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LOLLARDS. LES LOLLARDS EN ALLEMAGNE


encore dans H.-C. Lea, A history of the Inquisition, 1888, t. ii, p. 368. Elles dérivent, par Raynaldi, Annales, an. 1318, n. 44, de Henri de Sponde, Annal. Baron, conlinuatio (1e édition 1637), an. 1315, n. 5. On y lit ceci : « A cette époque, sévissait en Autriche et dans les régions voisines une hérésie dont l’auteur était un certain Lolhard Gautier, hérésie contenant de multiples blasphèmes sortis de l’enfer et que Trithème rapporte en détail à cette année même, en taisant le nom de leur auteur…. Que Lolhard ait vécu à ce moment, cela est tout à fait certain par le témoignage de Jean de Hocsem, un contemporain ; Trithème, Sanders et Génébrard confirment qu’il a été brûlé à Cologne en 1322, quoi qu’en pense du Préau qui fait de celui-ci la souche de Wiclef et dès lors le fait beaucoup plus jeune. »

Cette notice en a imposé à du Cange, qui écrit dans le Glossarium mediæ et infirme latiniiatis : Lollardi, lullardi, ita nuncupati hæretici quidam qui sub initium sœculi XIV in Germania exorti sunt, renvoie à Jean de Hocsem, an. 1309 (voir ci-dessous) et fait dire à Trithème que les lollards ont été ainsi appelés a G ualtero Lolhard Germano quodam. En d’autres termes, du Cange accroît la confusion créée par de Sponde et donne à l’étymologie de Lollard une fermeté qu’elle n’avait pas encore.

Chose remarquable, du Préau, Praleolus, que blâment successivement de Sponde et Raynaldi, s’était gardé de ces confusions : il écrit simplement au mot lollard : Ex Anglia et Vuiclephistarum secta originem duxerunt quanquam sui authoris errori per omnia non adhœserint… Emerserunt autem Caroli IV imp. germani et Innocenta VI papæ temporibus, circa annum Domini 1360. De vilis, seclis et dogmatibus omnium hæreticorum, Cologne, 1569, p. 253.

La notice du cardinal de Sponde repose en effet sur une lecture tout à fait hâtive des deux seules sources qu’il cite, Jean de Hocsem et Trithème. (Il va de soi que Sanders et Génébrard ne comptent pas.) Reportons-nous à ces deux textes.

Jean de Hocsem, écolâtre de Saint-Lambert de Liège, puis prévôt de l’église de Saint-Pierre dans la même ville (1278-1348), écrit à l’année 1309 : Eodem anno quidam hypocritæ girovagi, qui Lollardi sive Deum laudantes vocabantur, per Hannoniam et Brabantiam quasdam mulieres nobiles deceperunt. Sponde, et tous ceux qui l’ont suivi sans se reporter au texte, ont compris que ces hypocrites vagabonds répandaient des erreurs religieuses parmi les dames de la noblesse en Hainaut et en Brabant. Or la suite du texte ne dit pas du tout cela. Les vagabonds en question circulaient dans le pays sous un costume de pénitent et cherchaient à se faire passer pour de nobles chevaliers échappés à la bataille de Courtrai (1302) ; ils parvinrent ainsi à épouser des personnes qui, à la suite de ce désastre, étaient ou se croyaient veuves. L’un d’eux même réussit à se faire reconnaître par l’une de ces dames comme étant son mari légitime. Voir le texte dans Chapeaville, Gesta pontificum Tongrensium, Trajectens. et Leod., Liège, 1613, t. ii, p. 350. On voit qu’il s’agit non pas d’hérétiques, mais de chevaliers d’industrie ; on notera qu’ils portent un costume qui les fait reconnaître pour des lollards, le mot est un mot connu dans le pays, l’institution aussi, et l’étymologie du mot est donnée : lollardi sive Deum laudantes. Nous reviendrons sur cette étymologie. Retenons seulement que Jean de Hocsem connaît des lollards, mais sans parler le moins du monde d’hérésie.

Trithème (1462-1516) lui, le deuxième garant de Sponde, parle bien d’hérésie dans le passage cité, mais ne semble pas connaître le nom de lollard, au moins dans le sens d’hérétique. On lit en effet, dans ses Annales Hirsaugienses, an. 1322, l’histoire d’un héré tique nommé Gautier, Walterus, qualifié expressément de chef des fraticclles, qui, après avoir séduit bien des simples, finit par être arrêté à Cologne (nous sommes loin de l’Autriche) et brûlé par sentence de justices Trithème ne juge pas nécessaire de donner à nouveau les griefs que l’on fait aux fraticelles et renvoie simplement à ce qu’il en a dit précédemment. (C’est à cet endroit que de Sponde est allé chercher toutes les accusations qu’il met au compte de ses lollards.) Puis notre chroniqueur ajoute : « Lohareus autem iste Walterus, natione Hollandinus lalini sermonis parvam habebat notitiam, aussi avait-il composé plusieurs petits livres en langue germanique, qui lui servirent à répandre ses erreurs. » Le texte dans l’édit. de Saint-Gall, 1690, t. ii, p. 155. Ce mot de Lohareus est évidemment la source de toutes les confusions. Sponde a lu Lolhardus, l’a compris comme un nom propre, l’hérésiarque en question s’appelait Gautier Lolhard, d’où le nom donné à ses partisans. Ces partisans, on les a découverts jusqu’en Autriche. Or, comme les chroniques signalent vers le même moment à Passau une épidémie hérétique de Lucifériens, voir l’art, ci-dessous, on a finalement porté au compte des lollards aussi bien les doctrines spécifiques des fraticelles qne les pratiques répugnantes attribuées, à tort ou à raisou, à ceux que l’on a baptisés du nom de lucifériens.

Il est facile de voir que toute cette construction repose sur une base très fragile : la lecture Lolhardus et l’explication de ce mot comme un nom propre que l’on a rapproché au xviie siècle, du nom de Lollard, donné à partir de la fin du xive siècle à des hérétiques qualifiés d’Angleterre. Nous n’avons pas les moyens d’établir ici le texte critique de Trithème ; de quelque façon qu’il faille lire le mot litigieux, qu’il faille le prendre pour le nom de famille de Gautier (’?), pour le nom de son pays d’origine, ou même pour le nom commun lollard, qui, nous allons le voir, avait dans les pays du Rhin inférieur une signification assez précise au xive siècle, il reste que le texte de Trithème ne dit nullement ce que Sponde a cru pouvoir en tirer. Et il nous semble facile maintenant de voir comment s’est fabriquée la définition des lollards donné : - plus haut.

Par contre, deux textes intéressants, presque contemporains (début du xve siècle) et provenant tous deux de la région du Rhin inférieur vont nous montrer que le mot lollard y était usité avec un sens qu’il n’est pas très difficile de déterminer. Écrivant la vie de Florent Radewin de Leerdam, prieur des clercs de la vie commune à Deventer († 1400), Thomas à Kempis raconte de son héros, comment, après sa conversion, il voulut pratiquer une vie d’humiliation et de pauvreté. Il allait grisea tunica indutus et longa toga pallialus, méprisant les avances qu’on lui faisait. Elegit namque potius abjectus lullardus cum fratribus suis vocari… quam magnus dominus et magister nominari. Ce vocable de lollard qu’on appliquait au saint lui était venu évidemment et de son costume et de son genre de vie ; car il avait retranché de son existence tout luxe, toute superfluité ne voulant garder que simpliciora et plana quie humilitatem preetenderent et sœculares non oflenderent. Vila Florent., c. ix, dans Opéra omnia, édit. de Cologne, 1660, t. ii, p. 52-53.

C’est presque dans les mêmes termes que Jean Busche parle d’un pieux personnage qui, après avoir fréquenté la maison de ce Florent Radewin à Deventer, entra plus tard chez les augustins de Windesheim : ut simplex fraler cum ceteris incessit, longa usque ad pedes tunica vestitus, nigro capucio cum gracili liripipio (la queue du capuchon d’après du Cange) collo indutus, toga oblonga semirotunda usque ad lalos desuper contectus. Tout cela, dit Jean Busche, scandalisait quelque peu tous ses amis : qui hujusmodi jratres devotos a mundo tune despectos tanquam lullardos reputabant.