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LUCIFER DE CAGLIARI. LE SCHISME LUCIFERIEN


ouvrages précédents, et se situerait après juin 359. Moriendum serait le dernier et aurait été composé après le triomphe de l’homéisme, soit en 360-361.

Il nous semble qu’il y aurait quelque intérêt à revenir à l’ordre proposé par le ms. lui-même, surtout si l’on admet avec L. Saltet que son archétype remonte à la 2e moitié du ive siècle. La progression ascendante que l’on remarque dans les souhaits ou les menaces qui terminent régulièrement chaque livre ne serait-elle pas un indice de l’exagération croissante du pamphlétaire ?

3 8 Caractères généraux. — Le nom de « pamphlet » est celui qui convient le mieux aux ouvrages de Lucifer. Mais ce sont des pamphlets qui s’adressent, non point au grand public, mais à l’intéressé lui-même. Il n’est pas impossible qu’au début Lucifer n’ait songé sérieusement à convertir Constance. S’il le malmène, c’est pour l’inviter à un retour sur lui-même, et il se fait difficilement à l’idée qu’un chrétien, pénétré de la valeur hors de conteste des enseignements scripturaires, pourra demeurer insensible aux terribles leçons qui sont proposées à ses réflexions. Mais peu à peu cette première confiance disparaît, et les derniers traités se ferment sur de véritables cris de rage à l’endroit du souverain persécuteur.

De tous ces pamphlets, la contexture est la même. In thème bien choisi, un titre qui sonne comme un cri de guerre : « Pas d’accord avec les hérétiques ! » « Pas fie pardon pour les ennemis de Dieu ! » « Mourons pour le Fils de Dieu ! » Mais hélas ! c’est tout. Une fois le leitmotiv énoncé, et cela se fait généralement dans les trois premières lignes, le reste de l’ouvrage n’est plus qu’un entassement de textes scripturaires, dont le rapport avec l’idée maîtresse n’est pas toujours évident et qui se suivent avec une fastidieuse monotonie. On a parlé, non sans quelque justesse, de « variations sur le thème ». Malheureusement, celui qui exécute ces variations n’est qu’un pauvre débutant 1 La composition est sans art, le style sans grâce. Et non pas seulement, comme le croit Lucifer, parce que son parler est la langue populaire. L’on voit des écrivains tirer de la langue drue et savoureuse du peuple les plus remarquables effets ; mais c’est qu’ils ont des idées et Lucifer n’a ^uère que des ébauches et des intentions d’idées, qui n’arrivent jamais à s’exprimer pleinement.

Même au point de vue strictement théologique, il est d’une lamentable pauvreté, à tel point que son dernier biographe a pu se demander, non sans quelque apparence de raison, si Lucifer avait saisi l’exacte portée des controverses auxquelles il s’est mêlé, la lignification même des termes dont chaque partie se faisait alors un cri de ralliement. Il est, lui, pour le nicénlsme le plus strict, dont il rappelle la formule. De non parcendo, Hartel, p. 246. Il affirme sans se lasser l’una détins l’atris ac Filii. Mais quel sens exact met-il sous cette expression ? Tous les adversaires du Symbole dp Xicée, à quelque nuance de l’opposition qu’ils appartiennent, il les considère comme voulant ravaler le Fils au rang des créatures, sans se préoccuper des différences fondamentales qui séparent anoméens, homéens et homœousiens. Quiconque a rejeté le symbole de Nicée, quiconque a souscrit quelqu’une de. Formules de substitution écloses entre 340 et 360 est un hérétique déclaré. Il est facile de comprendre comment cette ignorance sera, au lendemain du concile de 362, le principe de l’intransigeance schismatique de Lucifer.

Dr il se trouve que cet intégriste, voulant exprimer la divinité du Fils, emploiera justement, et sans y voir malice, le terme qui est le mol de ralliement des homœousiens. Expliquai » dans le Dr A.lh., 1, 33, 1 lartel, p. 12. r), P. /, .. t. iii, col. 864, 1’amant isseiiwut du I-ils de Dieu, dont parle saint Paul, i’hil., w, 6, il

écrit : Sed utique intelligimus quid sit semetipsum exinanivit, hoc est, cum sit similis atque œqualis Patri Filius, tamen quod et hominem se propler nostram salutem fieri voluerit. — Similis atque œqualis est bien en somme l’équivalent de l’ôfioioç xaTàroxvTa deBasile d’Ancyre, autant dire de Vhomoiousios ; il va de soi, d’ailleurs, que le terme n’exclut en rien, dans la pensée de l’auteur, l’homoousios nicéen. Aussi Lucifer fut-il assez étonné quand il vit dans le De synodis de saint Hilaire, que ce dernier distinguait une pia intelligentia du terme similis substantiæ, par opposition sans doute à un sens qui devait être impie, et qu’il n’acceptait qu’à contre-cœur le terme homœousios. Voir De synod., n. 77 et 87, P. L., t. x, col. 530 et 539. Peut-être Lucifer pensa-t-il que l’évêque de Poitiers avait voulu le critiquer. Il s’ouvrit à lui dans une lettre que nous n’avons plus, mais aux objections de laquelle Hilaire dut répondre dans les notes qu’il ajouta à son De synodis. Voir Apologetica ad repreliensores, n. m et vi, ibid., col. 545 et 547. Hilaire fait observer à Lucifer, avec beaucoup de bonne grâce, qu’il n’attaque point la formule similis atque œqualis dans le sens où l’a énoncée son correspondant, mais il lui fait remarquer ce que l’expression, en d’autres bouches, pouvait avoir de dangereux. Lucifer ne l’aurait-il donc pas remarqué, pas plus qu’il n’a remarqué le sens ambigu que pouvait avoir, sur certaines lèvres, l’expression catholique homoousios ? — Les Coleti ont relevé, avec soin, les quelques passages où Lucifer a revendiqué la pleine divinité du Saint-Esprit, préludant ainsiàlacampagne qu’allait mener Athanase contre ceux que l’on est convenu d’appeler les macédoniens. Voir P. L., t. xiii, col. 718, 719.

Les biblistes, et en tête dom Sabbatier, ont beaucoup pardonné à Lucifer, à cause des incontestables services qu’il rend pour la restitution de la vieille version latine de la Bible. Citant sans désemparer la sainte Écriture, l’évêque de Cagliari permet de réunir une riche moisson de références, qu’il y a intérêt à rapprocher des autres textes préhiéronymiens. Le fait encore qu’il a, pour corser ses démonstrations, parcouru l’Écriture dans tous les sens, autorise à l’interroger sur le canon biblique qu’il acceptait. Les résultats de cette enquête ne présentent rien d’extraordinaire si ce n’est que Lucifer, à l’inverse des occidentaux ses contemporains, admet dans son canon VÉpltre aux Hébreux et n’y fait pas figurer l’Apocalypse. Cette manière de faire, tout à fait conforme aux habitudes orientales de l’époque, ne laisse pas néanmoins de surprendre chez un homme qui, très certainement, avait emporté avec lui en Orient un exemplaire de sa Bible latine.

Ainsi l’œuvre écrite de Lucifer, mérite de retenir à des points de vue divers l’attention des théologiens. Mais elle est précieuse surtout en ce qu’elle explique au mieux l’état d’esprit d’où va sortir ce que l’on est convenu d’appeler le schisme luciférien, dont il reste maintenant à parler.

III. Le schisme li i m rien.

Peu de temps après la mort de Lucifer, on entend parler d’une gecte qui porte son nom. Quelles preuves avons-nous de son existence’.' quelle idée peut-on se faire de ses doctrines particulières et de son aire de dispersion ?

Existence de la secte.

1. Dans son Altercatio

l.uciferiani et Orthodoxi, saint Jérôme fait discuter avec un catholique un interlocuteur qu’il qualifie de l.uciferi sectoloi. Ce dernier n’hésite pas a qualifier l’Église d’un nom fort injurieux : le catholique relève l’expression et la discussion B’engage> Voir P. L

t. xxiii, col. 155 sq. On n’est fixé, malheureusement,

ni sur le lieu, ni sur la date de composition de ce ili.i

logue. s’il a eie composé à Antioche en 379, ou a Home

en’.', X2, les conclusions seront très différentes que l’on

peut eu tirer sur l’existence de la secte luciférienne.