mais elles ne sont pas réellement distinctes en Dieu, Declaratio, p. 98 :

Item quod qudibet illarum dignitatum sive rationum sit in uno et eodem numéro cum alia, sicut bonitas et magnitudo quæ insimul convertuntur, et hoc necessario ut in ipsis non cadat accidens, etc.

Le principe doit être accepté de tous, cum Deus sit purus actus. Declaratio, p. 168. Lulle insiste beaucoup sur cette identité, qui établit une distinction absolue entre Dieu et le créé, L’Art, p. 68-72, Lib. de XIV articulis, d. I, p. 3. t. ii, p. 43-50, Arbor Scientiæ. p. 206208, etc. Aussi est-il inconcevable que les polémiques d’antan aient ici incriminé sa pensée. Dans toute son œuvre, le bienheureux contemple les perfections de Dieu, comme Platon les idées. Lib. Cont.. t. IV, c. ccxxxiv. n. 3, 18-23, t. x, p. 27-29 ; c. ccxxxv. n. 21-30, p. 32-34 ; Lib. de XIV art., cl. I. t. n. p. 3. ;.i) : Arbor scientiæ, p. 202-204, 340-342. etc. Elles y figurent comme les « grands témoins » des dogmes dont les dépositions l’emportent sur le témoignage des sens. Lib. Cont., I. IV, c. ccliii, n. 18, t. x, p. 97.