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LOIS. LA LOI NATURELLE


qui proclame l’inviolabilité des vœux, des serments, des mariages etc., dont l’obligation peut être contrebalancée par de très graves raisons d’intérêt général ou particulier, reconnues par le droit naturel lui-même. Pour les différentes réponses que faisaient les scolastiques à ces diflicullés, voir Ballerinit-Palmieri, Opus tlwologicum morale, t. i, p. 377-385.

Sans doute on est embarrassé pour dire si tel principe appartient au droit naturel premier ou secondaire,

  • s’il peut y avoir dans tel cas dispense improprement

dite. On ne peut que donner ici une réponse générale, chaque question doit être étudiée en particulier. Il y faut de la science, de la prudence pour juger, interpréter ; c’est une question de savoir pour discerner, et non d’autorité pour dispenser.

Sujet de la loi naturelle.

En parlant du sujet

de la loi naturelle après avoir parlé de son objet, nous n’avons pas l’intention d’établir une différence réelle entre le contenant, élément subjectif de la loi, et le contenu objectif ; en ce sens le sujet et l’objet se confondent, la loi naturelle est notre raison même. La question est celle-ci : quels sont les êtres soumis à la loi naturelle ?

Tout homme actuellement doué de l’usage de la raison est soumis à la loi naturelle parce que : 1. cette loi est la loi éternelle qui oblige tous les êtres, transcrite pour la nature raisonnable ; 2. elle est une propriété de l’humanité : par conséquent, personne d’effectivement raisonnable ne peut s’y soustraire.

Les enfants, les fous, qui possèdent la raison en principe, y sont soumis en principe, in atlu primo ; mais, comme ils n’en ont pas connaissance, et qu’ils ne peuvent prendre conscience de l’obligation morale, ils ne pèchent pas en la violant, on dit qu’ils n’y sont pas tenus in actu secundo. Seulement, comme l’acte qu’ils pourraient accomplir en la violant est matériellement mauvais et qu’ils y sont soumis in actu primo, on ne doit jamais les porter à accomplir les actes qu’elle défend : blasphémer, mentir etc., il faut même les empêcher autant qu’on le peut.

En fait, la question revient donc à celle-ci : quelles sont les données de la loi naturelle qui sont connues immédiatement ? Voici ce que l’on peut dire ici de plus général :

1. Les principes premiers et tout à fait universels ne peuvent être ignorés par l’adulte qui jouit de sa raison. Cela est évident ; celui qui les nierait ressemblerait à celui qui, sachant ce que veut dire tout et ce que veut dire partie, n’arriverait pas à admettre que le tout est plus grand que la partie ; on pourrait douter s’il a l’usage de sa raison ; de même, celui qui sait ce que veut dire bien et mal doit chercher l’un, éviter l’autre.

2. Les conclusions immédiates ne peuvent être ignorées longtemps et invinciblement par celui qui a la raison suffisamment développée : on doit respecter ses parents, éviter le meurtre, etc. Cette connaissance est naturelle, elle ne vient point d’une révélation ; il faut donc qu’elle se trouve dans une nature non déformée. Il arrive toutefois, dit saint Thomas, que : aliqui habent depravatam rationem ex passione sua seu ex mala consuetudine, seu ex mala habiludine naturæ ; sicut apud Germanos olim lalrocinium non rcpulabatur iniquum, ut refert Julius Cœsar, in libro De bello gallico. I » II 86, q. xciv, a. 4. Ainsi, saint Augustin raconte le fait d’une femme qui, avec la permission et même sur l’ordre de son mari, se donna à un autre pour obtenir la somme d’argent à l’aide de laquelle elle pourrait le délivrer de la captivité et de la mort et il conclut : Nullo modo judicaverant sub islis circumstantiis actum illum esse adulterium. De sermone Dom. in monte, t. I, c. xvi, n. 50, P. L., t. xxxiv, col. 1254. Mais, en général, les applications qui ont

pour objet la connaissance de nos devoirs généraux à l’égard de Dieu, du prochain, de nous-mêmes jettent dans la raison privée assez de lumière pour qu’il ne puisse y avoir là-desssus ni erreur, ni doute invincible pour l’ensemble des hommes ; l’étude des premiers principes révèle des arguments clairs, concluants qui les justifient.

3. A mesure qu’elles s’éloignent des premiers principes, les applications de la loi naturelle s’obscurcissent rapidement. Il y a de cela beaucoup de raisons : les unes viennent du sujet, défaut d’intelligence, de temps, de volonté… ; les autres viennent de la loi elle-même : les conclusions dernières sont obscures, incertaines ; les théologiens eux-mêmes hésitent, à plus forte raison les fidèles ; Duns Scot a pu croire que les préceptes de la seconde table n’étaient pas de droit naturel.

Erreurs sur le sens du mot loi.

C’est ici,

avant de commencer l’étude des lois positives, qu’il convient de donner un aperçu des erreurs sur la loi. Toutes dépendent de l’idée qu’on se fait de Dieu, de l’homme et de leurs rapports. Autour de ce concept de la loi naturelle, loi dont toutes les autres dépendent, s’accumulent toutes les erreurs, soit traditionalistes d’une part, soit panthéistes, idéalistes, rationalistes, juridiques, matérialistes, positivistes d’autre part. Ce concept de loi est tellement important qu’il influence non seulement les sciences morales, mais encore toutes les autres sciences physiques et naturelles, etc. Les différents sens du mot loi sont plus ou moins rapprochés de la vérité selon que l’idée qu’on se fait de Dieu est plus ou moins juste, ils s’échelonnent pour ainsi dire « en séries continues ou reliées par des transitions étroites entre deux sens limités : celui de règle impérative, antérieure aux faits qu’elle régit et celui de formule générale, établie a posteriori, par l’étude des faits dont elle est la loi. » Valensin, Traité de droit naturel, p. 176. Il n’est, ici, possible de dire que ce qui peut servir à une meilleure compréhension de la loi.

1. Les traditionalistes, diminuant la valeur de la raison humaine, affirment que, dans l’état actuel de l’homme déchu, les préceptes de la loi naturelle ne peuvent être connus que par la lumière surnaturelle de la foi ou par la tradition. C’est une erreur ; il est essentiel à une loi que l’on dit naturelle de pouvoir être connue sans qu’il soit besoin de recourir à une révélation. La tradition peut bien confirmer la loi, elle n’est pas le moyen de la connaître.

2. Les rationalistes qui, non seulement croient en la raison humaine, mais en exagèrent la valeur, au détriment de la puissance de Dieu sur l’homme, font de la loi naturelle quelque chose de purement humain. L’homme ne dépend plus de Dieu : on sépare alors le droit de la moralité, on paraît encore admettre une loi naturelle, mais à titre seulement de loi humaine autonome, la morale ne dépend plus de la théodicée. Les principales formes sont le subjectivisme et l’individualisme de Kant et de Fichte, le panthéisme objectiviste de Schelling et de Hegel : la raison humaine a toutes les prérogatives de la raison divine, indépendance, être absolu, jugements nécessaires, etc.

— L’école de Savigny s’en tient au simple positivisme juridique en subordonnant les principes aux faits, ce qui doit être à ce qui est, l’idée à la vie. — D’autres écoles rationalistes s’attachent à considérer la nécessité des substances, des vérités métaphysiques pures jusqu’à leur attribuer une sorte de subsistance indépendante (raison impersonnelle de Cousin), et, de la sorte, voient en elles une loi, règle suprême, arbitre de la moralité, antérieurement à tout vouloir divin Cette conception est à la base, non seulement de nombreux systèmes rationalistes, mais encore altère la