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985 LUC (SAINT). CARACTÉRISTIQUES DU TROISIÈME ÉVANGILE 986

apologétique, ne se joint pas, semble-t-il, dans l’œuvre de saint Luc, d’intention polémique. Son évangile n’est pas dirigé contre les Juifs, ni contre les judaïsants : l’antijudaïsme y est beaucoup moins marqué que dans l’évangile de saint Matthieu. Il n’est point du tout, non plus, comme l’avaient soutenu les premiers critiques de l’École de Tubingue, une apologie de l’évangile paulinien contre les Douze : on remarque plutôt aujourd’hui le jour favorable sous lequel il présente les premiers apôtres, passant sous silence certains faits ou certaines paroles moins à leur honneur, que saint Marc n’a pas craint de rapporter.

Quant à l’intention que A. Loisy attribue, non à saint Luc, mais au rédacteur, qui aurait remanié son œuvre, de concilier au christianisme la faveur des autorités romaines, elle n’apparaît pas de façon très marquée dans le troisième évangile. Tout au plus peut-on y signaler une tendance plus accentuée que dans les autres évangiles à rejeter sur les Juifs, plutôt que sur Pilate, la responsabilité principale de la mort de Jésus, cf. xxiii, 26, où l’on pourrait croire à première vue que ce sont des Juifs, non des Romains, qui mènent Jésus au supplice, mais, en fait, saint Luc nomme plus loin les soldats romains et le centurion, et c’est moins sans doute à l’intention des autorités romaines qu’en vue de lecteurs appartenant au milieu gréco-romain, et dans un but d’apologie, que saint Luc a mis plus en lumière la triple déclaration faite par le gouverneur romain de l’innocence de Jésus.

3. Idée centrale.

Le troisième évangile, aussi bien que les deux autres synoptiques, se présente comme une histoire, une biographie de Jésus, non comme une thèse.

Il est facile de se rendre compte cependant qu’il est dominé par une idée centrale, et que tout, faits et discours, y est disposé de façon à présenter Jésus comme le Sauveur de l’humanité. L’Évangile, dans saint Luc, plus encore que dans saint Matthieu et saint Marc, c’est la bonne nouvelle du salut. L’enseignement du Christ, c’est la prédication du salut, offert à tous, mais plus spécialement aux pécheurs : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Luc, xix, 10. Ce salut a été mérité par la mort du Christ, qui en était la condition nécessaire, selon les Écritures, Luc, xxiv, 26, 45-18, et la résurrection du Sauveur est le gage de l’efficacité de sa mort rédemptrice : le salut, le pardon des péchés, proposé à tous par la prédication apostolique, sera acquis à ceux qui s’y prépareront par la pénitence. La même idée dominera d’ailleurs le livre des Actes, qui, suite du troisième évangile, n’est au fond que l’histoire de la marche progressive et victorieuse du message du salut, de Jérusalem par la Judée et la Samaric jusqu’aux extrémités du monde, selon le programme même trace par le Christ ressuscité. Luc, xxiv, 18, 49.

2° Plan et méthode historique de saint Luc. — Le plan général du troisième évangile était déterminé par les faits eux mêmes dont il devait donner le récit, et par la façon dont ils étaient groupés déjà dans la catéchèse orale, qui est à la base de l’œuvre de saint Luc, aussi bien que des deux autres synoptiques.

Cette catéchise, qui débutait par le récit du baptême du Sauveur, divisait la matière évangélique en quatre parties : la prédication en Galilée, le voyage à Jérusalem, la prédication hiérosolymitaine, la Passion et la rrection. Cf. Levôquc, Nos quatre évangiles, Paris, 1919. Saint Luc, en historien qui veut reprendre les choses des l’origine, ajoute, en manière d’introduction, où l’on voit se lever l’aurore du salut, les récits de l’enfance iii, puis, avant pris soin de dater, par des références précises à l’histoire générale, l’instant solennel qui marque le début de la prédication de ingile, iii, 1, 2, il suit dans l’ensemble la marche

adoptée par ses devanciers, en particulier par saint Marc. Mais, ce qui lui est particulier, c’est le développement qu’il donne à la troisième section du cadre traditionnel. Tandis que, dans le premier et le second évangiles, la marche vers Jérusalem est racontée très rapidement, elle comprend dans le troisième évangile les c. ix, 51-xix, 28. Saint Luc a réuni dans cette section, avec des récits et des discours qui ont leurs parallèles dans des parties différentes des deux autres synoptiques, le plus grand nombre des récits et paraboles qu’il a en propre. Il faut noter aussi que, dans les récits relatifs à la résurrection, il ne rapporte que les événements qui ont pour théâtre Jérusalem et ses environs immédiats, et ne fait nulle mention des apparitions qui eurent lieu en Galilée.

Les particularités de ce plan général, comme celles que présente l’arrangement des éléments du récit dans le cadre d’ensemble, s’expliquent par la méthode historique de saint Luc. S’il s’est spécialement préoccupé de la bonne ordonnance du récit, selon qu’il est dit dans le prologue de l’évangile, ce n’est point qu’il ait entendu suivre toujours et rigoureusement l’ordre chronologique, ni qu’il se soit proposé de dire tout ce qu’il savait. S’il répartit en divers points de son évangile des récits et des paroles qui sont groupés dans l’évangile de saint Matthieu, c’est parfois sans doute pour les remettre à leur place chronologique, mais souvent aussi pour de tout autres motifs, et l’on voit, par le vague des indications chronologiques et géographiques qui introduisent beaucoup de faits et de discours rapportés par saint Luc, cf. ix, 57 ; xi, 1, 37 ; xii, 54 ; xiv, 25, etc., qu’il se souciait assez peu, dans le détail de la narration, des précisions de temps et de lieu.

Il semble bien que, dans le choix et la disposition des matériaux de son récit, il ait été guidé surtout par sa conception particulière de l’Évangile, par l’idée du salut et de son développement géographique. Jérusalem, où, par la mort du Christ, s’est consommée la rédemption, est au centre de l’œuvre de saint Luc. « L’Évangile lui est apparu comme un phénomène qui s’est d’abord montré en Galilée, et s’est dirigé ensuite à travers la Samarie vers Jérusalem où il brilla dans toute sa splendeur. » V. Rose, Évangile selon S. Lac, Paris, 1904, p. xiii. Dans les Actes, on trouvera le mouvement contraire, Jérusalem y étant le point de départ de la prédication apostolique : « Saint Luc y montre comment le christianisme, le message du salut, parti de Jérusalem, s’est répandu dans la Samarie et la Judée, puis dans tout l’empire romain, les Apôtres ayant exécuté à la lettre le programme que leur maître leur avait tracé. » V. Rose, loc. cit., p. xiv.

C’est ce point de vue spécial où s’est placé saint Luc pour envisager l’histoire de Jésus, qui explique le mieux, semble-t-il, les omissions, les raccourcis de sa narration, et certains effets de perspective qui paraissent d’abord un peu déconcertants, par exemple, l’exclusion des apparitions du Christ ressuscité en Galilée, et la concentration apparente en une journée des événements qui ont rempli l’intervalle entre la Résurrection et l’Ascension.

En même temps que de la progression géographique de l’Évangile, saint Luc semble s’être préoccupé plus que saint Matthieu et saint Marc du développement psychologique : il note avec plus de précision l’opposition et la haine croissant peu à peu chez les chefs du peuple, tandis que progressent d’autre part dans les masses l’enthousiasme et la foi à l’Évangile. On a remarqué, à propos des Actes des Apôtres, que cette marche en avant de l’Évangile y a quelque chose d’irrésistible, Haruack dit même, non sans quelque il ion, de triomphal : dans le troisième évangile, c’est la même progression régulière, quoique moins