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    1. LIMBES##


LIMBES. NATURE DES LIMBES

cités veulent surtout insister sur le caractère immédiat (moi) de la sanction après la mort. Ne leur demandons pas ce qu’ils ne veulent point nous dire : ils ne nous disent rien sur l’existence et la localisation des limbes uilsic ; ils sont seulement par leur expression disparibus pœnis l’écho de la doctrine traditionnelle qui distingue entre la peine due au péché originel, et celle due au péché actuel.

Bellarmin, en s’appuyant sur la tradition augustinienne et celle des premiers scolastiques, crut devoir attribuer aux enfants morts sans baptême une certaine souffrance ; il les place dans le séjour ténébreux des limbes, à l’abri des flammes sans doute, mais voués à une peine sentie, du fait de la privation de la vision béatifique. De amissione gratise, t. VI, c. ii, Opéra, Paris, Vives, 1873, t. v, p. 458 : Locus eorum est carcer inferni, locus horridus ac tenebricosus in quo qui degent sine dubio beati esse non poterunt ; et c. vi, p. 470 : Dicimus igitur parvulos sine baptismo decedentes dolorem animi habituros quod intelligent se bealitudine privatos, a consortio piorum jratrum et parentum alienos in carcere inferni detrusos et in tenebris perpetuis vitam acturos. Voir aussi c. iv-v. Solution intermédiaire qui ne peut se réclamer de saint Augustin, qui sans doute fait écho à la pensée des premiers scolastiques, mais qui s’oppose à celle de saint Thomas et par le fait à la conception purement privative de la nature et des conséquences du péché originel 1

La solution de Bellarmin i ut bien rallier quelques augustiniens comme Estius et Bossuet. Le grand évêque controversiste n’arriva point à faire prévaloir sa manière de voir auprès d’Innocent XII. Le livre du cardinal Sfondrate : Nodus preedestinationis solutus, Cologne 1698, favorable à la solution thomiste, ne fut point condamné à Borne, malgré les pressantes instances de Bossuet.

De même les Vindiicæ augustinianæ du cardinal Noris ne trouvèrent que peu d’écho parmi les théologiens. Voir c. iii, § 5, dans P. L., t. xlvii, col. 630. — Bicci, évêque s : hismatique de Pistoie, en traitant dans son fameux synode de fable pélagienne la croyance aux limbes donna occasion à Pie VI d’exprimer nettement la pensée de l’Église sur le sort de ceux qui meurent avec le seul péché originel. Le pape déclare « fausse, téméraire, injurieuse aux écoles catholiques la proposition selon laquelle doit être rejeté comme une fable pélagienne l’endroit des enfers, appelé vulgairement limbes des enfants, dans lequel les âmes de ceux qui meurent avec le seul péché originel sont punies de la peine du dam sans la peine du feu, comme si écarter de ces âmes la peine du feu, c’était remettre en honneur la fable pélagienne d’après laquelle il y aurait un lieu et un état intermédiaire exempts de faute et de peine entre le royaume des cieux et la damnation éternelle. » Denzinger-B., n. 1526. De ce texte, il faut conclure que l’existence des limbes des enfants, tels que les fidèles les conçoivent, c’est-à-dire d’un état exempt de la peine du feu, mais laissant les âmes soumises à la faute originelle et à la peine du dam, n’est point une fable pélagienne, mais une croyance orthodoxe. Aussi, dans le schéma de la Constitution dogmatique sur la doctrine catholique, qui devait être soumise au concile du Vatican, est-il dit que ceux qui meurent avec le seul péché originel seront privés pour toujours de la vision béatifique, tandis que ceux qui meurent avec un péché actuel grave souffriront en outre les tourments de l’enfer : Omnis igitur qui in actuali peccalo mortali junguntur, a regno Dei exclusi cruciatus gehennse in qua nulla est redemptio in œternum suslinebunt ; etiam qui cum solo originali peccato mortem obeant, beata Dei visione carebunt. Acta et décréta Concini Vaticani dans la Colledio Laccnsis, t. vii, p. 565, voir Baptême, col. 372.

C’était vouloir consacrer le principe dogmatique d’où découle logiquement l’existence des limbes. Ainsi l’Église, en analysant de plus en plus, par le travail de réflexion de ses Pères et de ses théologiens, l’idée de justice divine, a de mieux en mieux distingué entre la nature et les conséquences du péché originel et celles du péché actuel. L’exigence d’un état intermédiaire entre la béatitude éternelle, et l’enfer au sens strict, comme postulat de la justice divine avait été reconnue explicitement par quelques Pères grecs, entrevue par saint Augustin avant la controverse pélagienne. Cette exigence a pu être méconnue pendant un certain temps S ; us l’influence d’une conception confuse et trop pessimiste de la nature et des conséquences du péché originel ; ce fut un progrès des théologiens scolastiques d’avoir su remettre en évidence par leurs analyses ces exigences de l’idée traditionnelle de justice divine.

Innocent III, en consacrant par son autorité le résultat des analyses théologiques, a posé le principe doctrinal solide d’où découle logiquement la croyance catholique à l’existence des limbes.

III. Nature des limbes.

L’idée de limbes éveille en nous la pensée d’un état et d’un lieu intermédiaire entre le ciel et l’enfer. En quoi consiste cet état ? de ce lieu quels sont les habitants ?

État des âmes qui sont aux limbes.

Les documents

du magistère ecclésiastique nous obligent à reconnaître à cet état un caractère pénal. Innocent III parle de pœna originalis peccati : le concile de Lyon emploie l’expression : pœnis disparibus puniendas, et Pie VI, pœna damni puniuntur. La peine du péché originel consiste essentiellement dans la privation de la vision béatifique. En quoi consiste psychologiquement cette privation de la vision béatifique, les documents cités ne nous le disent point.

Les théologiens ont proposé deux solutions à cette question : l’une, au premier abord, plus conforme, semble-t-il, à la lettre du concile de Florence, c’est celle des anciens scolastiques reprise par Bellarmin, qui admet dans l’âme des enfants morts sans baptême une certaine souffrance, une certaine tristesse ; l’autre, celle de saint Thomas et de l’ensemble des théologiens contemporains, plus conforme à l’ensemble de l’enseignement ordinaire sur le caractère purement privatif du péché originel : eJe admet que ceux qui meurent avec le seul péché originel joui ont corps et âmes d’un réel bonheur. Voir art. Baptême, col. 373-376.

On peut faire à la thèse thomiste une objection : « Comment concevoir une peine qui ne serait pas afflictive ? N’est-ce point joindre deux notions de tous points contradictoires ? » Le cardinal Billot, en se faisant l’heureux interprète de saint Thomas, y répond dans les Éludes, t. clxiii, 5 avril 1920, p. 30 sq. « S’il est essentiel à la peine ainsi entendue qu’elle soit une réelle privation, contraire à l’inclination naturelle de la volonté du sujet puni, il n’est pas nécessaire qu’elle soit toujours connue de lui et par là même sentie. Mais c’est assez que ce soit le retranchement d’un bien qui lui causerait du regret, s’il savait qu’on la lui retranche. » Voir loc. cit., p. 31 et saint Thomas, De malo, q. i, a. 4.

La stricte justice même demande que la peine du péché originel ne soit pas sentie. Il n’est pas convenable, en effet, que pour une faute dérivée de la volonté de nature, et non de la conscience personnelle, il y ait un retentissement pénal senti dans la conscience propre de chaque individu. Quiacuminpueris non est peccatum actuale quod est proprie peccalumpersonale, non debetur eisutdetrimentumaliquidpatianturinnaiuralibusbonis. De malo, q. v, a. 3. Il y a, cependant, d’une façon objective, privation et peine grave. Le péché originel prive ceux qui en sont souillés de biens qui dépassent les exigences de leur nature : il a comme peine de