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LOIS. LA LOI NATURELLE


pureté de la doctrine ou du moins en obscurcit l’exposé chez certains auteurs catholiques. Pour eux, en dernière analyse, l’obligation morale proviendrait de l’essence des choses conçue indépendamment de la pensée divine. Telle semble être la pensée de Gerdil ; quoiqu’il ne l’exprime nulle part, elle paraît se dégager de ses développements abondants. Cf. Discours philosophiques sur l’homme, dans Migne, Démonsl. év., t. xi. col. 1366, 1374. « D’une part, il semble ériger en principe suprême l’ordre idéal des actions humaines ; d’autre part, il attribue aux maximes de la droite raison, fondées sur les considérations de cet ordre, le caractère d’un principe d’obligation absolue : ainsi, la loi naturelle contenue dans ces maximes a la force d’obliger ceux mêmes qui auraient le malheur de ne pas connaître l’auteur de leur existence. » De La Barre, La Morale, p. 77. Une autre formule : l’obligation inorale, qui provient de la convenance ou disconvenance de nos actions humaines avec notre nature raisonnable, peut paraître équivoque. Le point capital en cette question difficile est « de ne reconnaître en aucune façon une obligation formelle antérieure à la loi éternelle in signo priori. » De La Barre, ibid. Voir aussi Schifîini, Philosophia moralis, n. 57, ii, et n. 67. A l’extrême opposé, « les écoles contingentistes, méconnaissant le caractère nécessaire des vérités premières et essentielles, attribuent à la libre volonté divine une souveraine disposition, une pleine indépendance relativement à la constitution de l’ordre moral et de ses lois ». Ibid.

3. Les évolutionnisies écartent plus ou moins de Dieu la notion de la loi. Selon eux, on a commencé par pratiquer ce que nous appelons loi par nécessité, par utilité. Peu à peu, il s’est formé dans les consciences, une liaison entre les actes reconnus socialement utiles et ceux reconnus comme socialement nuisibles. Ces associations d’idées se sont comme soudées ensemble par une longue habitude d’où résulta une sorte de contrainte. Ainsi l’on s’est cru obligé, lié par une loi, cette idée s’est transmise par l’hérédité, et la loi véritable a pris naissance. Peu à peu, les rapports mutuels aidant, l’idée d’altruisme remplace l’égolsme instinctif, l’autorité sociale cesse d’être obligée de s’imposer avec contrainte, elle s’adoucit, s’elîace, laisse plus de liberté et l’on accomplit tout à fait librement ce que l’on accomplissait par contrainte. Par la suite, on oublie l’origine tout empirique des idées et des sentiments qui, d’un commun accord, guident la conduite. Chacun les trouve inscrits dans son cœur et les croit nécessaires, absolus, sacrés ; on se figure qu’ils expriment les conditions de la vie non dans un état transitoire, mais suivant l’ordre éternel du monde. On invente au-dessus de l’humanité un auteur et gardien de la morale, un législateur, un juge qui récompense et punit, etc. On finit par appeler cela autonomie de la raison.

I. L’évolutionnisme n’est pas loin, s’il ne se confond pas avec eux, du matérialisme, du positivisme avec leur multitude de formes : matérialisme de Hobbes, Bentbam ; positivisme, plus on moins agnostique, d’Auguste Comte, Spencer, etc., utilitarisme de Stuart M i II, etc. Il n’y a déjà plus, dans le système qui précède, de loi au sens vrai de ce mot, puisqu’il n’v a nul moyen d’en Imposer l’obligation ; du moins on ore de s’appuyer sur la raison humaine, la

tradition… Encore quelques négations, et natura ques, relativistes ne distingueront plus

tntr< li lois de la nature qui régissent les Êtres Infé

el la loi morale qui s’impose à la volonté

humaine. La morale n’est plus qu’une histoire natu n lie. une di icriptlofl purement <i poiteriori de ee qui

t. devenue « une science des muurs ».

On définit toute espèce de loi « un rapport constant

entre des quantités variables », ce qui est vrai pour les êtres matériels ; mais si on l’applique à l’homme, cela permet à l’esprit de passer du concept de loi impéraiive au concept de loi énonciaiive sans distinction et de jouer avec les équivoques. C’est ce que font souvent, et plus ou moins consciemment, les auteurs très nombreux qui ont écrit là-dessus depuis quelques années. « Pressés entre la logique de leur système et les répugnances du sens moral, les positivistes formulent tour à tour les maximes les plus corruptrices d’un épicuréisme raffiné et les sentences les plus pompeuses d’un stoïcisme âpre et hautain. » Guthlin, Les doctrines positivistes en France, c. xii : Les doctrines positivistes et les lois morales, p. 237 ; voir aussi Valensin, op. cit., p. 180. C’est, comme le disait Brunetière en 1894, la faillite de la morale ou de la loi, ou bien, selon l’expression de Faguet, la morale, et par conséquent la loi dans son vrai sens, donne sa démission.

Il est impossible de donner ici une analyse même très abrégée des nombreux ouvrages où cette doctrine se trouve exprimée ; les plus importants seront signalés à la bibliographie. On ne peut qu’en donner une idée très succincte, par conséquent très incomplète. Elle revêt deux formes principales : a) Une, qu’on peut appeler timide, s’appellera assez bien Morale de la solidarité, Marion, De la solidarité morale, Paris, 1880 ; Léon Bourgeois, Solidarité, Paris, 1896. Du fait de la solidarité, de ce que nous dépendons les uns des autres comme les pierres d’un édifice, on conclut au devoir qu’impose cette solidarité sans s’apercevoir que l’on réintroduit la vraie notion de loi. — b) Dans l’autre forme plus extrême, on s’efforce de ne plus voir dans toute loi morale qu’un fait comme dans les lois physiques ; la morale devient une science comme les autres, on hésite pour la désigner entre les mots science des mœurs, science morale, art inoral pratique.

Pour M. Durkheim, l’explication des faits moraux ou sociaux doit être exclusivement sociologique, il n’y a pas à tenir compte de la causalité efficiente du facteur individuel, non plus que de l’influence des causes finales. Le fait moral est un fait sui generis comme la société est une réalité à part. L’individu est subordonné à la société dont M. Durkheim fait une fin en soi : cela est moral qui est pratiqué par la société : « Des actions et des réactions qui s’échangent entre les individus se dégage une vue mentale entièrement nouvelle qui transporte nos consciences dans un monde dont nous n’aurions aucune idée si nous vivions isolés.

Pour M. Lévy-Bruhl également, la morale ne se fait pas, elle est une réalité, une chose que l’on peut constater, décrire, modifier peut -être, mais qui ne saurait donner lieu ni à une théorie philosophique, ni à un système d’ordre pratique. On nomme moraux les hommes qui vivent conformément aux mœurs, et immoraux ceux qui ne s’y conforment pas : le moral, c’est ce qui se dit et ce qui se fait, l’immoral, ce qui ne se dit et ne se fait pas. La science morale ne peut être normative, elle constate ce qui se fait et ne peut commander ce qui doit se faire. Tout au plus peut on tirer de la science des mœurs, une sorte d’art moral rationnel qui permettrait de modifier la réalité morale donnée, comme le médecin peut modifier par sa COU

naissance de la physiologie l’étal des organes. L’humanité marche sur une roule nuire par des lois, la science se borne à jeter une lueur sur la route pour

éclairer, non pour diriger.

i. Bayel se mel docilement à l’école de Durkheim et de Lévy-Bruhl et tire les conséquences de la doc

trinc dont il est pour ainsi dire l’enfant terrible 1. bien ci aujourd’hui ce que 1rs consciences |ugent êtn bon : il sera demain ce qu’elles voudront et les jugements de demain pourront être la Contradiction dis