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LULLE. VIE


1912, p. 76-77, atteste en effet clairement que Lulle s’agenouilla au Saint-Sépulcre :

Ego pluries coram altari beati Pétri fui Rome, ipsum vidi valde ornatum, illuminatum, dominum papam hic pluries cura cardinalibus celebrantem et cum altis et multis vocibus laudantes, benedicentes nostrum dominum Jhesum Christum. Sed aliud altare est, quod est exemplar et dominus omnium aliorum et quando vidi, in ipso due lampade sole erant, una tamen fracta est. Civitas depopulata est eo quod ibi quasi quinquaginta ( ?) homines non morantur, sed hic multi serpentes in cavernulis commorantur. Et illa civitas est excellentissima super omnes alias civitates, el hoc intelligo quoad Deum. Sed quoad nos quid est, et dedecus quale est in quo est, a quo venit et quantum est, videatis ! Et nonne sumus Christiani ?

Or, le récit du voyage soudainement interrompu de R. Lulle à Chypre en 1301, exclut positivement le fait d’un pèlerinage à Jérusalem à cette époque, ce que les historiens admettent communément. Comme il n’est pas possible de lui assigner une autre date entre les années 1282 et 1305 où l’itinéraire de Lulle est suffisamment connu, il reste que ce voyage appartient à la première période des pérégrinations lullistes.

Cette conclusion est confirmée par le texte d’un ouvrage écrit à Paris en 1287, le Félix de les maravelles, t. ii, p. 126, où Lulle se reconnaît sous les traits de ce pèlerin qui prie au Saint-Sépulcre, dispute avec les sarrasins dans les mosquées, et à son retour d’Orient « va chez les prélats et les princes de la chrétienté » pour les exciter à la grande œuvre de l’évangélisation des infidèles, — ce que le Majorquain tentait précisément alors d’obtenir de Philippe le Bel et de l’Université de Paris. — De plus, Lulle, dès sa conversion, brûlait de se rendre en Terre sainte, Lib. Cont., t. III, c. cxxxi, Op., t. ix, p. 301.

Sicut homo famelicus festinat quando comedit et facit magnas bucellas ratione magnse famis quam sentit, ita servus tuus adeo magnum sentit desiderium moriendi ad dandum laudem de te, quod nocte et die festinet et conetur, quantum potest, dare perfectionem huic libro Contemplationis, ut postquam ipsum perfecerit, eat ad eflundendum suum sanguinem et suas lacrymas pro amore tui in Sancta Terra in qua tu effudisti tuum pretiosum sanguinem, etc.

L’on ne conçoit pas qu’avec de tels sentiments Lulle ait attendu près de vingt-cinq ans avant de réaliser son projet, alors que dans ce laps de temps il faisait deux ou trois fois le tour de l’Europe Occidentale pour la soulever en faveur des Lieux Saints et se rendait même à Tunis. L’historicité de ce voyage est donc acquise. Il est probable qu’il visita alors Rhodes qu’il assure avoir vii, Lib. de fine, éd. cit, p. 68, Damiette, et aussi le Magreb, Blanquerna, c. lxxxviii, Obres, t. ix, p. 343 et 345.

Après ce voyage et jusque vers le milieu de 1287, R. Lulle parcourt l’Europe. En 1282, il est à Perpignan où il compose un poème, Lo peccat de n’Adam. De là, il passe à Montpellier où il assiste en 1283 au chapitre général des frères prêcheurs et entreprend la rédaction de son roman, le Blanquerna, c. xc, Obres, t. ix, p. 352. En 1285, il se trouve à Bologne et l’année suivante à Paris, semble-t-il, lors de la célébration des chapitres généraux dominicains. Dans son poème, le Deseornort, Lulle assure en effet « qu’il a été avec les prêcheurs à trois chapitres généraux et avec les mineurs à trois autres chapitres ». R. d’Alôs, Poésies, p. 81, 160. En 1287, il est à Miramar, mais ce ne fut pas pour longtemps. La même année, R. Lulle partit pour Rome où il arriva peu après la mort d’Honorius IV (3 avril 1287), et non pas de Martin IV, comme l’assurent

Pasqual, Rossello et Avinyo. Keicher, op. cit., p. 24. Son intention était d’exciter le pape à fonder des séminaires de langues étrangères à l’instar de Miramar. Honorius IV aurait peut-être exaucé sa demande, puisque, le 23 janvier 1286, il avait enjoint au chancelier de l’Université de Paris de pourvoir au soutien de ceux qui y étudiaient l’arabe et les autres langues orientales. C. Jourdain, Un collège oriental à Paris au xuie siècle, dans Excursions historiques et philosophiques à travers le Moyen Age, Paris, 1888, p. 219229, Denifle-Chatelain, C/iarI. Univ. Pans., Paris, 1889. 1. 1, p. 638. Ce décret motiva peut être le voyage de Lulle. Arrivé malheureusement à Rome après la mort du pape, le Majorquain ne put rien obtenir et prit la route de Paris. La Vida, p. 352, nous apprend que pendant son séjour dans la capitale, il lut son grand Art de par la permission de Bertaut de Saint-Denys, chancelier de.l’Université ; or ce dernier n’exerça point cette fonction avant le mois de décembre 1288, comme Denifle l’a établi d’après le bullaire de Nicolas IV. Chart., t. ii, p. 23. Lulle ne séjourna pas longtemps à Paris ; son enseignement trouva peu d’échos et il repartit pour Montpellier, Vida. p. 352. Avant son départ et non pas entre 1298 et 1300, comme le croient’Martène, Denifle, Golubovich, R. Lulle adressa au roi de France Philippe le Bel et à l’Université de Paris deux lettres demandant l’érection à Paris d’un collège de langues grecque, arabe et tartare. Martène, Thés. nov. anecdot., Paris. 1717, t. i, p. 1315-1317. Dans une autre lettre, il priait un ami qu’il ne nomme pas, mais qui parait bien être un ministre général d’Ordre, d’intervenir auprès du roi dans le même sens. Martène, op. cit.. p. 1317. Ce qui date sûrement ces documents, comme l’a observé M. Riber, c’est que le Félix de les Manivelles, t. ii, p. 210, écrit à cette époque, raconte en termes non voilés la démarche de Lulle : « Mon fils, dit l’ermite, un homme, qui avait travaillé longtemps pour le bien de l’Église romaine, vint à Paris et demanda au roi de France et à l’Université de Paris de fonder des monastères où s’enseigneraient les langues des infidèles et d’y faire traduire en ces idiomes l’Art démonstratif… Toutes cas choses et plusieurs autres le dit homme les demande au roi et à l’Université de Paris ; il voulut aussi que tout fût soumis à l’approbation et à la confirmation du pape et qu’ainsi l’œuvre lût stable et permanente. » Ces pétitions n’eurent aucun résultat. De retour à Montpellier, Lulle composa l’Art de trouver la vérité, où il simplifiait son système et réduisait à 4 les 16 figures de son grand Art, Vida, p. 352 ; son demi-échec à Paris lui inspirait cette condescendance « à la fragilité humaine ». A la même époque, il rédigea son délicieux Libre de Santa Maria et plusieurs autres écrits. Après ces travaux, Lulle partit pour l’Italie. Le 26 oct. 1290. Raymond Gaufredi, ministre général de l’Ordre franciscain lui donnait une lettre de recommandation, enjoignant aux supérieurs des provinces de Rome et d’Apulie de le recevoir avec bonté. A Rubiô, Documents, t. i, p. 9. Il ordonnait même de mettre un couvent à la disposition de Lulle si des religieux voulaient étudier son Art. Au cours de son voyage, Lulle s’arrêta à Gènes où il traduisit en arabe l’Art de trouver la vérité qu’il avait composé à Montpellier, puis il se rendit à la cour de Nicolas IV. Selon la tradition, Golubovich, op. cit., p. 367, il présenta au pape le Livre du passage que l’on connaît par le Deseornort, R. d’Alos, Poésies, p. 86, 161, et où il exposait ses plans de croisade. De nouveau, il sollicita l’érection de collèges orientaux, mais il n’obtint rien et retourna alors à Gènes (1292). Vida, p. 352.