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983 LUC (SAINT).. CARACTÉRISTIQUES DU TROISIÈME ÉVANGILE 984

3° L’institution de l’Eucharistie, Luc, XXII, 19 b, 20.

— Le texte ordinaire se présente dans la forme sui-Tante :

15. Et il leur dit : J’ai grandement désiré de manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. 16. Car je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. 17. Et, ayant pris une coupe et rendu grâces, il dit : Prenez cela et partagez entre vous. Car je vous dis que désormais je ne boirai plus du Iruit de la vigne, jusqu’au moment où le règne de Dieu sera venu. 19. Et, ayant pris du pain et rendu grâces, il le rompit et le leur donna, disant : Ceci est mon corps, donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. 20. Et la coupe, de la même manière après le repas, disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang, répandu pour vous. » XXIꝟ. 15-20.

La mention de deux coupes, alors que dans les deux autres synoptiques il n’y en a qu’une, est sans doute la cause des divergences avec lesquelles ce’passage se présente dans la tradition manuscrite. Un certain nombre de mss. latins, ainsi que le codex D, ont supprimé les versets 19 b et 20. Les versions syriaques : Syr. curetonienne, Syr. sinaïtique, Peschitto présentent aussi des textes différents, avec suppressions et transpositions. Westcott-Hort estime que 19 b, 20 ne faisaient pas partie du texte original, mais surtout pour des raisons exégétiques, qui ne découlent pas des principes de la critique textuelle. Il n’y a pas lieu d’insister ici sur ce problème qui a été traité avec toute l’ampleur désirable dans l’article Eucharistie dans la Ste Écriture, t. v, col. 10631077.

L’attribution du Magnificat.

Le texte actuellement

reçu du troisième évangile place le Magnificat dans la bouche de la Vierge Marie. Le cantique est introduit, Luc, i, 46, par les mots : « Et Marie dit ». Cette leçon est attestée par tous les mss. grecs et toutes les versions, sauf trois mss. latins de la Vulgate antéhiéronymienne qui ont : « Et Elisabeth dit » ; elle est donc critiquement certaine. Cependant le fait que le Magnificat est attribué à Elisabeth par saint Nicétas, évêque de Rémésiana en Dacie, vers 400, qu’il devait l’être aussi dans certains mss grecs auxquels Origène fait allusion, bien que lui-même se prononce pour la leçon ordinaire, ont été allégués par A. Loisy d’abord, Rev. d’hist. et litt. relig., 1897, p. 424 sq., et Évangiles synoptiques, t. i, p. 302-306, puis par A. Harnack, Sitzungsberichle der kôn. preussisch. Akademie der Wiss. zu Berlin, 1900, et d’autres critiques, pour contester l’attribution du cantique à Marie_dans le texte original de saint Luc.

D’après ces critiques, la leçon primitive aurait été probablement : n Et elle dit », sans indication du sujet du verbe. La diversité des leçons viendrait de ce que l’on a suppléé dans certains manuscrits le nom d’Elisabeth, dans d’autres celui de Marie, le succès de cette dernière leçon s’expliquerait par la dévotion croissante à la "Vierge. Ces mêmes critiques font valoir de plus que, si le Magnificat avait été placé par l’évangéliste dans la bouche de Marie, il devrait y avoir au ꝟ. 56 : « Elle resta avec Elisabeth environ trois mois », tandis qu’il y a : « Marie resta avec elle… » ; ils s’appuient surtout sur la ressemblance indéniable du Magnificat avec le cantique d’Anne, femme de Samuel, dont la situation rappelle celle d’Elisabeth plutôt que celle de Marie. A cet argument de convenance il est facile de répondre par des arguments de convenance au moins aussi forts en faveur de l’attribution à Marie. Il serait contraire à toute vraisemblance littéraire qu’Elisabeth, après avoir glorifié Marie sous l’inspiration de l’Esprit-Saint « se mette ensuite au premier plan de la scène et s’absorbe dans l’œuvre que Dieu a faite en elle, comme si c’était l’œuvre par excellence et le salut promis », Lagrangc, op. cit., p. 45 ; ce n’est plus Elisa beth et l’enfant qu’elle a miraculeusement conçu qui doivent être le centre du tableau, mais Marie, la mère du Messie, dont le silence dès lors ne serait guère explicable. Sur toute cette question, cf. Rev. biblique, 1897, p. 282-288 ; 1898, p. 74-77 ; 1901, p. 631 ; Lepin, Le Magnificat doit-il être attribué à Marie ou à Elisabeth ? dans L’Université catholique, 1902 ; Ladeuze, De l’origine du Magnificat, dans Revue d’hist. eccl., 1903, p. 623-644.

II. Caractéristiques doctrinales du troisième évangile. — I. Préliminaires. — II. Christologie. — III. Sotériologie.

I. préliminaires.

1° But et idée centrale du troisième évangile. — 1. Destinataires de l’évangile. — Il n’est pas douteux que saint Luc ait écrit pour des chrétiens convertis du paganisme et non pour des Juifs d’origine. Cela ressort, entre autres preuves, .de l’insistance avec laquelle il montre le salut accessible à toutes les nations, de l’omission dans le troisième évangile de ce qui était spécifiquement palestinien ou juif, comme aussi de certains traits ou de certaines paroles de Jésus qui auraient pu étonner des chrétiens venus de la gentilité. Luc omet, par exemple.ladefen.se aux apôtres d’aller dans les chemins des nations, Matth., x, 5 ; la parole à la Chananéenne : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël >, Matth., xv, 24 ; l’opinion sur Jésus de ses parents, Marc, iii, 21, et des gens de Nazareth, Marc, vi, 3, etc. Il prend soin ordinairement de substituer aux mots hébreux leur équivalent grec, par exemple SiSicxaXe ou èuioTaTa au lieu de pa66eî, Le nombre est relativement petit des citations de l’Ancien Testament, toutes empruntées aux Septante, une importance moindre est attribuée à la réalisation dans la vie de Jésus des prophéties de l’Ancien Testament.

L’ « excellent Théophile », auquel l’évangile, comme aussi les Actes des Apôtres, est dédié, et en qui il faut voir non une simple personnification du chrétien idéal, car l’épithète honorifique accolée à son nom ne conviendrait guère dans ce cas, mais un personnage réel, devait donc être un chrétien ou tout au moins un catéchumène (opinion de Zahn, qui pense que Théophile aurait été baptisé entre la rédaction de l’évangile et celle des Actes), converti du paganisme, occupant un rang social élevé. C’est peut-être à l’instigation de ce Théophile que saint Luc a entrepris la composition de son évangile, mais derrière lui il visait, bien entendu, d’autres lecteurs, venus également de la gentilité plutôt que Juifs d’origine.

2. But didactique de l’évangile. — Saint Luc a précisé le but de son ouvrage dans le prologue de l’évangile, i, 1-4 : « Comme plusieurs ont entrepris de composer un récit des choses qui se sont accomplies parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui ont été, depuis le commencement, témoins oculaires et ministres de la parole, j’ai trouvé bon, moi aussi, m’étant informé soigneusement de tout depuis l’origine, de te l’écrire avec ordre, excellent Théophile, afin que tu saches bien la solidité de l’enseignement que tu as reçu. »

Il ressort de ce texte que saint Luc a voulu faire véritablement œuvre d’historien, en composant un récit de la vie de Jésus plus complet et mieux ordonné que ceux qui avaient été rédigés jusqu’alors, récit autorisé parce qu’appuyé sur des informations puisées à bonne source, et par là même capable de fortifier la foi de Théophile et des autres lecteurs. Car l’évangéliste n’a pas des préoccupations purement littéraires et artistiques, son but principal est l’enseignement et l’édification : il vise à compléter et à fortifier la catéchèse courante et son évangile ne sera lui-même qu’une catéchèse plus développée et mieux ordonnée.

A cette intention didactique et, en un sens très vrai,