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1045 LUCIFÉRIENS. LES LUCIFERIENS AUX Xie ET XII* SIÈCLES 1046

un souffle de vie. Père de Caïn et de sa lignée, il est aussi inspirateur de Moïse ; c’est lui avec ses suppôts qui habite les temples, y compris celui de Jérusalem et les églises chrétiennes. Le Christ lui-même aurait prescrit, dans l’Évangile, de lui rendre hommage, pour éviter sa colère, car sa puissance reste grande, et le Christ ne saurait lui résister. » Voir les textes dans Panoplia dogmatica, tit. xxvii, n. G, 7, 8, 10, 11, 20, P. G., t. cxxx, col. 1293-1316.

Il y a dans cet exposé dogmatique tout le principe des enseignements et des rites que nous verrons attribuer aux lucifériens occidentaux. Au point de départ une doctrine dualiste qui concilie tellement quellement les principes du manichéisme et les enseignements de la théologie catholique. Le démon est en somme un dieu tombé, mais ayant gardé une grande partie de sa puissance première. Puissant, il est donc redoutable, et il importe de se concilier ses faveurs. — C’est ce qu’exprime tout à fait en raccourci Nicétas Acominatos (fin du xiie siècle), dans son Thésaurus : Sataniani, quia Satanam jortem existimantes eum nenerabantur ne mala in eis, ut dicebant, operaretur.

II. Doctrines et pratiques lucifériennes en Occident au xie siècle. — Au moment où Euthymius les cataloguait dans sa Panoplia, les bogomiles étaient déjà de vieux hérétiques, qui s’étaient infiltrés des régions slaves vers l’Occident. De la Dalmatie, les sectes néo-manichéennes, plus ou moins apparentées et désignées par des noms divers, avaient gagné l’Italie du Nord, puis le midi de la France. En 1022, le péril se révèle à Orléans. Or on notera que parmi les accusations portées contre les chanoines de Sainte-Croix suspects d’hérésie, et qui finalement furent brûlés, figure l’adoration du diable : « Decepti a quodam rustico qui se dicebat facere virtutes et pulverem ex mortuis pueris secum ferebal, de quo si quem posset communicare mox manichœum faciebat, adorabant diabolum qui primo eis in JElhiopis deinde angeli lucis figuratione apparebat et eis multum cotidie argentum tleferebat. Ils en étaient dès lors venus à rejeter complètement le Christ et à commettre en secret des abominations innommables. « Chronique d’Adhémar de Chabannes, P. L., t. cxi.r, col. 71, 72 ; cf. Raoul Glaber, Hittoriar., t. III, c. viii, P. L., t. cxi.ii, col. 659 sq.

l’n chroniqueur anonyme détaille complaisamment toutes les diableries qui se passaient, disait-on, dans les assemblées des sectaires. Il est bon de les donner en détail, une fois pour toutes, car ces racontars se répéteront Indéfiniment par la suite : « Ils se rassemblaient, écrit-il, certaines nuits dans une maison désignée, tenant chacun une lumière à la main, et sous forme de litanie chantaient les noms du démon, jusqu’à ce que, tout à coup, ils voyaient soudain le diable descendre parmi eux sous forme’l’une bête (ctijuslibet bestiolse, plus tard on précisera : un crapaud, ou un chat). Aussitôt on éteignait toutes les lumières et on se livrait à une débauche sans nom (quamprimum quisque poterat mulierem quæ ad manu m sibi veniebal ad abulendum arripiebal, sine peccati respectu et utrum mater aul soror aut monacha haberetur, pro sanctitate et religiorle ejus concubitus nh Mis sestlmabatur, plus tard m ajoutera des unions contre nature). I.’enfant né de ommerce impur était apporté le huitième Jour après sa naissance, on allumait un grand feu et on l’y faisait passer à la manière des anciens païens. Les cendres du pauvre petit étaient recueillies et gardées avec la même vénération que les chrétiens gardent le corps du Christ. Elles contenaient, en effet, une vertu

diabolique si forte que quiconque en avait gOÛté, ne fût-ce qu’une minime [tarin-, ne pouvait plus sortir de l’hérésii et rentrer dans la voie iv ], , vérité Gtsta synodi Aurelianensis, dans D’Achery, Splcilt gium veterum aliquot teriptorum, Paris, 1723, t. i,

p. 605, reproduit dans Mansi, Concil., t. xix, col. 378.

Guibert de Nogent, sans mentionner l’invocation du diable, signale de semblables pratiques, obscènes et cruelles, chez des hérétiques du Soissonnais sensiblement contemporains. De vita sua, t. III, c. viii, P. L., t. clvt, col. 951. — On notera que le synode rassemblé à Orléans n’a pas retenu d’une manière explicite ces griefs, où la fantaisie populaire doit avoir une très large part. Ce qu’il faut retenir, c’est au moins ceci que, dès son apparition en Occident, le luciférianisme, se trouve mêlé au catharisme des néo-manichéens, et l’adoration du diable apparaît, dès l’abord, comme l’une des caractéristiques de l’hérésie.

C’est ce qu’exprime nettement Raoul l’Ardent, dans un sermon pour le VIIIe dimanche après la Trinité, de date incertaine, mais antérieur, semble-t-il, à la fin du xie siècle. Signalant comme étant de faux prophètes « les hérétiques manichéens qui ont contaminé l’Agenais, il marque parmi leurs habitudes le refus du serment, la condamnation des aliments carnés, du mariage, le rejet de l’Ancien Testament et d’une partie du Nouveau, puis il ajoute : Et quod gravius est, duos prsedicanl rerum auctores, Deum invisibilium, diabolum visibilium auctorem credentes, unde et occulte adorant diabolum, quem sui corporis credunt auctorem. » P. L., t. clv, col. 2011.

Nous ne chercherons pas ici à savoir jusqu’à quel point est exacte l’accusation portée contre la secte néo-manichéenne que l’on va bientôt qualifier d’albigeoise. Il se peut que le culte explicite rendu au diable n’ait pas été commun à tous les sectaires qui pullulent en cette fin du xie siècle dans tout le midi de la France. Mais on sait combien l’opinion publique, quand il s’agit surtout de gens qui se cachent, est prompte à généraliser et même à inventer. Les accusations portées contre les cathares du xie siècle ressemblent, à s’y méprendre, à celles qui circulaient au iie siècle dans tout l’Empire romain sur le compte des chrétiens (promiscuité sexuelle, meurtre rituel, adoration d’une divinité obscène ou grotesque).

III. L’opinion publique et le luciférianisme au xiie siècle. — A force de se répéter, les imputations de satanisme dirigées contre les néo-manichéens finirent par être considérées, au moins dans les milieux populaires ou demi-savants, comme absolument véridiques.

Dans son Chronicon Anglicanum, Raoul de Coggeshall, après avoir raconté comment fut découvert à Reims, du temps de Louis "VII, un nid d’hérétiques qu’il appelle des publicains (publicani), et narré la façon dont une vieille sorcière qui était le docteur de la secte s’échappa par la voie des airs, ajoute quelques renseignements sur la secte. Les doctrines générales sont celles des cathares, sur quoi il n’est pas nécessaire d’insister. On remarquera seulement le trait final : A iunt alii qui de secretis eorum investigaverunt (ce sont les dires des gens bien informés), quod isli non credunt Dominum rcs huma nus curare… sed aposlatam angelum quem et Luzabel nominant untventt creaturæ corporali prœsidere et ad nutum ejus cunctu terrena disponi. Corpus a diabolo formari, animam vero a Deo creari et corporibus infundi, unde fil ut semper qturdam périmai pugna inter corpus et animam geratur. Dtcuni etiam imiiniilli quod in subterrancis suis queedam nefanda sacrificia Lurifero suo temporibus agani constituas, et quaadam sacrtlegcu turpitudtne » ibidem operantur. An. 1200, dans Bouquet, Recueil des historiens <irs Gaules, t. xviii, p. 93.

Dans son fameux Commentaire sur l’Apocalgpse,

Joachim de Flore, appliquant aux hérétiques de sou

temps qu’il appelle pularins ce qui csf dit de l’ouverlu puits île l’abîme, poc, ix. 1-12, donne sommairement les caractéristiques de leur doctrine, ni