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LUC (SAINT). LE TROISIÈME ÉVANGILE ET LA CRITIQUE 976

conclusions des critiques concernant la composition et le caractère du troisième évangile sont fondées, d’une part, sur les résultats de la critique interne du texte même de l’évangile : comparaison avec les autres évangiles, recherche des sources, détermination des caracréristiques doctrinales ; d’autre part, puisque le troisième évangile et les Actes des Apôtres ont certainement le même auteur, sur les résultats de la critique historique appliquée à ce dernier livre.

La critique interne et le troisième évangile.

La

majorité des critiques qui ont étudié les rapports des trois synoptiques adoptent dans ses grands lignes la théorie dite des deux sources : l’évangile de saint Matthieu et l’évangile de saint Luc auraient comme sources principales et communes l’évangile de saint Marc, ou une première forme de cet évangile, et un autre document composé principalement de paroles de Jésus (Logia ou source Q). On diffère sur l’origine des récits propres au troisième évangile. Pour les récits de l’enfance du Christ, contenus dans les deux premiers chapitres, les critiques non catholiques supposent, à peu près unanimement, qu’ils viennent d’une source spéciale, de caractère probablement judéo-chrétien, nettement légendaire, et à laquelle aurait été étrangère originairement l’idée de la conception surnaturelle de Jésus. Pour les autres parties du troisième évangile qui n’ont pas de parallèles dans les deux autres synoptiques, beaucoup de critiques supposent aussi une source spéciale, à laquelle ils attribuent également un caractère judéo-chrétien, tandis que certains cherchent de préférence dans la tradition orale l’origine de ces récits.

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, trop souvent inspirées et dominées par une conception toute mécanique de l’activité littéraire de l’évangéliste, qui semblerait, à entendre certains critiques, n’avoir eu d’autre rôle que de souder le mieux possible les morceaux qu’il empruntait presque servilement à diverses sources, elles n’influent qu’indirectement sur la détermination de l’auteur et de la date de l’évangile. Elles impliquent seulement — et cela est d’ailleurs conforme à la tradition — que le troisième évangile est postérieur au second, et, comme la plupart des critiques assignent à l’évangile de saint Marc une date postérieure à 70, ils doivent reporter plus tard encore la composition de l’évangile de saint Luc.

Une date relativement tardive s’imposerait d’ailleurs, au dire de beaucoup de critiques, en raison de certains traits du troisième évangile. « Le troisième évangile suppose accomplie depuis quelque temps la ruine de Jérusalem ; il laisse deviner la préoccupation d’expliquer comment la parousie tarde encore ; du prologue il résulte que la génération apostolique appartient déjà au passé, sans que l’on puisse dire si ce passé est encore tout proche ou déjà lointain, la façon dont le rédacteur s’exprime portant plutôt à admettre un certain recul. « Loisy, Évangiles synoptiques, t. 1, p. 172, 173.

De plus, s’il était prouvé, " comme le supposent certains critiques (Keim, Holtzmann, Krenkel, Burkitt, dont l’opinion d’ailleurs est rejetée, pour ne citer que ceux-là, par Schùrer, Harnack, Zahn, Wellhausen), que le troisième évangéliste avait lu Josèphe, il n’aurait pu écrire avant 95. — En ce qui concerne l’attribution à saint Luc du troisième évangile, beaucoup de critiques font ressortir enfin que cet évangile n’est pas paulinien, comme on devrait s’y attendre, s’il était l’œuvre d’un disciple de saint Paul. Il est moins paulinien que Marc, dit-on, et pas plus que Matthieu. « Il reflète l’esprit d’un christianisme déjà organisé, où l’impression des discussions et des tiraillements de l’âge apostolique s’était fort atténuée, et où, la rupture avec le judaïsme étant définitivement consommée, les

divergences primitives s’étaient fondues pour constituer une doctrine et une société nouvelles, qui n’étaient plus ni la croyance juive, ni le judaïsme, mais quelque chose d’original, la foi au Christ et la religion de Jésus transplantées dans le monde païen, disons dans le genre humain. Loisy, op. cit., p. 173.

2° L’origine du troisième évangile d’après les conclusions de la critique sur la composition des Actes des Apôtres. — Ce sont surtout les positions adoptées par les critiques relativement aux Actes des Apôtres qui déterminent leurs conclusions au sujet du troisième évangile.

On sait que l’École de Tubingue avait vu dans 1rs Actes un écrit tendancieux, où l’histoire était délibérément arrangée dans un esprit de conciliation, en vue de masquer les dissensions qui, d’après Baur, auraient divisé en deux partis opposés (pétrinien et paulinien) l’Église chrétienne à ses débuts. L’auteur d’un tel livre ne pouvait être un disciple de saint Paul, et on devait même reculer la composition de son œuvre presque jusqu’au milieu dune siècle.

Cette date, imposée par le système historique de l’École de Tubingue et par l’idée que les écrits attribués à saint Luc dépendaient de Marcion, a été jugée beaucoup trop tardive par les critiques même les moins conservateurs, quand la théorie de Baur sur les origines chrétiennes eut été abandonnée ; c’est vers la fin du I er siècle, ou le commencement du iie, qu’on plaça la rédaction des Actes. Mais beaucoup de critiques continuèrent à en rejeter l’authenticité, en s’appuyant sur l’un des principaux arguments de Baur : l’idée que l’auteur des Actes donne du caractère de saint Paul, de son apostolat, de ses rapports avec les autres apôtres et de sa théologie est trop différente de ce que révèlent les épîtres pauliniennes, pour qu’on puisse attribuer ce livre à un disciple de l’Apôtre. Les recherches critiques se portèrent en même temps sur un autre problème, celui des sources des Actes. Elles aboutirent à des conclusions de détail très différentes, mais l’accord se fit presque unanimement sur un point : les Actes ne sont pas l’œuvre d’un disciple de saint Paul ; mais, comme le rédacteur de ce livre a utilisé, entre autres sources, une sorte de journal de voyage écrit par saint Luc, et qu’il a reproduit ce document en lui laissant la forme personnelle, on a attribué à saint Luc l’ensemble de l’ouvrage, et naturellement aussi le troisième évangile, dont l’auteur est le même que celui des Actes. Plusieurs critiques (Spitta, Jungst) ont même cru retrouver parmi les sources des Actes la suite de certains documents déjà utilisés dans le troisième évangile.

Une réaction en faveur des idées traditionnelles sur l’origine du troisième évangile et des Actes fut marquée par la publication des travaux de A. Harnack. Un premier mémoire, Lukas der Arzt, der Verfasser des dritten Evangeliums und der Apostelgeschichte, Leipzig, 1906, établissait d’abord, par une étude approfondie du vocabulaire et du style, que le journal de voyage, le reste des Actes et le troisième évangile ont un même auteur, puis montrait que les difficultés, d’ordre littéraire ou historique, soulevées par la critique contre l’attribution à un disciple de saint Paul des deux ouvrages dont saint Luc serait l’auteur d’après la tradition ecclésiastique, ne sont pas décisives, et que même certains indices tendent à faire reconnaître dans le rédacteur du troisième évangile et des Actes un médecin, tel qu’était saint Luc. Dans ses travaux ultérieurs : Die Apostelgeschichte, Leipzig, 1908, et Neuc V’ntersuchungen zur Apostelgeschichte und zur Abfassungszeit der synoptischen Evangelien, Leipzig, 1911, Harnack fortifiait par de nouveaux arguments sa thèse de l’unité des Actes, puis, accentuant encore le retour aux vues traditionnelles, il