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LOIS. LA LOI NATURELLE

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2. Dans des préceptes généraux qui en découlent immédiatement par un raisonnement facile à faire, comme celui-ci : Honorez votre père et votre mère. Le Décalogue, sauf la fixation au jour du sabbat du repos liturgique, en est l’expression claire et solennelle donnée par Dieu lui-même.

3. Dans des préceptes plus particuliers, conclusions des autres qu’on ne peut déduire que par une patiente étude et par des raisonnements qu’il est difficile de faire sans se tromper, par exemple : on ne doit pas, dans une société bien réglée, se faire justice à soi-même. Que permet le droit de légitime défense ? Les conclusions dernières sont bien contenues dans les principes de la loi naturelle, mais ceux qui n’ont pas suffisamment étudié ne peuvent le voir sans crainte d’erreur ; il faut le plus souvent que des lois positives les rendent plus claires et plus certaines.

Caractère immuable.

En thèse générale, les

principes de la loi naturelle sont immuables et sans dispense :

1. Immuables.

La nature humaine étant restée la même dans son fonds depuis Adam avec ses facultés de sensibilité, d’intelligence, de volonté, ne variant que superficiellement selon le degré de civilisation, le climat, etc., est et sera toujours régie par les mêmes principes. La différence, qui paraît d’abord très grande, est en réalité plus apparente que réelle, les mêmes lois la régissent, ce qui n’empêche pas quelques changements eux aussi apparents : a) d’abord des lois positives ont été ajoutées, la possibilité n’est donc pas en question ; b) il y a eu des changements plus profonds, non pas que la loi naturelle puisse cesser d’exister, être abrogée en tout ou en partie, mais dans ce sens que tel acte obligatoire cesse pour une raison particulière d’être la matière et l’objet de la loi. Saint Thomas, Ia-IIa ?, q. xciv, a. 4, donne l’exemple du dépôt qu’on doit rendre à moins que celui qui l’a confié ne veuille s’en servir contre sa patrie. Il y a plus, et les théologiens distinguent les principes premiers absolument immuables parce que sans eux l’ordre moral est impossible : le blasphème, le meurtre d’un innocent, le faux témoignage sont et seront toujours défendus ; les principes secondaires, très utiles aussi, considérés même comme nécessaires, en ce sens que l’ordre moral ne peut subsister, est du moins très compromis, si leur violation est générale ; si elle n’est que transitoire et assez rare, l’ordre peut continuer de durer, avec une certaine difficulté toutefois. Dieu lui-même, ad duritiam cordis il est vrai, toléra pour un temps le divorce, tout à fait aboli par la loi évangélique.

2. Sans dispense.

La question est si complexe que des théologiens de valeur, comme Gerson, voir ce mot, t. vi, col. 1312, Pierre d’Ailly, voir le mot Ailly, t. i, col. 651, ont admis que Dieu pouvait dispenser de tous les préceptes de la loi naturelle ; cela était conforme au nominalisme d’Ockam ; Duns Scot admet que les commandements de la seconde table, au lieu d’être imposés par la loi naturelle, ont seulement une très grande conformité avec ses invariables et nécessaires principes, el que Dieu peut en dispenser. In IV Sent., I. III, dist. XXXVII. Voir la réfutation dans Cajetan, In Sum. theol., I-*-I I *, q, c, a. 8. D’après Bllluart, qui traite longuement cette question, Diss. II, art. 4, on ne peut admettre aucune dispense même indirecte dans les principes premiers. Dans les prin secondaircs, il ne peut y avoir de dispense proprement dite, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir abrogation de la loi ou de l’obligation qu’elle Impose par celui qui détient le pouvoir, législateur ou supérieur, tant que la matière de la loi reste la même : Prserrj, i, t decalogl mut/tri per dispensât ionem non postunt, dit saint Thomas, q. c, a. 8. Negaret sripsum,

si ordinem suæ justitise auferrel cum ipse sit sua justitia ; et ideo in hoc Deus dispensare non potest, ut homini liceat non ordinale se habere ad Deum, vel non subdi ordini justitise ejus, etiam in his, secundum quae homines ad invicem ordinantur. Dieu lui-même ne peut suspendre, ne serait-ce que pour un instant, les obligations résultant des rapports qui relient le fini à l’infini, la créature au créateur, le moyen à la fin suprême, l’homme à ses parents et à sa famille, le citoyen à son peuple, le prochain à son prochain ; il ne peut autoriser personne à être injuste ou imprudent, lâche ou intempérant, parce qu’il ne peut permettre des actes destructifs de la moralité, individuelle, familiale ou sociale.

Mais, dans les principes secondaires, il peut y avoir dispense improprement dite, en ce sens que le législateur ou un autre peut changer la matière de la loi qui cesse ainsi d’être comprise sous la loi. La dispense proprement dite est faite par le législateur comme tel ou par le supérieur comme son remplaçant. La dispense improprement dite est faite par le propriétaire, maître de la matière de la loi, qu’il soit ou non législateur. Ainsi, disent les anciens exégètes, lorsque Dieu permit aux Israélites d’emporter les richesses des Égyptiens, il ne dispensa point de la loi qui interdit le vol, il agit comme propriétaire de tous biens et, pour le bien public, comme compensation, il en fit le transfert. La dispense proprement dite a son effet sur la loi qui cesse d’obliger ; la dispense improprement dite a son effet sur la matière. Après une dispense proprement dite, du jeûne par exemple, on peut être dispensé à tout jamais ; après une dispense improprement dite, on est toujours tenu par la loi qui défend de voler, ordonne de payer ses dettes, de rendre un dépôt. Les exemples de violation apparente de la loi naturelle qu’on rencontre dans la Bible ou dans l’histoire de l’Église, ont été expliqués par cette distinction : ou bien, ils constituent des exceptions aux conclusions dérivées du droit naturel, mais non à celui-ci ; ou bien, il a pu survenir dans les personnes, les choses, les circonstances relevant de ces principes, des changements considérables par suite desquels elles n’en relevaient plus ; ou bien il s’agissait d’une loi positive issue d’une loi naturelle, mais non du droit naturel lui-même. Ainsi, dans le fait des enfants d’Adam s’épousant entre eux, on a cru voir une dispense du droit naturel, alors qu’il s’agissait d’une exception, très justifiée du reste, à un droit positif. Dans le cas de la polygamie permise aux anciens patriarches, les uns ont vu une exception à la loi positive, très importante, il est vrai, de l’unité dans le mariage, et cela en vue du bien commun pour la propagation plus rapide du genre humain par des familles fidèles ; tandis que d’autres disent que Dieu, maître des corps comme des biens, avait donné aux patriarches pouvoir sur plusieurs femmes au lieu de le donner sur une seule. Si les Juifs ont donné quelquefois le libcllum repudii, il semble bien qu’ils n’en eurent jamais le droit abolu, mais que Dieu le toléra seulement ad duritiam cordis. Matth., xix, 8, pour éviter de plus grands maux.

Le serment, le vœu obligent devant le droit naturel puisqu’on doit fidélité à la parole donnée, et qu’on ne peut prendre Dieu à témoin d’une parole contraire à la vérité, et cependant l’Église en dispense, comme elle invalide le matrimonium ratum se/1 non ronsummntum : il s’agit ici non de prescriptions formelles du droit naturel, mais de conséquences émanées de lui et promulguées seulement par le droit positif. Car le droll naturel ne statue pas que vœux et promesses sont irrévocables, aussi bien quand ils sont au détriment que quand ils sont à l’avantage de ceux qui les ont faits. C’est le droit positif, ecclésiastique surtout,